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Baptiste Serin : Parle à mon père

Par Marc Duzan
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    Baptiste Serin : Parle à mon père
Publié le Mis à jour
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À Londres, Philippe Serin nous a conduits sur les traces de son fils, nouvelle coqueluche du XV de France.

Philippe Serin fait le pied de grue sur le parvis du Richmond Hill, l’hôtel jouxtant le pied à terre des Bleus dans la banlieue londonienne. Son fils doit arriver d’une seconde à l’autre avec, dans les poches, deux billets pour le crunch. « Il m’a demandé d’être discret, souffle Philippe. Je ne veux pas que Guy Novès me prenne pour un papa envahissant… » Entre Baptiste et son père, le protocole touche au rituel et remonte, semble-t-il, à une poignée d’années. « Depuis qu’il a 17 ans, je n’ai jamais raté le moindre de ses matchs internationaux. Baptiste me dit que ça lui fait du bien. » Et vu que Philippe, ancien troisième ligne de Mimizan et de Dax, est un mordu de rugby, les deux parties ont rapidement trouvé un terrain d’entente. Il poursuit : « En 2014, j’ai passé trois semaines en Nouvelle-Zélande pour le Mondial des moins de 20 ans. » Dans leur esprit, ce voyage devait être le dernier et, au crépuscule du match pour la cinquième place perdu par les Bleuets face aux Wallabies, le « petit » traversait donc l’Eden Park d’Auckland avant de tomber dans les bras de son père : « On était en pleurs. Baptiste me soufflait au creux de l’oreille : « L’aventure a été belle, papa ; il va maintenant falloir passer à autre chose. » Je lui répondais : « C’est ton dernier maillot frappé du Coq, mon fils. Garde le précieusement. » À l’époque, on pensait tous les deux que c’était fini. On croyait qu’il rentrerait dans le rang. » Philippe parlait en connaissance de cause. Plus jeune, lui avait quitté Mimizan pour l’US Dax, où il n’eut finalement jamais sa chance. « Là-bas, nous étions quinze troisième ligne. J’avais 26ans. Pour moi, le train était passé et ne m’avait pas attendu. Tout va très vite, dans ce monde-là… » Il marque une pause, jette un œil par la fenêtre, s’arrête sur Mathieu Bastareaud et Xavier Chiocci, rentrant au pas de la promenade dominicale. Soudain, son regard s’illumine. Un mélange d’amour et de fierté, probablement : « Ah ! Il est là ! » Baptiste, vêtu du survêtement du XV de France, s’engouffre dans le hall du Richmond Hill, embrasse son père. « Ça va ? T’as bien dormi ? Tu n’es pas stressé ? N’oublie pas de bien manger, hein ! » Le demi de mêlée du XV de France, en passe de découvrir Twickenham un jour de crunch, le rassure rapidement, un demi-sourire aux lèvres. Puis s’éclipse. On interroge le papa. « Des conneries ? Baptiste en a fait. Ado, il avait acheté trois cents œufs à l’épicerie du village. Il s’amusait à les lancer sur les voiture qui passaient à portée de jet. Quelqu’un s’est arrêté et Baptiste a fini au gnouf. Ce fut la seule fois. C’est un bon garçon, vous savez… »

 

Quand Philippe panse les plaies…

D’aussi loin qu’il se souvienne, Philippe a toujours connu son fils un ballon de rugby entre les pognes. À 4 ans, le « petit » accompagnait déjà le pater familias le dimanche, pour chaque match de Mimizan. « Il était dans les vestiaires avant le match, dans l’en-but pendant et, quand on avait fini, il se déshabillait comme un grand et prenait la douche avec nous. » Un éclat de rire ponctue le souvenir. Redevenu impérieux, Philippe poursuit : « Il voulait tout faire : du tennis, du foot, du rugby et de la pelote basque. Il dormait avec son ballon ovale, était dingue du Paris Saint-Germain de Ronaldinho, doué pour toutes les disciplines : après six mois de tennis, il était déjà classé 15/4. » Au retour de l’école, Baptiste mettait à profit l’absence de l’autorité paternelle - réquisitonnée sur d’autres fronts professionnels - pour jouer au rugby dans le jardin familial, à Parentis-en-Born. « Mon épouse (Marie-Pierre, N.D.L.R.) n’arrivait pas à le mettre à ses devoirs. Il ne les faisait que lorsque je poussais un coup de gueule. Le jour où sa prof de français lui a demandé ce qu’il voulait faire de sa vie, il lui a même répondu : « Rugbyman professionnel. » Baptiste avait 12 ans. » Décontenancés, ses parents lui ont aussitôt répondu que « rugbyman professionnel » n’était pas un « métier sérieux » avant de l’inciter à envisager une autre carrière. Vous connaissez la suite…

