Le combat des chefs

Par Jérémy Fadat avec Arnaud Beurdeley et Nicolas Zanardi
  • Wesley Fofana (Clermont) contre Toulouse
    Wesley Fofana (Clermont) contre Toulouse Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Toulouse et Clermont trustent les premières places au nombre de points et d’essais marqués. Individuellement, il y a aussi de quoi saliver. Aux quatre coins du terrain, des duels de niveau international. Puisqu’il semblait injuste de n’en garder qu’un, Midi Olympique a choisi d’en faire ressortir quatre. De quoi mieux pour juger du choc colossal qui attend le Top 14, ce samedi en finale au Stade de France.

Le duel explosif Cheslin Kolbe - Isaia Toeava

S’il est une joute entre deux hommes particulièrement séduisante, c’est bien celle-ci. Cheslin Kolbe et Isaia Toeava sont les véritables facteurs X de leurs équipes respectives. Mais ce sont d’abord de fantastiques joueurs de rugby. Le Toulousain, sûrement le meilleur pensionnaire du Top 14 cette saison par ses prestations étincelantes et sa régularité dans ses performances, sait tout faire. Lui, qui affiche plus de deux franchissements de moyenne par match, possède des appuis de feu et un sens inné du collectif. C’est ainsi qu’après avoir franchi les murailles adverses, il parvient constamment à placer ses partenaires dans de parfaites dispositions. Mais il se montre également décisif en terminant lui-même les actions, quand le besoin s’en fait sentir, comme il l’a prouvé le week-end passé en inscrivant un magnifique essai au terme d’une course sur laquelle il a battu trois Rochelais. Efficace aussi en défense et rassurant au pied, son influence sur le jeu stadiste est aujourd’hui immense. À tel point que son compère (et pourtant concurrent sur le triangle de derrière) Yoann Huget nous confiait récemment que « l’équipe se met au diapason de Cheslin ».

Voilà qui en dit long. Plus Kolbe touche de ballons et a de champ, plus il est dangereux. Son replacement à l’arrière est donc une aubaine. Mais il aura affaire à un sacré client en face de lui samedi. On ne compte pas 36 sélections chez les All Blacks à seulement 25 ans par hasard… Isaia Toeava a été considéré, très jeune, comme un phénomène en Nouvelle-Zélande. À juste titre. Et, à 33 ans, il demeure un merveilleux esthète. Longuement blessé la saison passée, il avait manqué à Clermont. Encore opéré à l’épaule en décembre lors de l’exercice en cours, il n’a néanmoins jamais perdu son statut. Et ce polyvalent, capable d’évoluer à tous les postes de la ligne de trois-quarts, a naturellement retrouvé le maillot floqué du numéro 15 depuis son retour il y a un mois. Ceci avec une aisance déconcertante.

Le natif des Samoa est lui aussi un joueur ultra-complet, avec une lecture du jeu et une technique individuelle largement supérieures à la moyenne. Ce fut éclatant sur le premier essai auvergnat à Bordeaux, quand sa double intervention a fait la différence et envoyé Damian Penaud dans l’en-but lyonnais. Quand on observe les qualités exceptionnelles et la forme affichée par les deux hommes, il y a de quoi saliver. 

Le duel des poutres Iosefa Tekori - Sébastien Vahaamahina

Il suffit de jeter un œil aux nombres de matchs de chacun des deux joueurs cette saison pour saisir leur importance dans leur collectif. Iosefa Tekori, c’est vingt titularisations cette saison en Top 14 pour vingt-deux présences sur la feuille de match. L’an passé, « Joe », son surnom, avait même réussi la performance d’être aligné sur les vingt-sept matchs du Stade toulousain en championnat. Rien que ça. Sébastien Vahaamahina, lui, c’est un peu moins en raison des périodes internationales où il est à disposition du XV de France. Sauf que. Vahaamahina disponible, le manager Franck Azéma ne se pose pas de question. D’office, il commence la rencontre. En Top 14, il ne compte donc que seize matchs, mais titulaire à chaque fois. « Ce sont deux joueurs indispensables au sein de leur équipe, juge l’ancien international à ce poste de deuxième ligne Jérôme Thion (54 sélections). Ce sont des garçons qui pèsent dans le collectif. »

Chacun à sa façon, chacun avec ses propres caractéristiques (lire ci-contre). Tekori, souvent aligné par le passé en troisième ligne, a conservé toute la technicité du poste, portant parfois le ballon à une main comme s’il avait une balle de tennis entre les doigts. Pourtant, c’est aujourd’hui Sébastien Vahaamahina qui affiche la plus grande mobilité dans l’ère de jeu. Lui le deuxième ligne affiche une capacité de déplacement que certains troisième ligne n’ont pas. Une vitesse d’exécution conjuguée à une explosivité qui lui permet d’être très souvent sollicité dans l’alignement. « C’est vraiment une alternative intéressante, estime encore Jérôme Thion. Dans ce secteur de jeu, Vahaamahina a probablement un peu plus de mobilité que Tekori. »

En revanche, les deux joueurs ont une caractéristique commune dont ils se passeraient probablement bien. « Ce sont deux joueurs qui plaquent souvent haut, ce qui peut leur valoir quelques coups de sifflet contre eux, souligne Thion. Ça leur permet de stopper un joueur qui est dans l’avancée et d’inverser la pression, mais attention quand même… » Surtout en finale de Top 14.

