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Carnet noir - André Boniface rejoint Guy, son frère chéri

Publié le Mis à jour
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André Boniface nous a quittés, le trois-quarts centre légendaire des années 50-60 était bien plus qu’un joueur international. Il était le totem et la conscience d’une certaine conception du rugby ; obsédée par l’offensive. Le french flair, c’était lui.

Il aura donc tutoyé sa neuvième décennie en repoussant au maximum les stigmates du grand âge. Son port légendaire de grand seigneur a résisté à bien des outrages du temps, sa voix aussi tonitruante et ferme peu faite pour les propos convenus, mais pour l’affirmation de ses principes et de sa vision du monde. De bois, André Boniface avait la tête par moments, mais pas la langue. C’est curieux, à l’annonce de son grand départ, on a revu des passes croisées sous le soleil des phases finales, mais aussi des discussions enfiévrées, comme des prêches de missionnaires autour d’une table avec des verres qu’on fait glisser pour figurer les subtilités du jeu de ligne, la prise des intervalles, les cadrages-débordement et les passes à satiété.

Dans un ouvrage de 1979, nos prédécesseurs au Midol, Georges Pastre et Pierre Verdet avaient écrit ces lignes magnifiques sur une soirée parisienne d’après match du Tournoi : "Près du bar, un beau jeune homme, au visage ciselé comme l’Hermès de Praxitèle parle avec passion. L’auditoire est suspendu à ses lèvres. Il livre des batailles avec ses mains qui avancent et se croisent sur la surface polie de la table. "Si tu donnes trop tôt, le défenseur glisse…" Curieux cours de nuit, mais le professeur est tellement convaincant que même les pires cancres trouvent un cadrage débordement facile. La voix forte d’André Boniface domine le tumulte de ce forum où les chants basques dominent les discours politiques." Quand il jouait à domicile, une heure avant de se rendre au stade Barbe d’Or, André Boniface aimait écouter l’opéra de Verdi, Nabucco et son fameux chœur des esclaves. Il fermait alors les yeux et imaginait une action qui partait à l’infini avec une balle de cuir qui passe de main en main. Le cuir, ce fut finalement la matière première de son existence. "Mon paternel était sellier-bourrelier, il était très manuel, il avait le goût du cuir. Le goût du ballon nous est peut-être venu de là. J’avais le plus beau cartable du lycée, mais il ne nous a jamais faits de ballon, mes parents n’en ont même jamais acheté."

Le Stade montois cuvée 1961.
Le Stade montois cuvée 1961. MIDI-OLYMPIQUE - PHOTO ARCHIVES

On voyait le stade depuis la maison familiale de Montfort en Chalosse, mais ses géniteurs ne l’ont jamais poussé à devenir un as de l’ovale. Sa maman n’assista même jamais à un match de rugby de sa vie. Le rugby pour lui, fut une affaire de copains, de retrouvailles après l’école. "En rentrant, le soir, on passait au stade, on posait les cartables et on jouait jusqu’à la nuit tombée." Mais un jour, il avait reçu le coup de pouce d’un instituteur désireux de récompenser une classe qui avait fait des efforts d’orthographe. Il offrit à ses élèves un ballon : "Un jouet magnifique, un cadeau tombé du ciel. Je ne suis pas sûr que notre enseignant ait bien fait le compte de nos erreurs pour ne pas se priver lui-même de cette merveille. Un ballon très ventru avec ses lacets en cuir et cette grosse peau qu’il convenait de graisser et de cirer pour lui donner la patine des objets authentiques. Nous avions tant de soins pour lui qu’à la réflexion, je me demande si ce n’est pas pour ça que nous avions rendu obligatoire le jeu à la main et interdit le jeu au pied qui risquait de nous l’abîmer."

Le rugby, comme une éthique et un état d’esprit

Ce 8 avril, André Boniface est allé rejoindre son frère Guy au ciel et au paradis des grands attaquants. Ce nom deux fois béni est associé à quelque chose de plus que la simple chronique des exploits sportifs. André Boniface a personnifié autre chose que la performance pure, il a incarné le rugby vécu comme une état d’esprit, une éthique même. Il fut pendant près de vingt ans le totem d’un jeu d’attaque assumé, le fameux french flair, formule incontournable usée jusqu’à la corde sans doute, mais qui fut inventée pour lui, ou à cause de lui. Personne ne peut contester qu’elle est née de l’imagination d’un journaliste anglais en 1963, alors qu’André était à son zénith. Il avait 29 ans et devait être sacré champion de France avec Mont-de-Marsan aux côtés de Guy. La célèbre finale face à Dax avait été irrespirable et fermée, mais les deux frangins avaient réussi une passe croisée d’école pour envoyer leur ouvreur Alain Caillau à l’essai, refusé par un arbitre hors de forme. André Boniface ne faisait pas de ce sacre, le moment le plus allègre de sa carrière, il lui préférait la demie remportée face à Lourdes, 9-8, un sommet du rugby tel qui le concevait.

André Boniface balle en main.
André Boniface balle en main. Midi Olympique

On ne peut pas comprendre l’admiration et la jalousie qu’il suscita sans se figurer qu’à son époque, le rugby ressemblait souvent à une bataille de tranchées. On pouvait taper directement en touche de n’importe quel endroit du terrain, trop d’équipes se complaisaient dans des tactiques cyniques. Avec un peu d’agressivité, plus une pincée d’intimidation, sucrée de quelques rebonds chanceux, on pouvait se retrouver premier de sa poule et qui sait, champion de France.

