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Dans les pas de Jonah

Par Marc Duzan
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Publié le Mis à jour
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Disparu le 18 novembre 2015, Jonah Lomu a marqué l’histoire du rugby. Nous avons rencontré, en Nouvelle-Zélande, ceux qui le connaissaient le mieux…

Il appelait ça le « D Day ». Le jour de la dialyse. Depuis ses 20 ans, Jonah Lomu avait toujours su que sa vie se résumerait tôt ou tard à un tête à tête quasi quotidien entre « [lui] et la foutue machine », comme il avait l’habitude de la décrire à son épouse Nadene, dans un langage qu’ils étaient alors les seuls à comprendre. Plusieurs fois par semaine, l’ailier des All Blacks restait donc assis quatre heures dans une chambre d’hôpital, une perfusion plantée dans chaque bras. Les médecins lui prélevaient une immense quantité de sang, épuraient l’hémoglobine avant de l’injecter à nouveau dans le corps. Quatre heures de torture, parfois cinq. « Sept dans le pire des cas », raconte aujourd’hui sa veuve. À la fin de sa vie, Jonah assurait donc en savoir autant sur les maladies rénales que les plus éminents spécialistes en néphrologie…

Car Jonah Lomu était malade bien avant 2003, l’année où ses médecins jugèrent que seules les dialyses seraient en mesure de prolonger son existence. De fait, l’encadrement des All Blacks avait préservé le secret des années durant, ne révélant la maladie du plus grand joueur de l’histoire qu’en janvier 1997. L’un de ses docteurs, John Mayhew, se souvient : « Nous avons commencé à analyser ses urines peu après le Mondial sud-africain (1995). À l’époque, je lui avais demandé d’uriner dans des bouteilles parce que les échantillons me permettaient d’en savoir plus sur le taux de protéines que perdait Jonah au quotidien. » En 24 heures, le géant remplissait entre trois et quatre bouteilles, qu’il déposait docilement sous son lit. Le Doc poursuit : « En juin 1996, peu avant d’affronter l’Écosse à Dunedin, Jonah avait néanmoins oublié de me ramener les échantillons. Après l’entraînement, j’ai donc couru jusqu’à sa piaule pour les récupérer. Mais la femme de chambre les avait déjà tous jetés. Quand j’y repense, elle a vraiment dû nous prendre pour des dingues… »

Au fil de sa vie, Jonah Lomu avait appris à répondre à la fatalité et, aux yeux de Nadene et des enfants, il n’y avait pas de raison pour que la combativité de Jonah ne s’amenuise un jour. Après tout, n’avait-il pas repris le rugby de haut niveau six mois seulement après avoir été annoncé comme perdu pour la discipline ? Matin Toomey, l’ancien préparateur physique de la sélection néo-zélandaise, raconte : « Début 1997, les premiers jours de sa rééducation furent néanmoins très durs : le parcours qui lui prenait habituellement dix-huit minutes lui demandait deux heures d’effort. En le voyant s’arrêter tous les 100 mètres, on se disait tous que le retour à la compétition serait quasiment impossible. Il nous a bluffés. » Deux ans plus tard, à Twickenham, Lomu terrassait l’Angleterre à lui seul (30-16), en Coupe du Monde. À l’instant où il aplatissait un essai magnifique, le numéro 8 d’en face - Lawrence Dallaglio, alors au cœur d’un scandale mêlant poudre blanche et call-girl - lui assénait un violent coup de poing. Furax, Jonah se relevait avec l’envie d’en découdre avant de changer d’angle d’attaque : « T’as des problèmes, mon pote… T’as l’air nerveux… Trop de lignes, sans doute… »

 

Mangere, sa blessure

Ceux qui le connaissent le mieux jurent que cette forme de résilience prit sa source dans la maison familiale de Mangere, un quartier d’Auckland où les querelles entre gangs se règlent généralement à coups de machette. Son oncle avait d’ailleurs été assassiné par un gang samoan, les meurtriers ayant décapité David Fuko avant de se rendre compte qu’il n’était pas la personne qu’ils recherchaient… À cette époque, Jonah avait 15 ans et dépassait déjà d’une tête son père. Au fil des années, l’adolescent avait développé un fort sentiment de haine vis-à-vis de ce géniteur à la main leste, ouvrier modèle la journée et diable en claquettes le soir venu, lorsqu’il se décidait à sortir les bouteilles du placard.

Un week-end comme il y en avait eu tant d’autres, un week-end où Semisi passait sa colère sur sa femme Hepi, Jonah attrapa le pater familias par le col de la chemise, le jeta à terre et lui hurla : « Désormais, chaque fois que tu voudras battre l’un d’entre nous, tu devras d’abord passer par moi ! » À ces mots, Semisi entrait dans une rage folle et obligeait Jonah à quitter à jamais la maison de Mangere. « C’est sa tante Api qui l’a fait entrer au Wesley College, explique son ancien professeur Chris Grinter. À son arrivée ici, Jonah avait du feu dans les yeux. Il n’hésitait pas à se battre avec les plus grands pour marquer son territoire. Nous avions passé un pacte, tous les deux : dès qu’il sentait la colère monter en lui, il devait courir jusqu’à la salle de gym où l’attendait un gros sac de sable. Il se déchaînait alors dessus. »

 

Une lettre à Chirac !

Attachant, timide à l’extrême et plutôt ingénu, Jonah Lomu avait 20 ans lorsqu’il débarqua chez les Blacks. Éric Rush, l’ancien patron du VII néo-zélandais, se souvient d’un gamin fort comme un Turc, bercé de rugby à XIII et peu au fait des légendes urbaines de « l’union ». « Un jour où je lui racontais que le grand Colin Meads s’entraînait en portant un mouton sur chaque bras sur deux cents mètres, il m’a d’abord demandé qui était ce Monsieur Meads avant de s’interroger à voix haute : « Étaient-ils à ce point fatigués, ces moutons, pour qu’il les porte ? » C’était tout Jonah, ça… » Il n’était ainsi qu’un enfant (à 19 ans et 45 jours, il reste le plus jeune All Black de tous les temps) lorsqu’il fut appelé par Laurie Mains en équipe nationale afin d’affronter les Bleus à Auckland (20-23). Après ça, il lui fallut des années avant d’accepter la relance du bout du monde qui avait vu Sadourny et les Français aplatir le plus bel essai de tous les temps. « Jonah était trop dur avec lui, confie Mains. Il a toujours fait de cette défaite une affaire personnelle. Dix fois, vingt fois, j’ai dû lui répéter que ses coéquipiers n’avaient pas fait leur job en loupant des plaquages et en se montrant incapables de briser la contre-attaque… » Marqué dans sa chair par les défaites contre les Bleus, le grand Jonah perpétua jusqu’à sa mort une relation particulière avec la France, où il termina d’ailleurs sa carrière (à Marseille en 2010). En 1995, peu avant que les All Blacks ne posent le pied dans l’hexagone, Lomu écrivait même une lettre manuscrite au président Chirac, demandant prestement au plus haut personnage de l’État de mettre un terme aux essais nucléaires français dans le Pacifique. Jonah terminait sa lettre ainsi : « Monsieur, j’ai bien failli boycotter cette tournée mais me voici dans votre pays. Pour tout vous dire, je suis en grande forme et j’ai moi aussi très envie de placer quelques explosifs dans votre jardin… »

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