Éduqué à la dure et un brin old school, Philippe Serin n’a jamais fait le moindre compliment à son fil au terme d’un match de rugby. « Ma hantise, ce serait de le voir changer, le voir prendre le melon. Si cela arrivait, j’arrêterais d’aller le voir au stade, histoire de lui faire passer le message. » L’ancien troisième ligne, affable et diablement sympathique, guette toute sortie de route et panse les plaies du « petit », lorsque les critiques à son égard se font plus âpres. « Cela arrive, oui… » Le 24 décembre dernier, l’Union-Bordeaux Bègles s’inclinait contre la Section paloise à Chaban (16-18). « Ce jour-là, Baptiste avait manqué trois coups de pied et n’avait pas été très bon. » À la 63e minute, au moment où le demi de mêlée des Bleus était remplacé par Yann Lesgourgues, sa sortie du terrain était accompagné de quelques sifflets. Philippe enchaîne : « J’étais en tribunes. Cela m’a troué le cœur d’avoir, devant moi, des mecs que je ne connaissais pas siffler mon enfant. Je n’ai rien dit. La critique est importante. Il doit y être confronté. […] Il a été affecté mais je crois que cet épisode lui a finalement fait du bien. Il est descendu du petit nuage sur lequel il flottait depuis le match contre les Blacks, la chistera, enfin tout ça, quoi… » Meurtri, vexé, Baptiste Serin a baissé la tête et s’est confié, comme il le fait depuis six mois, à son mentor Yachvili. « Dimitri est très important dans la vie de Baptiste, poursuit Philippe Serin. Il vient à Parentis une fois par semaine. J’aurais trouvé normal que mon fils le rénumère mais il n’a jamais voulu d’argent. » Entre eux, le deal a été scellé sur le Bassin d’Arcachon, au restaurant de William Techoueyres. « Il veut juste aider Baptiste comme Jean-Michel Larqué l’a aidé, à ses débuts en équipe de France. »

 

« Tu crois que je les ai déçus, papa ? »

À Twickenham, sur les terres où la patte gauche du « Yach » avait permis aux Bleus de remporter le crunch de 2005, Baptiste Serin a rempli la mission qui lui était confiée. Dans le temps, Ben Youngs lui a offert son maillot. Un peu plus tard, Eddie Jones se déplaçait en personne pour le féliciter, d’un clin d’œil lourd de sens. Ce n’est pas tout. Le lendemain, l’ancien demi d’ouverture du XV de la Rose Stuart Barnes écrivait dans le Times : « Il faut du talent pour faire passer, d’une chistera malicieuse, les All Blacks pour des idiots. Serin a ce talent en lui. Il peut devenir le demi de mêlée français le plus rapide, le plus flashy depuis que Jérôme Gallion a tiré sa révérence. » Pas mal. Quoi d’autre ? « Dans le jeu que veut mettre en place le staff tricolore, analyse Guy Accoceberry, la vivacité de Baptiste Serin est précieuse. Il colle au ballon, anticipe les courses de ses coéquipiers et, surtout, sa passe est une merveille : un vrai laser. De la même façon que Conor Murray est la plaque tournante de l’équipe d’Irlande, Baptiste peut devenir celle du XV de France. »

Philippe Serin, fidèle à son habitude, ne fera le moindre commentaire sur le premier crunch du fiston. Philosophe, il se contentera d’un dernier avertissement : « Baptiste ne doit pas brûler les étapes. Je me souviens par exemple que lors de la tournée d’automne, il pensait jouer un peu plus contre l’Australie : « Je ne sais pas s’ils me font confiance. Tu crois que je les ai déçus, papa ? » Prends ton temps, attends ton heure, ils savent ce qu’ils font. N’oublie pas qu’au début, à Bordeaux, tu remplaçais Heini Adams trois minutes… » 

 

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