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Hommage - "Je ne veux pas inspirer la pitié...", quand Doddie Weir racontait son combat contre la maladie de Charcot

  • Doddie Weir lors d'un match de Coupe du monde en 1999 Doddie Weir lors d'un match de Coupe du monde en 1999
    Doddie Weir lors d'un match de Coupe du monde en 1999 - PA Images / Icon Sport
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L'ancien deuxième ligne du XV du Chardon Doddie Weir est décédé le 26 novembre 2022 des suites de la maladie de Charcot. Un homme à l'humour "british", gaillard pour deux, que le Midi Olympique avait eu la chance de rencontrer en février 2018. À l'aube d'Écosse-France et après que la septième édition de la Doddie Weir Cup a été remporté par l'Écosse samedi dernier, voilà l'occasion pour nous de se remémorer quel grand bonhomme il fut.

Doddie Weir a perdu la vie le 26 novembre 2022. L’ancien deuxième ligne du XV du Chardon (61 sélections de 1990 à 2000) et des Lions britanniques avait été diagnostiqué porteur de la maladie de Charcot en 2016 et depuis, avait combattu comme un fauve pour repousser l’inéluctable. Il fut l’un des avants écossais les plus fougueux de l’histoire et, du haut de ses 2 mètres et des poussières, une bénédiction pour un alignement celte qui, avant lui, n’inspirait guère la crainte. Comparé à « une girafe folle » par Bill McLaren, l’ancienne voix de la BBC, Doddie Weir avait pour lui, hors du terrain, une gouaille incroyable, un sourire d’enfant et cet humour so british dont il se servait, les dernières années de sa vie, pour désamorcer les mines accablées qui s’approchaient de lui, au gré des circonstances. Au sujet de Weir, l’ancien coach des Lions britanniques racontait récemment : "Doddie avait le pouvoir de s’allumer et s’éteindre en un clin d’œil. Quand il était éteint, il se comportait comme un gosse, vous poussait pour vous déséquilibrer puis vous coinçait au sol avant de vous coller son immense doigt dans l’oreille. Et quand il s’allumait, le plus souvent au moment des hymnes, il devenait un tout autre animal : concentré, féroce et dangereux".

Au "Petit Paris" de Grassmarket, un café français du quartier branché d'Edimbourg, Doddie Weir (47 ans) passe commande à un serveur qui lui rend un peu plus de quarante centimètres. "Un verre de vin rouge et un café, s'il vous plaît." Drôle de mariage, pour un drôle de mec. Weir, c'est deux mètres et des poussières d'humour british débité dans un accent écossais à couper au couteau, à fendre les bûches. Il vient à peine de tremper ses lèvres dans son verre de picrate qu'il s'empare du smartphone posé sur la table et censé enregistrer la conversation.

"C'est votre femme, en photo ?

- Oui.

- Elle est bien plus jolie que vous ne l'êtes. Vous devez avoir un talent caché."

Il explose d'un rire sonore et la déflagration secoue les murs en brique du "Petit Paris", où quelques supporters des Bleus ont pris place, attendant le coup d'envoi d'Angleterre-Galles. Certains d'entre eux ont reconnu l'ancien deuxième ligne du Chardon. Ils lui lancent un clin d'oeil, se comparent à son immensité, grattent une photo. Doddie Weir dit alors que "Merle et Roumat mis à part", les Français ont toujours été adorables avec lui. "En 1993, on perd au Parc des Princes. A la sortie du banquet d'après-match, je vois six motos de policiers garées devant notre bus. Je m'approche de la première, grimpe à l'arrière et je dis au gars : "Tu m'emmènes où, camarade ?" Le mec s'est marré et a démarré. On a bu quatre pintes sur les Champs Elysées puis il m'a ramené à l'hôtel. Il ne parlait pas anglais et mon français se limitait à "bonjour", "merci". Mais on a passé un moment extraordinaire, ce soir-là."

De 1990 à 2000, Doddie Weir a donc affronté neuf fois les Bleus. "Gagné trois, perdu six." Il jure n'avoir rien oublié de la chistera de Gregor Townsend, qui permit aux Ecossais de mettre un terme, en 1995, à 25 ans de disette à Paris. Comme il se souvient parfaitement de Gavin Hastings, esseulé au banquet d'après-match et trahi par un traducteur nommé Damian Cronin, deuxième ligne des London Scottish, autoproclamé francophone : "Gavin avait sorti le speech classique, remerciant les Français pour leur accueil, les félicitant pour leur magnifique victoire et blablabla, blablabla... Puis Damian s'est saisi du micro pour traduire aux Français les mots de notre capitaine : "Gentlemen, je suis en retard parce que j'ai descendu quelques bières au bar de l'entrée. A cet instant précis, je préfèrerais certainement être avec ma femme mais on m'a demandé de parler, alors je vais vous raconter trois conneries avant d'aller rechercher le serveur..." Les Français étaient morts de rire."

