Blanc: "Le Top 14 ne permet pas à la jeunesse française de réellement s'exprimer"

  • Eric Blanc, ancien joueur du Racing champion de France en 1990
    Eric Blanc, ancien joueur du Racing champion de France en 1990
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Homme d'affaires redoutable après la création de la marque Eden Park, homme de médias également, Eric Blanc, s'est longuement entretenu pour notre site, au coin d'une terrasse d'un restaurant parisien. Sans langue de bois, le champion de France avec le mythique Racing en 1990 a balayé toute l'actu. Premier volet.

Quelles sont vos activités actuellement ?

Eric BLANC: Le Père Lachaise, la promenade au Parc Monceau, le thé dansant à La Coupole et 'Des Chiffres et des lettres' (rires)... ! Plus sérieusement, je suis toujours impliqué chez Eden Park dans la mesure où je suis toujours cofondateur. Et depuis deux-trois ans, j'ai atterri dans les médias à savoir L'Equipe 21 dans l'émission 'L'Equipe du soir' où j'ai intégré le dispositif rugby. Je travaille aussi sur Europe 1 comme consultant. Je suis de plus en plus impliqué dans ce domaine d'activité où je suis un observateur, un "représentant souvenir où je surveille l'évolution du jeu, du rugby, de ma passion".

Vous parlez évolution du rugby et la transition est toute trouvée: quel regard portez-vous sur le rugby d'aujourd'hui par rapport à celui que vous avez connu au début des années 90 ?

E.B: Je m'y sens bien. Il fait la part belle aux clubs qui ont de l'argent car aujourd'hui, huit joueurs peuvent rentrer et cela change complètement la donne par rapport à notre époque. Il n'y avait que deux changements puis trois par la suite donc les espaces s'ouvraient plus facilement sur les fins de match après un travail de sape des avants et de toute l'équipe. De mon temps, nous étions davantage dans un jeu de contournement et celui qui se faisait coffrer avec le ballon était sifflé. Tout est quasiment différent. Avant, il n'y avait pas de vidéo, moins d'organisation tactique et beaucoup moins de temps de jeu. D'ailleurs, les équipes qui ont su de suite réfléchir sur le jeu ont gagné des titres et je pense évidemment au Stade toulousain avec les méthodes Bru puis Villepreux. Je peux en parler car j'ai eu pendant quatre ans le père de la méthode, Monsieur Deleplace (René qui fut le premier grand penseur et théoricien du jeu de rugby et des sports collectifs à partir des années 50, NDLR) qui enseignait le rugby à la faculté où j'étais. Nous avions aussi adopté cet esprit de jeu au Racing. Il y avait plus de liberté sur le terrain, moins de schémas de jeu. Maintenant, c'est devenu complètement professionnel avec deux entrainements par jour avec de la musculation, de la préparation physique, de la vidéo. Les joueurs de rugby sont devenus de vrais athlètes avec une technique très sophistiquée. Une seule véritable équipe arrive à toujours évoluer, réinventer le rugby, faire les bons choix techniques - ce qui en fait une machine de guerre - je parle des All Blacks. L'Australie et l'Afrique du Sud y arrivent également mais la Nouvelle-Zélande est un ton en-dessus. C'est un réel plaisir de voir jouer cette équipe.

La Nouvelle-Zélande est un ton en-dessus. C'est un réel plaisir de voir jouer cette équipe

Qu'aimez vous dans le Top 14 ? Dans la Pro D2 ?

E.B: J'aime beaucoup l'incertitude du Top 14. Chaque saison, mais aussi chaque semaine, il y a une remise en cause d'un collectif. Il y a cette volonté de la part de tous les acteurs de produire du jeu, ce qui est toujours intéressant. Faire vivre le ballon, le jeu debout dans l'avancée... On sait qu'un rugby ne peut pas être gagnant sauf sur une finale puisque certaines équipes comme Toulouse ont remporté leurs deux derniers titres (2011 et 2012) qu'avec des points au pied. Concernant la Pro D2, cela me rappelle un peu plus la façon dont nous jouions. J'aime quand même me dire qu'il y a, entre guillemets, car j'ai un profond respect pour les joueurs quand j'emploie le terme de "smicards" vu que les feuilles de paie sont différentes entre les deux divisions, des mecs passionnés qui sont professionnels mais qui ne pourront pas vivre du rugby. Ils ont encore plus de mérite de jouer à ce niveau car la Pro D2 est bien moins regardée, à part par des spécialistes. C'est aussi un vrai laboratoire pour nos jeunes. Le Top 14 ne permet pas à la jeunesse française qui boit du coca et mange des burgers de réellement s'exprimer à part peut-être une future star. On ne voit pas assez de jeunes joueurs aller en Pro D2. 

Au contraire, que n'aimez-vous pas ?

E.B: Je n'en sais rien à vrai dire ! Peut-être un manque de lecture du jeu parfois. Comme le rugby devient de plus en plus un sport de collisions en étant un mélange de rugby à XIII et de XV dans ses organisations offensives et défensives, les équipes ne trouvent pas tout le temps les bonnes solutions car certaines situations de jeu ne sont pas bien analysées et lues. De temps en temps, dans la Pro D2, on assiste à un jeu haché avec davantage de combat dans les rucks donc moins de vitesse, moins de pétillant.

