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Le magnétisme d’André Herrero

Par Jacques Verdier
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    Le magnétisme d’André Herrero
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Le rugby est un sport collectif de combat réglementé. Où se situe la limite ? Au gré des époques et des mœurs, elle a fluctué. Et certains ont su en jouer. Midi Olympique vous propose une série de portraits de ceux qui ont joué, par le passé, le rôle de « justicier » pour leur équipe. Cette semaine, André Herrero, le légendaire numéro 8 toulonnais.

C’était quand ? Il y a si longtemps. 1977, peut-être. Un bar de province au centre d’une place. Le Stade toulousain de Gérald Martinez avait affronté quelques mois plus tôt le Nice d’André Herrero. Goguenard, vibrionnant, assis et bientôt debout, conteur dans l’âme, Gérald racontait pour une assistance acquise à sa cause, l’entrée en matière d’André sur le terrain. À 35 ans, « le grand sachem » ne s’accordait plus guère qu’un rôle de remplaçant de luxe, mais son aura, sa présence, ses colères contre l’ordre établi, composaient une personnalité fascinante pour les jeunes gens que nous étions. « Quand je l’ai vu entrer, j’ai vite compris… J’ai surpris le regard de mes avants. Et là j’ai su que plus rien ne serait pareil. »

En rajoutait-il Gérald ? C’est plus que probable. En parfait cabotin, il ménageait ses effets, jouait de ses mimiques, emportements. Le rugby d’alors, rarement télévisé, se contait il est vrai le plus souvent par voie orale. Il y avait toujours quelqu’un, au café du commerce, pour témoigner, prolonger, amplifier les exploits que l’on avait ratés. Et là, donc…

« Sur la première touche, André a dit : « Michel (Sappa, N.D.L.R.) tu prends le ballon et on déroule en fond. Claude (Lacaze) tu viens dans le fermé. » Il parlait à ses hommes comme s’il s’agissait d’un entraînement, poussait les nôtres d’un mouvement du bras comme s’ils n’existaient pas. Parfois, il s’arrêtait, criait « en avant » et l’arbitre sifflait immédiatement. Les choses se passaient comme il les demandait. Nice avançait, déroulait. André criait : « Attendez-moi ! À droite ! À gauche ! » Et nous on reculait, on reculait… On n’en finissait plus de subir. À un moment, n’y tenant plus, je me suis exclamé : « Ça va, André ? Tu n’as besoin de rien ? » » 

Gueule d’empereur romain

Rire de tout le visage. Rire de l’assistance. On ne construit pas autrement les légendes. André Herrero et sa gueule d’empereur romain, au visage carré, aux yeux si bleus qu’il semblait impossible de soutenir son regard, passait à bon droit, pour un chef charismatique, adulé par les siens, craint par ses adversaires, redouté par les arbitres auxquels il dictait, plus souvent qu’à son tour, le comportement à tenir. « Quand il m’a regardé, dans le couloir du stade Chaban-Delmas de Bordeaux, lors de la finale de 1971, j’ai eu peur », m’assura un jour Armand Vaquerin. Peur, Armand ? C’était à ne pas croire. « J’avais 20 ans, j’étais impressionné. »

Dans un même ordre d’idées, j’entends encore René Bénesis, talonneur du XV de France et d’Agen, me dire : « En 1976, on a pris Nice en quart de finale. On a gagné ce match comme par miracle. André commentait, arbitrait, jouait, nous foudroyait de son regard bleu. Il avait une emprise incroyable sur ses hommes. On était tous tétanisés. On a d’ailleurs eu si peur, ce jour-là, qu’on s’est réunis dans les jours qui ont suivi pour faire notre autocritique. Je crois bien que c’est grâce à lui qu’on a été champions de France cette année-là… » Un justicier, André Herrero ? Pas vraiment au sens où on l’entend généralement. « Je n’ai jamais vu André donner un coup de pied, m’assurait Jean-Claude Ballatore, son partenaire, son ami. Il pouvait filer des calottes, tenir ses adversaires à distance de sa poigne de fer, jouer de son regard, mais il n’a jamais dépassé les bornes. Jamais ! » À Toulon, entre beaucoup d’autres, Loris Pedri, son ami d’enfance, confirme largement. 

