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Et puis, à la fin, tu meurs…

Par benoit_jeantet
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    Et puis, à la fin, tu meurs…
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C’est un soir de fête ordinaire, mais Fernando a l’alcool triste. Il a eu vent d’une rumeur : son club de toujours serait sur le point de fusionner avec l’équipe de la vallée voisine…

L’autoradio crachotait Romance in Durango -Une ballade plutôt bien bâtie. Texture folk. Assaisonnement tex-mex.  Suave. Mollassonne-, tandis que la  bagnole approchait du lieu du crime bucheron.  A cause d’un groupuscule de bonnes femmes tentant d’imiter avec conscience professionnelle  un concert de siciliennes slamant tous les malheurs du pauvre monde, au début Papa n’entendit pas- enfin, pas tout de suite-Fernando qui donnait encore de la voix, le souffle court, bestial, rauque. Ultime crachat au visage du corps inerte gisant à ses pieds. Et puis ses mains tellement pressées de violacer ce cou…Soudain réalisant l’essentiel de la scène- d’emblée ne supposant que trop ce qui, sans doute, l’avait précédé-  Papa freina d’un coup sec...
« Cette histoire d’entente avec ceux de la haute-vallée, dites, les gars, c’est une blague, au moins?! »  Deux minutes qu’il était entré, dans une fureur indescriptible, au bar des sports et de l’amitié et  Fernando ne décolérait toujours pas.
«  On dirait que c’est du sérieux. Les temps changent, que veux-tu…» Papa tentait, tant bien que mal, de ramener son vieux complice de première ligne à la raison.
« Moi je veux pas grand-chose. Mon toit. Mon travail à la foret. Et mon derby ! C’est pas trop demandé, ça, quand même…»
Une centaine de mètre séparaient la place de la salle des fêtes. Le tronçon de départementale qui y menait était jonché d’un pêle-mêle de manèges et de baraques à frites qui avaient réussi-on n’imaginait pas trop comment- à trouver leur place  au milieu des piles de bois innombrables- De vieux troncs noircis.- sur quoi essaimaient lichens et mousses de toutes sortes. Plusieurs décennies qu’ils devaient s’accrocher à leur petit radeau de la méduse personnel. La salle des fêtes n’était en définitive que l’ancien hangar d’une scierie tombée depuis longtemps en déshérence. Le jour baissait et un groupe de vieux, l’espadrille belliqueuse, étaient encore à se disputer la finale du tournoi annuel de pétanque.  De leur respiration sourde et lente aux petits bruits d’os dès que l’un ou l’autre s’apprêtait à lancer la boule, tout renvoyait à un pittoresque théâtre d’ombres. Ca fumait sec et il fallait les voir, ces bougres, l’haleine coriace, aboyant ça et là sous la lune leur soif de victoire. Avaient-ils seulement entendu l’immense craquement  de feuilles et de branches…
« Mais bon sang, ça vous fait rien, à vous autres, de savoir que notre club va disparaitre ? Pfuit ! Avalé par les autres, comme ça, en deux coup les gros ?!
«  Rien à voir, puisqu’on fusionne. » Michel qui avait poussé tant de mêlées avec Papa et le vieux bucheron, lui tout ce qu’il voulait, c’est qu’on continue à voir du rugby au stade. Alors s’il fallait s’entendre avec le vieil ennemi héréditaire de toujours, ma foi…
« Oui, c’est juste que les deux équipes n’en feront bientôt qu’une, tu vois. » Papa avait beau faire…
 Michel avait beau dire… «On change de nom, c’est tout. »
« Putain mais vous pigez que dalle ! Quand tu changes de nom, t’as plus d’identité, tu te renies et puis, à la fin, tu meurs… »
D’habitude, les soirs de fête, de bal encore mieux,  sous les deux tilleuls trois fois centenaires bordant l’abreuvoir de la place, il y avait toute une aimable animation. Teenagers âgés déjà. Couples faisant bande à part dans leur petite quarantaine. Et un tas d’inamicales vieillesses aux désirs point encore complètement ratatinés. Tous sous peu en nage dès les premiers flonflons. Au bord de flancher dans cet alcoolisme de proximité aussi brutal que militant. Or donc, ce soir-là,  à cette heure-là, sur cette place, même pas âme câline qui vive. A part le vieux Fernando et sa tronçonneuse. Non. Personne pour apprécier d’une oreille érudite  cette symphonie d’un monde ancien. Une symphonie mécanique, violente et sans issue. Personne dessous en tout cas.  Parce que, juste au-dessus, un homme grelottait littéralement de terreur…
« Enfin, le club a plus les moyens. Aujourd’hui, une équipe, ça coute pour un petit pays comme le notre. Et tiens, rien que les déplacements, l’intendance, le bus et tout, comprends que la trésorerie en souffre. Bientôt on pourra plus lutter à armes égales. Les joueurs vont partir. Et sans joueur, c’est simple, t’as plus d’équipe. C’est mathématique… » Papa avait dégainé l’argument qu’il pensait décisif.
« Oui et puis tu sais, le nouveau président à force de mettre de sa poche…Ensemble on sera plus forts. »  Michel y croyait-il lui-même. Un peu ? Beaucoup ?
«  Vous inquiétez pas, ce soir, si je le croise à la fête, je vais lui en toucher deux mots au Président. Ah ça…» Et ça c’était juste avant qu’il ne vide son huitième Ricard cul sec. Avant qu’il ne reparte comme il était entré. Comme une avalanche de mauvaise humeur crachant le feu et le plomb…
Les joueurs de pétanque pinaillaient toujours pour un point trop loin, un carreau sur place, un pied mordant d’un orteil à l’extérieur du cercle, tout à leur nomenclature bouliste commentée en patois vernaculaire, bobs Casanis et casquette John Deere fièrement exhibés face à la buvette extérieure vers laquelle  refluait, entre deux tubes, une cohue ruisselante de s’être un peu trop trémoussée après quelque twist and shout d’aujourd’hui.  Et c’était comme si les uns et les autres avaient à peine remarqué le vieux talonneur, lorsqu’il s’était avancé vers la salle, poings serrés, rage au ventre et cette colère qui lui griffait le visage.
En déboulant dans la salle des fêtes, à moitié ivre-mort, Fernando n’avait plus qu’une idée en tête : tout faire-tout tenter pour que le président de son club de cœur renonce finalement à ce funeste projet d’entente avec l’équipe honnie de la haute-vallée. Pour parvenir à ses fins, oui, Fernando était vraiment prêt à tout. A le menacer d’une raclée abondante. A agiter sa tronçonneuse sous le nez de la foule qui tenterait forcément de s’interposer. Et même à abattre l’un des deux tilleuls trois fois centenaires sur lequel  le pauvre homme…

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