Pour moi, la grande qualité d'un staff, c'est de ne pas se tromper sur les hommes et d'avoir le courage de ses opinions, de ses convictions et surtout d'y aller à fond

Il vous arrive parfois de hausser le ton sur L'Equipe 21 concernant certains sujets rugbystiques. Qu'est-ce qui vous énerve ou vous déçoit le plus dans le monde du rugby professionnel actuellement ?

E.B: Mes coups de gueule dépendent de temps en temps du jeu. Et ils sont davantage liés à l'équipe de France car parler des différents clubs, c'est difficile. Je ne vis pas à l'intérieur de ces grands collectifs. On va parler de l'équipe de France où l'on a perdu beaucoup de temps, où l'on nous explique que les trois années passées ne sont pas graves. Sauf que nous nous sommes terriblement ennuyés et qu'à un moment donné, même si la Coupe du monde arrive et qu'il s'agit du défi ultime d'un staff, je pense que notre équipe nationale est trop frileuse. On nous ressort les mêmes diagnostics à savoir la faute au Top 14, son organisation, le calendrier international... Bien sûr qu'il y a des vérités et je ne vais pas dire le contraire. Cependant, on ne fait pas assez de choix et par rapport au projet de jeu dont on parle, on ne sélectionne pas toujours les joueurs qui peuvent porter ce projet et on fait souvent des pas en arrière en essayant trop de joueurs ! Passer à soixante-quatorze, ça ne rime à rien ! Chaque week-end, il y a une révélation donc le groupe va encore s'agrandir. Pour moi, la grande qualité d'un staff, c'est de ne pas se tromper sur les hommes et d'avoir le courage de ses opinions, de ses convictions et surtout d'y aller à fond, quitte à perdre dans un premier temps pour mieux savoir gagner par la suite. Mais ça, on ne sait pas faire en France... malheureusement.

On assiste de plus en plus à des sorties médiatiques de présidents, de managers... Qu'est-ce que cela vous inspire ?

E.B: On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. On fait rentrer des présidents qui ont totalement redynamisé des clubs donc il est normal qu'ils prennent la parole. Après, il y en a certains qui ne connaissent pas le code du rugby et en même temps, ce n'est pas grave car le rugby a aussi évolué et son environnement a changé avec les sponsors, les médias, les spectateurs... Tout est fait pour aller vers l'excellence et il y a, bien entendu, des dérapages. Je ne dis pas que c'est déplorable même si ça va trop loin parfois. Mais en même temps, ça me fait marrer. Il y a moins de langue de bois, tout le monde s'exprime. De temps en temps, des acteurs de ce jeu peuvent faire des sorties de route. Mais bon, à la rigueur, cela met du piment et ça fait parler. Le seul danger, c'est de ne pas faire attention au respect des uns et des autres et de ne pas aller trop loin en s'attaquant à l'homme ou à la personnalité car on peut blesser de façon irrémédiable. Mais tout cela ne me déplait pas. Je suis content que ça chauffe un peu et que la marmite explose de temps en temps.

Lorenzetti a une réelle volonté de dépoussiérer le Racing, de lui redonner des couleurs éclatantes 

Votre club de cœur, le Racing-Métro est sorti de l'ombre grâce à l'arrivée, tel un sauveur, de Jacky Lorenzetti comme mécène et président...

E.B: Oui, oui ! On avait fusionné avec le Métro en 2000 et on s'est retrouvé jusqu'en 2006 à jouer la descente chaque saison avec beaucoup de difficultés pour exister. Puis Jacky est arrivé avec beaucoup d'ambitions et de gros moyens. C'est un peu le Pay-per-view Jacky. En arrivant, il pensait sûrement bousculer les choses et gagner des titres plus rapidement. Il a payé pour apprendre et ce n'est pas qu'une question financière. Jacky fait ce qu'il veut de son argent déjà et personne ne peut le juger à ce sujet. C'est un bâtisseur avec un beau projet de stade qui va sortir de terre. Il a une réelle volonté de dépoussiérer le Racing, de lui redonner des couleurs éclatantes. Il a bien vu qu'il ne pouvait pas débarquer dans ce monde en bousculant trop vite certaines habitudes bien que Mourad Boudjellal, dans un autre domaine, est allé plus vite que lui avec ses côtés clinquants, bling-bling. Jacky est plus conservateur, plus consensuel. Il veut faire avancer les choses mais tout en respectant ce qui existe déjà donc son chemin est plus ardu. L'école de rugby a enfin un outil, un centre de formation. Il faudrait lui demander mais je pense qu'il est plus apaisé aujourd'hui. Il était plus agressif avec des pensées paranos du style 'personne ne m'aime', 'personne ne nous aime'. Il le pense peut-être encore à ce jour mais avec les années qui se sont écoulées et son expérience, il a peut-être un regard qui a évolué et différent de ce monde-là. On ne peut que remercier Jacky Lorenzetti.

Retrouvez la seconde partie de cet entretien exclusif dès 14h sur notre site...

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