Cabannes: "Le rugby français doit vraiment faire son autocritique"

  • Laurent Cabannes lors du Tournoi 1996 face à l'Ecosse
    Laurent Cabannes lors du Tournoi 1996 face à l'Ecosse
  • Laurent Cabannes avec le maillot des Harlequins en 1997
    Laurent Cabannes avec le maillot des Harlequins en 1997
Publié le Mis à jour
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Laurent Cabannes a accepté pour Rugbyrama.fr d’évoquer l’équipe de France à l’occasion du Tournoi des Six Nations. L’ancien troisième ligne du Racing et de l’équipe de France pointe le manque de fortes individualités en équipe de France, mais trouve des circonstances atténuantes aux prestations actuelles.

Il met face à leurs responsabilités la FFR et la LNR en incitant le rugby français à "vraiment faire son autocritique". Il pointe du doigt la trop grande proportion de joueurs étrangers dans le Top 14, en Pro D2 mais aussi en Fédérale 1, l’hypocrisie de la mesure des Jiff et les cadences infernales imposées aux internationaux français.

Avec des résultats très moyens, l’équipe de France et son staff sont sous le feu des critiques.

Laurent CABANNES: Je n’ai pas envie d’être trop critique avec les joueurs. On fera avec les joueurs qui existent et ce n’est pas la peine d’imaginer d’autres joueurs. Mais il nous manque ces deux ou trois mecs qui viennent casser ces défenses comme Vunipola avec l’Angleterre ou Vermeulen avec l’Afrique du Sud. Ensuite, ce n’est pas très important de manquer de joueurs exceptionnels, si derrière tu dégages une force collective. Mais au vu des derniers matchs, ce n’est pas le cas de l’équipe de France. On n’a pas une génération invraisemblable, mais l’équipe d’Afrique du Sud championne du monde en 2007 n’avait pas d’individualités écrasantes. Ils avaient une force collective.

Êtes-vous pessimiste avant les deux dernières rencontres face à l’Italie puis l’Angleterre?

L.C: Non, je pense qu’ils feront un bon match en Italie. Il y aura une sorte de réaction d’orgueil comme c’est le cas avec l’équipe de France habituellement. On peut avoir une mauvaise surprise, mais je n’y crois pas. Ensuite ils feront un bon match en Angleterre parce qu’on sera dans une situation extrême avec un match que l’on va annoncer très difficile. Les deux derniers matchs seront intéressants à suivre.

Qu’avez-vous retenu des déclarations de Philipe Saint-André au lendemain de la défaite contre le pays de Galles?

L.C: Saint-André nous a dit qu’il y a seulement trois joueurs de l’équipe des -20 ans qui a gagné le grand chelem l’an dernier qui font des feuilles de matchs en Top 14. La situation de l’équipe de France aujourd’hui est en partie due à l’explosion du nombre de joueurs étrangers dans le Top 14, mais aussi en Pro D2 et en Fédérale 1. Je comprends que tu fasses appel à d’autres joueurs quand tu développes ta société, ton activité. J’ai très bien compris le système, mais ça nuit forcément au développement et à la formation des joueurs français.

Les joueurs français ne peuvent pas évoluer au plus haut niveau parce qu’ils sont barrés par des étrangers

Que faire face à ce constat?

L.C: Le rugby français doit vraiment faire son autocritique. Il y a une incompatibilité entre les deux institutions que sont la FFR et la LNR. C’est certain. On ne pourra pas avoir une bonne équipe de France, une équipe compétitive, si les joueurs français ne se développent pas dans le Top 14, la Pro D2 et la Fédérale 1. On a une grosse machine qui est la fédération, qui marche à son rythme, avec sa forme d’inertie propre aux Fédérations et on a des présidents de club du Top 14 qui sont hyperactifs. On entend tous les acteurs. Tout le monde s’exprime et s’affronte. Mais le résultat est qu’on ne règle pas les choses. Aujourd’hui on nourrit la Fédérale 1 avec des joueurs inconnus en Afrique du Sud, des Fidjiens, des Géorgiens…

La règle des Jiff n'est elle pas censée résoudre ce problème?

L.C: On se raconte des histoires. Les présidents de club arrivent à nous expliquer l’inexplicable. Il faudrait qu’ils nous réexpliquent le Jiff, parce que moi je n’ai pas très bien compris. Quand il a été mis en place on avait l’impression que le nombre de joueurs étrangers allait diminuer et en fin de compte il explose. On m’a dit qu’il y avait aujourd’hui 66% de joueurs étrangers dans le Top 14. Qui va me dire que ça sert les intérêts de l’équipe de France? Je veux bien rencontrer la personne qui peut me l’expliquer. Quand on entend les grandes personnalités comme Boudjellal ou Lorenzetti sur ces sujets, ils ont toujours raison et réponse à tout. Ils sont dans leur rôle en défendant leur produit commercial. Mais au final on ne résout rien. Les joueurs français ne peuvent pas évoluer au plus haut niveau parce qu’ils sont barrés par des étrangers. C’est aussi simple que ça.