Le duel des capitaines Jerome Kaino - Fritz Lee

En préambule, on regrettera bien sûr que ce duel de leaders n’oppose pas des historiques des deux clubs, issus de la formation interne. Reste qu’il faudrait être aveugle pour ne pas considérer l’influence énorme tenue par les deux joueurs sur leur formation. Parce que Fritz Lee, d’un côté, a réussi avec le concours de Greig Laidlaw à faire oublier contre Lyon l’absence de Morgan Parra, absent d’un match de phases finales de l’ASM pour la première fois depuis dix ans. Et parce que, de l’autre, Jerome Kaino a réussi à insuffler son goût du combat et sa confiance à ses partenaires, pourtant peu habitués des phases finales. « En tant que joueur expérimenté, je sais que les jeunes regardent la manière dont je me comporte, et que je dois leur envoyer des messages positifs, nous expliquait le All Black après la demi-finale contre La Rochelle. S’ils me sentent stressé, ils seront stressés. C’est à moi d’apparaître le plus détendu, pour leur donner confiance. Pour être bon sur un terrain, il faut être le plus calme, le plus relâché possible. Quand on est trop nerveux, on perd en énergie et en précision. »

Un écueil dans lequel Toulousains et Clermontois ont réussi à ne pas sombrer en demi-finale, et qu’ils devront éviter à nouveau au Stade de France. Pour ce faire, la confrontation directe entre les capitaines aura forcément son importance, ainsi que le pressent Harinordoquy. « Pour connaître un peu la mentalité de ce genre de joueur, je crois que Lee va forcément se mettre Kaino dans le viseur. » Parce que ces natifs des Samoa raffolent de ce genre de duels d’homme à homme, et savent pertinemment que l’issue des premiers chocs entre eux aura fatalement un impact sur le moral de leurs partenaires. Plus jeune de cinq ans et vierge de toute sélection, Fritz Lee incarne ainsi forcément le rôle du « challenger » face à Kaino, double champion du monde aux 81 sélections pour les All Blacks. Lequel n’a toutefois (au contraire de Lee) encore remporté aucun titre de toute sa carrière en club, et aura lui aussi une motivation toute trouvée…

Le duel pour les Bleus Sofiane Guitoune - Wesley Fofana

On entend d’ici les plus éminents spécialistes chipoter, et arguer que Sofiane Guitoune et Wesley Fofana ne seront pas des adversaires directs sur la pelouse de Saint-Denis, l’un occupant le poste de deuxième centre quand l’autre ne se voit pas évoluer avec un autre numéro que le 12 de premier centre. N’empêche que les deux hommes demeurent la caution créativité de leurs milieux de terrain respectifs, et incarnent à merveille la différence entre deux lignes de trois-quarts finalement différentes.

Mieux : s’il s’agira fatalement du cadet de leurs soucis samedi, les deux hommes se livreront un duel pour une des places de centre en vue de la Coupe du monde, pour laquelle ils seront nécessairement en balance pour une place dans la liste des 37 qu’annoncera Jacques Brunel après la finale… « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le Japon, souriait Sofiane Guitoune en marge de la victoire du Stade toulousain face à Lyon. Ma seule préoccupation pour le moment, c’est le Bouclier. Ensuite, on verra… »

Et pour cela, Guitoune a des atouts : ses crochets courts, sa capacité à éliminer ses adversaires qui ont fait des ravages toute la saison, à commencer lors de la victoire contre Clermont au Stadium qui l’avait vu inscrire un doublé, notamment l’essai de la gagne… Un vestige de son récent passé d’ailier et une reconversion réussie qui n’étonne pas l’avisé Yannick Jauzion. « Lorsque Sofiane évoluait à l’aile à Perpignan, je le voyais régulièrement se proposer au milieu du terrain, en position de premier attaquant, mais il ne jouait pas forcément comme un ailier. Au contraire, il s’appliquait à faire jouer les autres et effectuait souvent le bon choix, que ce soit à la main ou au pied. Cela ne m’étonne donc pas vraiment qu’il ait excellé au centre cette saison. »

Quant à Fofana ? S’il n’est plus le redoutable duelliste de ses débuts, le centre auvergnat a gagné en maturité et dans sa capacité à faire jouer ses partenaires, notamment éprouvée sur l’essai de Raka contre Lyon. Un altruisme qui fait de lui un joueur d’autant plus redoutable au sein de la ligne de trois-quarts auvergnate, et surtout un véritable patron. Un rôle qu’endosse depuis peu Sofiane Guitoune au milieu de partenaires moins expérimentés, preuve que leur duel se poursuivra bien au-delà du strict aspect sportif. 

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