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Berbizier : « Le pouvoir n’est plus sur le terrain ! »

Par Arnaud Beurdeley
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    Berbizier : « Le pouvoir n’est plus sur le terrain ! »
Publié le Mis à jour
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Il n’y a pas qu’à Toulon que la tension est palpable. un jour c’est René Bouscatel qui pique sa crise, un autre c’est Raphaël Ibanez, puis Franck azéma. Enfin ce sont les présidents de clubs qui dénoncent le recrutement de Montpellier, la folie des salaires. Folies à gogo. On a interviewé Pierre Berbizier, ancien sélectionneur du XV de France.

Quel regard portez-vous sur ce début de saison du Top 14 ?

Sur le plan du jeu, les équipes cherchent leurs repères, les arbitres cadenassent. En revanche, l’environnement devient de plus en plus pesant. L’épisode toulonnais durant l’été est symptomatique de la situation du rugby aujourd’hui. Un entraîneur presque viré avant le début de la saison, c’est du jamais vu. Et personne ne s’en est offusqué. Ça met en valeur la place de l’entraîneur. Son statut évolue comme celui du professeur dans notre société. Avant c’était un repère connu et reconnu, la transmission du savoir, l’autorité tant dans le savoir-faire que dans le savoir-être. C’est fini, l’entraîneur, comme le professeur, a perdu son statut. Je suis édifié qu’on en soit arrivé là. Le modèle néo-zélandais, par exemple, respecte toujours la fonction. Étrangement, c’est un modèle qui gagne.

Pensez-vous que le championnat de France de rugby est en passe de perdre son identité ?

Nous sommes en pleine crise identitaire. L’un des repères forts, l’entraîneur, l’autre, l’appartenance au maillot, disparaissent. Un joueur qui porte deux ou parfois trois maillots différents dans la même saison, des joueurs qui annoncent leur transfert dans un autre club un an avant, ça illustre la perte d’identité. Mais je ne pointe pas les joueurs, ce qui modifie les comportements, c’est l’environnement. L’arrivée massive de joueurs et d’entraîneurs étrangers contribue à uniformiser le jeu et à creuser le déficit de formation des joueurs français. French flair où es-tu ? Sans stigmatiser les joueurs et les entraîneurs sur le terrain, les comportements se modifient dans l’environnement. Aujourd’hui, nous sommes dans un objectif mercantile, surtout pas un objectif tourné vers la formation ou l’éducation.

Peut-on alors encore parler des valeurs du rugby ?

Oui, elles existent toujours, ces valeurs. Seulement, il n’y a plus de règle pour les faire vivre. Quand bien même, il y aurait encore des règles, personne ne les fait respecter. Dans le rugby d’aujourd’hui, la valeur, n’existe que dans la communication. Je suis convaincu qu’il ne faudrait pas grand-chose pour revenir à l’essence de notre sport.

Que vous inspirent les salaires pharaoniques aujourd’hui proposés à certains jeunes joueurs ?

Lorsque j’étais en poste au Racing et que je cherchais de jeunes joueurs, j’avais envie de les rencontrer, de discuter avec eux, de les connaître. Seulement, j’étais contraint d’abord de parler avec leur agent. Certains internationaux de moins de 20 ans, s’apprêtant à disputer une Coupe du monde, préfèrent renégocier leur contrat, ça me fait mal. Le rugby qu’on m’a appris, c’est celui où l’on démontre d’abord sur le terrain avant de recevoir ensuite. Aujourd’hui, on a inversé la démarche. Le professionnalisme dans le rugby français a mis en base première l’argent. À mon sens, le professionnalisme est un état d’esprit, l’argent uniquement une conséquence d’un travail bien fait. Le pouvoir n’est plus sur le terrain.

UNE CRISE IDENTITAIRE

N’avez-vous pas, vous aussi, contribué à ce développement lorsque vous étiez manager du Racing ?