D’où vient alors qu’il ait été craint comme personne ? « Du magnétisme que dégageait son regard, témoigne aujourd’hui encore Christian Montaignac, longtemps grand reporter à l’Équipe. Je n’ai jamais vu quelqu’un en imposer de la sorte. Il fascinait au sens propre. Fouroux qui avait lui aussi les yeux bleus en était jaloux. » « De son courage exceptionnel, surenchérit Loris Pedri. Ses adversaires redoutaient ses charges, son caractère, cette façon qu’il avait d’aller toujours de l’avant. Contre lui, personne ne mouftait. André, sur un terrain, c’était un seigneur. » 

André Boniface : « Un joueur exceptionnel »

Au vrai, le concernant, les superlatifs pleuvent, qui ajoutent tant d’années après à la légende, l’enrobent de malice. « C’est le plus bel athlète qu’il m’ait été donné de voir », m’assurait un jour Pierre Albaladejo. « C’était un joueur exceptionnel, commentait à son tour André Boniface. Naturellement fort, endurant, rapide et extrêmement courageux, mais qui possédait en plus un sens aiguisé du jeu. » « Il m’a beaucoup marqué, arguait, dans une même disposition de cœur, Walter Spanghero. Quand j’ai débuté en équipe de France, Michel Crauste et lui étaient mes idoles. Avec des mecs de cette trempe, tu ne risquais pas grand-chose. » 

D’où le capitaine au long cours, l’entraîneur de Toulon et de Nice, dont Roger Charpentier, le pilier nissart, saluait naguère la compétence, le goût du détail. « Avec lui, tu mettais le doigt là, mais pas là ! Il était intransigeant sur la technique. » 

Autre chose ? Oui, quand même et des plus drôles. Un jeune deuxième ligne du Stade toulousain affronte Toulon, à Mayol, au cœur des années 1960 et a le mauvais goût de prendre les trois premiers ballons en touche. Sur la suivante, André s’approche du jeune espoir, lui saisit le bras et lui dit : « Maintenant ça suffit ! » Et là, le joueur en question commente : « Je me suis retourné vers lui, mais j’étais si impressionné que je lui ai dit : « Oui, Monsieur ! »» Ça ne s’invente pas !

Alors, bien sûr, André, figure iconique des années 1960-1970, n’avait pas que des amis. Son côté abrupt, intolérant, son manque de nuances, ses prises de position politiques, ses éclats ravageurs, son incapacité à supporter l’injustice, en firent un homme à brouilles, à ruptures. Et de fait, on l’aimait ou on le détestait. L’indifférence, à son propos, était rarement de mise. Rien ne compte pourtant plus, à mes yeux, le temps aidant, que l’inépuisable vitalité, les caresses hérissées de griffes, l’indéfectible gentillesse, la vraie générosité. Je m’honore de l’amitié qu’il a bien voulu m’accorder et voudrais témoigner du profond respect qu’il m’a toujours imposé, de sa force de caractère, du charme qu’il dispensait et qui se reflétait dans le regard des filles. De Jo Maso à Patrick Nadal, d’Éric Buchet à Éric Champ, ils sont des dizaines à partager ce sentiment, à saluer sous l’écorce parfois grossière, plus empruntée qu’il n’y paraît, un homme d’honneur et de principes. 

À cette heure tardive où le monde perd ses repères, où les hommes eux-mêmes ne savent plus trop quel rôle jouer, quelle attitude adopter, où les joueurs se taisent, où les entraîneurs se couchent, quel mec, justement, qu’André Herrero ! Quel foutu mec !

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