A lire aussi : Carnet noir – Qui était André Boniface et pourquoi il compte parmi les légendes du rugby français

Dans ce contexte propre à toutes les facilités, André Boniface eut le mérite de garder son cap, le jeu de passes dans les espaces libres et dans le temps juste. « J’ai toujours pensé que le style ne nuisait pas à l’efficacité » revendiqua-t-il plus tard. Qui se souvient qu’avant son avènement, le Stade Montois était une équipe de terreurs autour du talonneur Pascalin ? Après lui, la préfecture des Landes serait synonyme d’académie de l’offensive, marquée par l’exigence et surtout récompensée par quatre titres majeurs, trois Du-Manoir et un Bouclier de Brennus. Comme quoi, l’adage de « Boni » sur le style et l’efficacité n’était pas une bravade. "À Mont de Marsan, il y avait Jesus et André Boniface" nous narra un jour Thomas Castaignède, l’un de ses successeurs.

Le chef d’œuvre de 1965

Sa longue carrière fut jalonnée de quelques matchs célèbres, outre la finale 1963, on le renvoyait souvent au match France-Galles de 1965, où du moins à sa première mi-temps, sommet d’un jeu d’inspiration. Après maintes galères et mises à l’écart, André, 30 ans, retrouvait la sélection, son frère Guy et de leur disciple Jean Gachassin à l’ouverture. 22-0 à la mi-temps, après quatre essais de toute beauté. Les Gallois venus pour l’apothéose d’un Grand Chelem sont estourbis. André, est au cœur de la démonstration magistrale de jeu à la française. On ne se lasse pas de la façon dont il redresse sa course sur le troisième essai, le plus beau, pour sceller un une-deux d’école avec son frère et envoyer André Herrero à l’essai. Les plus jeunes gavés d’actions au long cours, c’est sûr, auront du mal à comprendre la force instantanée de ses images, pourtant parfaitement captées par la télévision en noir et blanc. Ces 40 minutes furent sans doute l’acmé d’un parcours impressionnant, mais accidenté, tant il fut marqué par les bisbilles, les polémiques, les exclusions, les querelles idéologiques. "Votre Boniface n’a rien à faire dans le rugby, il ne supporte pas l’injustice", dit un jour Albert Ferrasse à son propos.

Soirée de gala pour célébrer la légion d'honneur décernée à André Boniface. Avec Jean Gachassin, Jean Prat, Philippe Alliot, André Boniface, Jean-Claude Killy et Jean Glavany, de gauche à droite.
Soirée de gala pour célébrer la légion d'honneur décernée à André Boniface. Avec Jean Gachassin, Jean Prat, Philippe Alliot, André Boniface, Jean-Claude Killy et Jean Glavany, de gauche à droite. MIDI-OLYMPIQUE - PHOTO ARCHIVES

Avec le recul, son total de 48 sélections semble rétrospectivement hallucinant. S’il avait été moins cabochard, il aurait battu tous les records. Son séjour en sélection a duré douze ans, de 1954 à 1966, avec des éclipses que la presse adorait mettre en scène. André s’écharpait avec des sélectionneurs qu’il jugeait frileux et sans ambition. Indignes de son talent en somme. Roger Lerou, Guy Basquet, Marcel Laurent furent ses bêtes noires. Il se chauffait aussi avec certains capitaines comme François Moncla. Même à Mont-de-Marsan, il ignorait parfois les consignes de Fernand Cazenave quand il lui demandait d’y aller mollo. Mais André avait aussi ses mentors, les Lourdais Jean Prat, son frère Maurice et Roger Martine. Michel Crauste aussi, son relais parmi les avants. Ses meilleures années tricolores furent les crus 63-64-65 sous l’autorité de Jean Prat entraîneur, et de Crauste capitaine. Et puis, il était alors associé à Guy son jeune frère, dont l’existence fugace rendit son destin plus exceptionnel encore. Son cadet le quitta soudain la nuit de la Saint-Sylvestre 1967-68 des suites d’un accident de voiture. André a chéri son souvenir pendant 56 ans avant d’aller le rejoindre pour reformer la paire mythique au Paradis des attaquants, ceux qui ont sauvé le rugby des années 60. Ce sont les Britanniques qui l’on dit, quand la force de conviction d’André et des attaquants français a triomphé de tous les obstacles et tous les conservatismes, ce jeu était en train de mourir.

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Les commentaires (3)
CasimirLeYeti Il y a 20 jours Le 09/04/2024 à 17:34

Si "Boni" a eu un mentor, c'est Jean Dauger de l'Aviron Bayonnais, lui aussi injustement privé de maintes sélections, c'est lui qui lui apprit que la passe, cette offrande, était plus importante que de marquer un essai...

Berniel Il y a 20 jours Le 08/04/2024 à 21:01

A Dieu Dédé! J'ai fait ta connaissance il y a une trentaine d'années par l'intermédiaire de Patrick Nadal pour qui tu as été depuis l'enfance le modèle à imiter! Que de bons moments passés au stade Barbe d'or, en compagnie d'autres mythes , Dauga, Darrius, entre autres... salue Guy là-haut! Tu nous manqueras...

Passe-partout Il y a 21 jours Le 08/04/2024 à 15:29

C'était autre chose que les "Autobus" d'aujourd'hui !
Qu'il aille sereinement retrouver son frère Guy et tant d'autres, dont notre ami Viennois Jacky BOUQUET, au paradis d'Ovalie !