J’ai effectivement contribué à cet état de fait, mais tout en essayant de transmettre des valeurs en imposant des règles. Seulement, vous avez bien vu comment cela s’est passé. J’aurais été un entraîneur étranger, on aurait dit de moi que j’étais rigoureux, exigeant, intransigeant. J’étais français, donc, dépassé. On rejoint là le concept de la crise identitaire. Nos jeunes ne sont pas connectés à la réalité du haut niveau. J’ai essayé d’inculquer ces valeurs-là : travail, rigueur, discipline pour trouver le plaisir. Malheureusement, ce ne sont pas des valeurs médiatiques, juste des éléments simples du haut niveau. Quand on les évoque avec les jeunes joueurs français, on les agresse.

Quel est le plus grand danger pour le Top 14 aujourd’hui ?

Le Stade français, par exemple, sous l’ère Max Guazzini, a permis d’amener un nouveau public au rugby. Ces nouveaux supporters, des familles, des femmes, des enfants, ont cru en nos valeurs, peut-être en opposition au football alors en crise. Ils se sont retrouvés dans cette ambiance de partage, de respect, de convivialité. Ces gens-là, au travers des comportements de certains présidents, entraîneurs ou joueurs, doivent se dire que finalement le rugby devient comme le football. On va peut-être les perdre.

Sauf que le rugby n’a pas la sphère économique pour être le football…

Le rugby vit au-dessus de ses moyens. Le rugby est un sport de mécénat, du chapelier de Quillan dans les années 50, en passant par Béguerre à Lourdes, Mas à Béziers, Guazzini au Stade français, Kampf à Biarritz et Grenoble jusqu’à Lorenzetti, Savare, Ginon et Altrad aujourd’hui, sans oublier le mécénat d’entreprises comme à Clermont-Ferrand ou à Castres. On veut créer une troisième division professionnelle, cela relève de la folie. Développer le rugby dans les grands bassins économiques à Strasbourg, à Lille, à Marseille, est un échec, il a du mal à s’y développer. Le rugby à Paris vit grâce à deux décideurs économiques. Pareil à Montpellier, à Lyon ou à Bordeaux. Le constat est donc faussé. Le pire, c’est qu’on en perd notre culture, celle du terroir, et encore une fois notre identité parce qu’on n’accepte pas que le rugby soit un sport de petites et moyennes villes.

Justement le vent de fraîcheur apporté en ce début de saison par des équipes comme Brive ou La Rochelle qui collent peut-être un peu plus aux valeurs traditionnelles du rugby, peut-il faire du bien au Top 14 ?

Je le souhaite mais le traitement des performances de ces deux équipes me laisse perplexe. Qui parle de La Rochelle et Brive aujourd’hui sinon un journal spécialisé comme le vôtre? La loupe médiatique préfère mettre en valeur les petites phrases, les polémiques. Regrettable car le rugby, c’est aussi ce que Brive et La Rochelle font : ce sont deux beaux exemples de ce que peut être ce sport magnifique. Je suis convaincu que la valeur travail a un sens dans ces clubs. Les présidents et les staffs respectifs préfèrent l’action à la communication. Ils structurent consciencieusement et professionnellement. Peut-être n’est-ce pas suffisamment clinquant pour ceux qui veulent faire du rugby qu’un spectacle. Là aussi, étrangement, ces deux clubs sont les rares à jouer leurs matchs à guichets fermés.

Mais Brive a dernièrement été impliqué dans une bagarre générale face à Grenoble. N’est ce pas, là aussi, une image à gommer pour le rugby ?

J’ai plutôt vu un mauvais ballet chorégraphique qu’une belle générale. Anecdotique.

Paradoxalement, comment expliquez-vous que la dernière finale du Top 14 a donné lieu à un événement exceptionnel ?

Ce n’est pas un paradoxe, c’est une réalité. Tant mieux. La Ligue a réalisé un fabuleux « one-shot ». Mais ne soyons pas nombrilistes. Tirons plutôt des conclusions : les gens ont envie de partage, de convivialité, de respect. L’environnement de Barcelone s’y est parfaitement prêté, le scénario du match aussi. Mais l’environnement du rugby, surtout en cette période électorale où l’on marche parfois sur la tête, s’y prête-t-il ? J’ai du mal à y croire. Avec les dérives actuelles, on ne donne pas toujours envie aux gens de s’intéresser au rugby.

Votre constat peut surprendre, non ?

On doit savoir d’où l’on vient quand on cherche à savoir où l’on va. L’homme de terrain, d’action, demeure un privilégié quand il reste libre. Je le suis.

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