Le dernier voyage

Le temps du rire est interrompu par un soupir, précédant la seconde partie de l'interview. Il y a quatorze mois, un médecin a donc annoncé au géant de Galashiels qu'il souffrait de la maladie de Charcot, une affection neurodégénérative ayant emporté avant lui Joost van der Westhuizen, le demi de mêlée des Springboks. "Sur le terrain, il fallait trois mecs pour l'attraper. A la fin de sa vie, il ne buvait plus seul." Chez Doddie, les premiers symptômes sont apparus en novembre 2015. "Je me suis coincé le bras dans une porte. Je pensais que ce n'était rien." Au fil des jours, le fermier des Borders perdait néanmoins en force. La poigne de sa main droite semblait faiblir, la peau de ses avants-bras était en permanence secouée par d'étranges frémissements. Deux mois d'examens médicaux ("C'est long, hein ? Je crois que les médecins ont eu du mal à trouver mon cerveau, lors du scanner...") accouchaient finalement du terrible verdict, à propos duquel il écrira dans le Telegraph : "J'ai reçu des coups de coude de Martin Johnson, des coups de poing de Wade Dooley. Mais jusque-là, on ne m'avait jamais assommé comme l'a fait ce médecin..." Dans le même temps, sa mère Nanny luttait contre un cancer, son fils aîné (Hamish, 16 ans) préparait des concours importantissimes et Doddie ne savait pas vraiment comment annoncer la nouvelle à son entourage.

Le jour où il se décida à briser le silence, il réunit les garçons dans le salon de la maison familiale, à Galashiels: "Ils ont eu peur, c'est normal. Hamish a tout de suite cherché des infos sur internet. Il s'est vite rendu compte qu'il n'y avait rien à faire... Pour couper court à leurs pleurs, je leur ai annoncé qu'on partait dans quelques semaines en Nouvelle-Zélande pour la tournée des Lions." La famille Weir resta plus d'un mois au bout d'un monde mais, passé l'extase d'un inoubliable voyage, le retour à la réalité fut difficile. Six mois plus tard, Doddie Weir est encore indépendant mais voit peu à peu son corps le trahir : "Je n'arrive plus à boutonner mes chemises et ne suis plus capable de porter une pinte de bière seul... Petit à petit, mes muscles disparaissent. Bientôt, je ne pourrai plus manger, boire, respirer." De fait, la maladie de Charcot peut tuer en trois semaines comme en dix ans. "La moyenne se situe entre un et deux ans", coupe-t-il dans un haussement d'épaules. À cet instant-là de l'interview, on doit tirer une tronche pas possible. Lorsqu'il s'en aperçoit, il éructe, faussement agressif : "Changeons de sujet ou on va tous chialer ! Je ne veux pas inspirer la pitié !"

En croisade contre le système

Doddie Weir, marié à Kathy et père de trois adolescents (Hamish, Angus et Ben), sait que les jours sont comptés. Alors qu'on lui demande si la foi lui est d'un quelconque secours, il secoue la tête, nous rappelant par l'anecdote le seul échange qu'il ait jamais eu avec le Très Haut : "À 27 ans, j'ai eu un grave accident de la route. La voiture était brisée, j'étais dans un sale état. Dans mon demi coma, j'ai dit à Dieu : "Si tu as besoin d'un deuxième ligne, prends moi maintenant." Il ne l'a pas fait." Il marque une pause, reprend : "Je crois qu'il voulait que je devienne son chevalier contre la maladie de Charcot. Alors, je me bats contre cette saloperie. Je me bats contre le système." Doddie Weir explique à présent que les laboratoires phramaceutiques ont stoppé depuis bien longtemps leurs recherches sur la maladie de Charcot. "Ils se disent : "À quoi bon chercher un médicament pour une affection ne touchant actuellement que 450 personnes au Royaume-Uni ? Quels seront les bénéfices, pour nous ?" Si je suis parti en croisade, c'est pour tenter de changer tout ça." Via des dîners de charité, en mobilisant la famille du rugby et en lançant le "Doodie Gump", une communauté qui marche, court et combat pour lui, l'ancien deuxième ligne a récolté des centaines de milliers d'euros, destinés à aider une poignée de scientifiques indépendants dans leurs recherches. 

"Des enfants de l'école de Stow ont par exemple récolté 320 000 euros en vendant plus 15 000 boîtes de cookies dans leur région. Pour soutenir la cause, un homme a aussi couru 80 kilomètres entre l'Ecosse et l'Angleterre, un haggis (panse de brebis farcie) entre les pognes. Quant à John Beattie (le père du troisième ligne de l'Aviron bayonnais), il a récemment organisé un gigantesque concert à Edimbourg. Tout le monde se bouge. Et ça me touche." Peu avant de dire au revoir, sa bouille ronde se fige dans un sourire d'une infinie tendresse. Il conclut : "L'énergie déployée m'aide à oublier que je ne verrai probablement pas mes garçons grandir, que je ne serai pas là pour débriefer leurs matchs de rugby, les serrer dans mes bras ou les mettre mal à l'aise devant leurs petites amies. Mais je n'ai aucune requête, aucun regret..."

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Les commentaires (1)
grimin777 Il y a 2 mois Le 08/02/2024 à 09:28

Doddie merci pour tes prestations et tout ce que tu as apporté aux tiens et reposes en paix.