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[Dossier] Wolff : « Nos sanctions sont insuffisantes »

Par Léo Faure
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    [Dossier] Wolff : « Nos sanctions sont insuffisantes »
Publié le Mis à jour
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Docteur en sciences économiques, expert comptable et ancien vice-président de la Ligue Nationale de Rugby en charge du modèle économique, il insiste sur l’importance d’imposer aux clubs l’équilibre des exploitations.

En janvier dernier, vous démissionniez de la LNR en parlant, entre autres, de « modèle économique factice ». Pourquoi ?

(Il réfléchit) Le modèle était à l’époque, à mes yeux et ça n’a pas évolué, un modèle factice parce qu’il devrait avoir pour objectif, à terme, de vivre de lui-même. C’est-à-dire de ne pas perdre d’agent dans son exploitation. En clair, il est normal que quelqu’un qui rentre dans un club investisse dedans. C’est ce qui se passe en foot, par exemple, avec Franck McCourt à l’Olympique de Marseille. Si quelqu’un a envie de mettre de sa poche 5 millions d’euros par an pendant trois ans pour faire monter son club, pas de soucis. Mais cet investissement doit déboucher sur un équilibre d’exploitation, à court ou moyen terme. Il n’y a pas de modèle économique structurellement déficitaire et durable. Lorsque les déficits sont de l’ordre de 15 %, les mécanismes de réajustement par apport d’argent sont une rustine. Vous ne réglez pas le fond du problème.

Cette régulation devait être partiellement portée par le salary cap. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ?

Déjà, j’assume ce salary cap. J’ai beaucoup travaillé dessus, bien avant l’arrivée de Paul (Goze, N.D.L.R.) ou de Pierre-Yves (Revol). Mais j’ai toujours dit que le salary cap était un bon moyen d’attendre, pas une solution durable. Pourquoi ? Il présente l’intérêt de freiner les développements les plus excessifs mais il ne résout en aucune façon le fait que certains modèles économiques sont structurellement déficitaires et sans limite. Le salary cap avait pour vocation d’attendre la mise en place d’un système qui oblige l’équilibre d’exploitation.

En attendant, on en reste à un salary cap qui est allégrement contourné, c’est un secret de polichinelle…

Quand vous prenez les schémas du foot et que vous allez à l’international, le contournement est mécanique. Ça va paraître bizarre dans ma bouche mais je trouve même cela compréhensible. À partir du moment où certaines pratiques de rémunération ne sont pas vérifiables, pourquoi les plus riches s’en priveraient ? À mes yeux, nos sanctions sont insuffisantes parce que pas assez dures. Un règlement n’a d’intérêt que lorsque qu’il est dissuasif.

Le problème n’est-il pas que ces règlements et ces sanctions, ce sont les présidents eux-mêmes qui les fixent ?

Je suis contre les systèmes extérieurs de régulation. Un système qui fonctionne bien, il s’autorégule. À plusieurs reprises, il a été envisagé de créer la Haute autorité du sport. Cela aurait été rempli de vieux cons comme moi, pleins de sagesse et d’éloignement du terrain mais qui auraient disserté pour savoir si X ou Y est dans les clous. Je n’y crois pas du tout. Chez moi, en Auvergne, il y a le marché aux bestiaux de Saint-Flour. Il n’y a jamais un contrat écrit, jamais une facture. Vous tapez dans la main, c’est tout. Mais si jamais un des éleveurs ne respecte pas sa parole, il ne met plus jamais les pieds au marché de Saint-Flour. Il est exclu. L’auto-régulation, c’est cela. J’y crois beaucoup plus qu’à un mécanisme réglementaire de haute autorité.

Comment contraindre un milliardaire à limiter sa masse salariale à 10 millions d’euros ?

Les personnes en question, je leur en parle souvent sans jamais les convaincre : à la tête d’une entreprise, le but, c’est d’éliminer les concurrents. Dans un sport, si vous éliminez les concurrents, vous vous retrouvez seuls et vous avez tué le produit. Ils appartiennent à une communauté et il est dans leur intérêt de trouver un équilibre entre leurs ambitions personnelles et celles de la communauté. Mais c’est très dur de leur faire intégrer cette logique. Il faut du temps. Vous n’empêcherez jamais un président de rêver.