Pour être bon sur un terrain de rugby, il faut être frais, en forme, avoir envie, être lucide

Les Anglais arrivent pourtant à sortir des joueurs dans un contexte presque similaire...

L.C: Oui, les Anglais arrivent à nous sortir des joueurs qui dégagent quelque chose, comme ce Joseph (Jonathan Joseph, le centre de Bath et du XV de la Rose, ndlr). Mais nous, pendant ce temps, on se demande ce qui se passe avec Fofana. Je ne pense pas qu’il y ait une si grande différence entre ces deux joueurs. Fofana a quand même un passé dans cette équipe, il n’est pas très vieux, il est fort rugbystiquement. Certes il est sans doute un peu plus surveillé, mais enfin, ce n’est pas normal qu’il ait aujourd’hui ce rendement. Ce n’est une question de repères, c’est une question de fraîcheur, d’appétit. On sent bien que l’accumulation des matchs joue en sa défaveur.

Laurent Cabannes avec le maillot des Harlequins en 1997
Laurent Cabannes avec le maillot des Harlequins en 1997

Le calendrier est selon vous trop chargé?

L.C: Ça fait huit ans que Dusautoir additionne les compétitions domestiques, la coupe d’Europe et les matchs internationaux. On voit bien qu’il manque de fraîcheur. Il n’y a pas beaucoup de joueurs aujourd’hui qui dégagent de l’envie. Il y a peut-être Huget ponctuellement, Le Roux qui a fait une bonne rentrée dans le Tournoi mais qui s’éteint petit à petit. Pour moi ce n’est pas une question de capacité ou d’aptitude. Pour être bon sur un terrain de rugby, il faut être frais, en forme, avoir envie, être lucide. Si tu n’as pas ça sur un terrain de rugby, c’est très dur d’exister.

On n’existe pas car on manque d’appétit

Vous comprenez donc le désespoir de Philippe Saint André.

L.C: De l’extérieur, on a du mal à définir le cadre de l’équipe de France. Mais en même temps, c’est difficile de le faire avec des joueurs au bout du rouleau. On leur demande de jouer entre trente et quarante matchs et d’être excellents lorsqu’ils jouent en équipe de France. Ce n’est pas compatible. Le rôle des entraîneurs est de donner un cadre de jeu et d’arriver à optimiser les joueurs, mais on voit bien qu’il travaille avec des joueurs fatigués et il n’y arrive pas. Ça donne cette succession de matchs indigestes, incohérents. On est vraiment dans le "moyennasse".

Saint-André semble se rattacher à la longue préparation d’avant Coupe du monde pour espérer réussir. Vous lui donnez raison?

L.C: Aujourd’hui, tu te rattaches à ce que tu peux. Mais il est évident que la récupération, la préparation, moins de match avant d’attaquer une grosse compétition au format court comme une Coupe du monde, peuvent aider à cette équipe, même sans grandes individualités, à exister collectivement. Immanquablement cela va jouer. Aujourd’hui tout le monde est frustré par les résultats, mais on voit bien qu’on n’existe pas car on manque d’appétit.

Au-delà de l’équipe de Saint-André et de la Coupe du monde, vous semblez pessimiste sur l’avenir du rugby français...

L.C: En France, on est toujours sur des conflits entre les différentes institutions. En fin de compte, il n’y a pas eu de transformation dans le rugby français. On se retrouve encore et toujours avec des internationaux en positions délicates et tout le monde est perdant. Les clubs ne sont pas contents parce que les joueurs de l’équipe de France reviennent fatigués. L’équipe de France n’est pas contente parce que les joueurs sont hypersollicités. Et à ce tableau, il faut y ajouter aujourd’hui la proportion trop importante de joueurs étrangers. Je ne suis pas certain qu’on y gagne au niveau du "produit" Top 14 et Pro D2. Mais ce qui est sûr c’est qu’on est largement perdant au niveau de l’équipe de France. Les gens des deux institutions connaissent très bien la situation, puisqu’ils la vivent au quotidien. Mais voilà, il y a deux modes de fonctionnement totalement incompatibles. Le joueur de rugby, qui est l’acteur principal, est pris entre les deux.

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