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Le poids du silence

Par Léo Faure
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Publié le
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Vainqueur d’Oyonnax dimanche, Aurillac a célébré dans la victoire la mémoire de Louis Fajfrowski, son jeune joueur décédé une semaine plus tôt. Récit d’une journée glaçante.

Il flottait, sur le stade Jean-Alric d’Aurillac, tout sauf une ambiance de fête. Les supporters, pourtant, étaient bien là au rendez-vous. Mais c’est ce silence, celui de tous, qui interpellait déjà plusieurs heures avant le match. Un silence qui perdurera jusqu’à l’approche de la rencontre, malgré une sono crachant quelques sons rocks auxquels personne n’avait le cœur. 

Aux abords du stade, sur la clôture donnant sur le boulevard Louis-Dauzier qui monte, en suivant, vers le verdoyant parc Hélitas qui surplombe le stade, la réponse était donnée, immédiate, à cette fausse quiétude : une vingtaine de bouquets de fleurs suspendus ; quelques mots et des photos de Louis Fajfrowski accrochées, entremêlées dans les mailles du grillage. Toute baignée d’un lourd soleil faisant la nique aux clichés, Aurillac n’était pas paisible, ce dimanche. Aurillac était en deuil. Et dans une pudeur toute auvergnate, sans exubérance, la cité cantalienne retenait ses larmes. 

La dignité de Paul et Margot

Tôt dans l’après-midi, les joueurs aurillacois avaient été les premiers à investir les lieux. Chef de meute, l’entraîneur Andre Bester devançait ses troupes au moment d’entrer dans le stade. Il tenait solidement un portrait de Louis Fajfrowski qu’il accrochera, quelques minutes plus tard, dans les couloirs de Jean-Alric. Face aux vestiaires de ses hommes, pour qu’ils le voient chaque fois qu’ils entreront sur leur terrain. L’heure était au recueillement, déjà. Sur le banc des remplaçants, journal en mains, le capitaine Paul Boisset tentait bien quelques blagues. Personne ne le relançait vraiment. Des discussions sans but, pour remplir le vide. 

Le temps s’est alors figé une première fois, aux alentours de 14 h 45. Une heure et demie avant le match, dans un stade encore vide. Épaules basses, regard dans le vide, habillé des chaussettes, short et maillot du Stade aurillacois, Paul Fajfrowski, petit frère de Louis, s’est avancé le long de la main courante, côté pelouse. Sans un mot, il est passé saluer l’encadrement technique cantalien. Paul appartenait à un protocole d’avant-match dont il ne voulait rien, il y a dix jours. En ce dimanche de vacances, il aurait pu être avec ses copains de Saint-Jean-de-Védas, où il joue aussi au rugby. À la plage, en ville ou peu importe. 

Paul Fajfrowski s’est finalement avancé, à 16 h 15 sur la pelouse de Jean-Alric, pour donner le coup d’envoi de la rencontre. Accompagné de Margot, compagne du joueur aurillacois disparu. Deux jeunes, 20 ans à peine, d’une dignité remarquable dans la douleur. « Il fallait qu’on soit là, c’était important. Ça me paraissait impossible de rater ce premier match, même s’il a été dur de revenir ici pour la première fois, dans ce stade », raconte la jeune fille. Sans trembler. « Je voulais donner le maximum de force à l’équipe. Toute la force que Louis leur aurait donnée. C’était important d’être là parce que je sais qu’eux, les joueurs, seront toujours là pour moi. Le simple fait d’avoir croisé leurs regards, au bord de la pelouse lorsqu’ils rentraient aux vestiaires juste avant le match, j’espère que ça les a aidés. » Depuis le début de la semaine, Margot est présente, auprès du groupe professionnel aurillacois. « Je leur ai parlé le lundi, j’en avais besoin. Parler, c’est ma motivation pour tenir. » Au moment d’entrer sur la pelouse à son tour, pour exécuter ce coup d’envoi symbolique, la compagne a pris le petit frère par le cou, dans le creux de son bras. Il était l’heure. « Paul, je ne le lâche pas. Depuis le début, on se soutient. On a besoin l’un de l’autre, en ce moment. À deux, on est plus forts. » 

Une polémique indigne

De jeunes gens, ils étaient même plus nombreux encore, à garnir la tribune officielle du stade cantalien. « Tous les amis de Louis sont venus. Ceux des clubs par lesquels il est passé, à Saint-Jean, Montpellier ou Aurillac. C’est bien qu’ils soient là. » Christian Millette, le président du Stade aurillacois, avait la mine dépitée avant la rencontre. « Ce sont des moments horribles à vivre. Je suis un président de club qui a perdu un joueur. Je suis surtout un père et un grand-père. Je ne peux que me projeter sur la douleur de sa famille et plus particulièrement de ses parents. Plus qu’aux membres de leur club, c’est à eux que je pense aujourd’hui. L’épreuve qu’ils traversent est effroyable. » Trop marqués, les parents de Louis Fajfrowski n’avaient pas fait le déplacement, ce dimanche vers le Cantal. Margot et Paul ont assumé. « Pour l’instant, ça va. Ça sera dur, très dur à la fin du match », confiait la jeune fille, à la mi-temps du match. « Je ne sais pas comment l’expliquer. Je me dis que c’est un peu la fin de cette parenthèse douloureuse. Et le début de la suite. » 

Une parenthèse qui se serait bien passée d’une polémique indigne. Quelques esprits chagrins du Haut-Bugey s’étaient émus, dans la semaine, du report du match et de la date choisie, arguant d’un problème de récupération qui paraissait bien dérisoire, au regard du contexte. Timing nauséabond. À cette évocation, le président Millette a simplement secoué la tête, dimanche, en regardant vers le sol. 

Cela ne changera rien. Pour la petite histoire, Oyonnax a perdu un dimanche après-midi, comme il l’aurait certainement fait un vendredi soir moins malheureux. Pour la grande Histoire, Louis Fajfrowski peut être sacrément fier de ses copains. 

Lesquels, le temps d’une dernière vidéo hommage diffusée sur les écrans géants après la rencontre, pouvaient enfin laisser aller leurs larmes.

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