Dans quelles proportions doit-on envisager les dépassements de salary cap ?

Il ne faut absolument pas s’imaginer que ceux qui se baladent au-dessus du salary cap sont à des années-lumière de la limite. C’est le mec qui conduit à 145 sur l’autoroute, quand la vitesse est limitée à 130. Ça agace les copains de ce petit milieu, parce que ça leur permet de se piquer les joueurs entre eux. Et j’y reviens, cela pourrait s’autoréguler par l’obligation faite d’équilibrer les exploitations.

En ayant été proche des dossiers, à combien estimez-vous le nombre de clubs dont la masse salariale est supérieure à 10 millions d’euros ?

Je ne peux pas donner ce chiffre. Je n’ai pas de certitude. Mais on pense évidemment aux plus gros clubs. Attention, je ne suis pas contre ces investissements ! Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi nous devrions nous priver de faire venir des stars étrangères. Ce serait idiot. Pour une fois que la France est en situation dominante… Quand on a Wilkinson, Carter ou Giteau qui viennent, je préfère m’en féliciter. Au foot, tout le monde me cassait les oreilles à dire que la venue d’Ibrahimovic était une anomalie. Il n’empêche, c’est une star et je préférais qu’il soit chez nous plutôt qu’en Angleterre. Mais tout cela doit s’inscrire dans un système viable, équitable et économiquement transparent.

Quid des pratiques de rémunération par intérêts en nature. Sont-elles contrôlées ?

Oui, il y a une obligation de déclaration des avantages en nature faite aux clubs et qui entre dans le salary cap. Les règlements sont précis là-dessus.

L’autre pratique courante et assumée, c’est le recours au droit à l’image pour un peu tout et n’importe quoi. Comment le réguler ?

Déjà, il pose de moins en moins de problème, parce qu’il est de plus en plus admis. Quand on a des joueurs à très forte notoriété, il est évident que son image à un impact sur l’économie du club. Je m’explique : lorsqu’un joueur est en présence physique dans un club, il est salarié. Lorsqu’il est présent par de l’affichage publicitaire ou du merchandising, il n’est pas présent physiquement et il génère pourtant de la recette. Ce n’est donc pas choquant qu’il y a du droit à l’image. Prenez l’histoire de Balotelli, à Nice, en football. Il n’avait pas encore foulé le terrain que son président, M. Rivère, avait déjà vendu 5 000 maillots. Le droit à l’image, c’est cela et ça me paraît normal.

Ces rémunérations se situent parfois à l’étranger. Comment éviter qu’elles échappent au contrôle ?

Des projets sont en cours pour donner plus de pouvoir aux ligues et aux fédérations, pour contrôler de façon plus large les conditions d’entrée de nouveaux actionnaires. Quand un étranger arrive dans un club, il dispose des outils de chez lui et c’est tant mieux, cela participe de notre compétitivité. En revanche, il faut qu’il montre patte blanche. ça, c’est imminent. Une loi devrait être votée dans les premiers jours du mois de janvier pour donner des pouvoirs d’investigation très élargis aux ligues et aux DNACG. Aujourd’hui, quand vous voulez mettre le nez dans un club pour comprendre ses pratiques exactes, il vous répond : « Ce ne sont pas vos oignons. » Nous n’avons pas le pouvoir légal d’aller sur tous les terrains.

On pourra donc contrôler les rémunérations faites aux joueurs hors du territoire français ?

Je ne rêve pas, aucun système est complètement imperméable. Mais les pouvoirs d’investigation supplémentaires confiés aux DNACG vont compléter le système. On pourra contrôler l’origine des fonds. Quel argent vient et d’où il vient. Et contrôler si les mécanismes trouvés sont susceptibles de créer une éventuelle anomalie comptable. Jusqu’à présent, les lois françaises ne permettaient pas de le faire.

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