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La folle histoire des Cavaliers

Par Jérôme Prévot
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Publié le Mis à jour
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Il y a trente ans, les All Backs se lançaient dans une tournée pirate dans une Afrique du Sud mise au ban des nations. Cette aventure fit vaciller les principes de l’amateurisme et le pouvoir des fédérations.

À ceux qui se plaignent de notre époque troublée, des bisbilles sur la libération des internationaux, de l’article 9 et des Sudistes qui repartent précipitamment pour les Four-Nations, nous leur conseillons de se téléporter dans la planète ovale des années 80. Il y a trente ans, le printemps 1986 fut le théâtre de l’une des plus énormes secousses de l’histoire du rugby. Une équipe néo-zélandaise part faire une tournée en Afrique du Sud alors que les sportifs sud-africains sont boycottés par la communauté internationale à cause de l’apartheid. Cette histoire de boycott a des répercussions énormes en termes diplomatiques car en 1976, vingt-deux pays africains avaient boycotté les jeux Olympiques justement à cause d’une tournée des All Blacks en Afrique du Sud. En 1981, la dernière tournée des Springboks en Nouvelle-Zélande s’est déroulée dans un climat insurrectionnel : deux matchs sur seize annulés, une foule de manifestations parfois violentes, des policiers casqués autour des stades et pour finir un pilier sud-africain assommé en plein match par un sac de farine jeté d’un avion.

Les deux équipes ont donc mis cinq ans à se retrouver, sauf qu’en 1986, cette équipe néo-zélandaise en tournée ne porte pas l’écusson officiel des All Blacks. On la surnomme « Les Cavaliers » et elle a fière allure puisqu’à deux exceptions près, elle est la réplique de la sélection qui aurait dû partir pour une tournée officielle un an plus tôt, avant que la Fédération ne recule sous la pression politique. Dans ses rangs, des cadors comme Andy Dalton, Andy Hadden, Murray Mexted, Jock Hobbes, Grant Fox, Gary Whetton ou Wayne Shelford. Ils sont managés par deux « monuments », Colin Meads et Ian Kirkpatrick.

Seuls deux internationaux ont déclaré forfait : John Kirwan, le jeune ailier qui s’était engagé en Italie, et le demi de mêlée David Kirk, resté fidèle à ses convictions (mais on dit qu’un tampon sud-africain sur son visa prouve qu’il a hésité jusqu’au dernier moment).

 

Le clin d’œil cynique des Springboks à leurs procureurs

 

L’affaire des Cavaliers n’est pas uniquement politique ou morale, elle se double d’une facette financière qui finit de jeter le trouble dans le monde du rugby.C’est le clin d’œil cynique des Springboks à leurs procureurs.Le boycott a transformé leur pays en « zone grise » du rugby international. Puisque le rugby officiel et amateur ne veut pas d’eux, les Sud-Africains décident de semer la zizanie en « invitant » de grands joueurs… pas pour rien, suppose-t-on. On murmure que les joueurs néo-zélandais ont reçu l’équivalent de 440 000 francs sur un compte bloqué à Hong Kong. À la manœuvre, Louis Luyt, président du Transvaal, et Robert Denton, le directeur de l’Ellis Park de Johannesbourg. Ce dernier multiplie les appels transocéaniques en direction de Andy Haden, deuxième ligne de 35 ans et 41 sélections, véritable mauvais génie du rugby néo-zélandais. Les Français le connaissent car il a joué pendant une saison à Tarbes, il a aussi porté le maillot des Harlequins et n’a jamais fait mystère que ses piges à l’étranger n’ont pas été gratuites.À son âge, il n’est plus embarrassé par les complexes. Il sera le vrai pilote de l’opération. Le 11 décembre 1985, il a participé à une réunion ultra-secrète à sept. En compagnie du capitaine Andy Dalton et de Ian Kirkpatrick, il a rencontré Louis Luyt, Robert Denton et Johaan Claassen, ex-capitaine des Springboks, devenu ponte d’une puissante banque en charge du montage financier de la tournée. Les Néo-Zélandais sont arrivés flanqués d’un homme d’affaires pour ne manquer aucune subtilité. Les Sud-Africains sont accompagnés d’un avocat Marvin Key qui reviendra en février pour rencontrer les 29 joueurs, un par un.

Il faut comprendre que les All Blacks en ont marre de chausser les crampons pour des queues de cerise. Ils ont décidé de faire fi des considérations politiques et morales. Ces matchs, ils iront les jouer. Qui pourrait les en empêcher d’ailleurs ? « À titre individuel, je ne vois aucune raison pour que les All Blacks ne puissent pas se rendre en Afrique du Sud. Nous n’approuvons pas cette attitude mais nous n’y pouvons rien », commente le Premier ministre néo-zélandais David Lange. Effectivement, les joueurs prennent l’avion par petits groupes ou en solo. Hadden doit quand même se frayer un chemin au milieu de manifestants hostiles.

 

Les autorités n’osent pas sanctionner

 

Tout le monde se retrouve à Johannesbourg. Meads, Kirkpatrick et Dalton lancent la tournée par un communiqué de presse où ils se baptisent eux-mêmes « Cavaliers » pour éviter tout surnom désobligeant. Pour la première fois de l’histoire, une équipe internationale se prend en main sans la tutelle des Fédérations. Les joueurs sont invités avec leur famille dans des palaces, ils arborent à l’entraînement les logos des grands équipementiers. L’Afrique du Sud ne manque pas de richesses, de grands stades, de belles entreprises et de puissantes chaînes de télévisions, d’ailleurs les matchs des Cavaliers sont sponsorisés par deux partenaires privés : Toyota et les Pages Jaunes de l’annuaire. Sur le plan sportif, cette expérience est un franc succès. Les douze matchs se déroulent dans des stades pleins qui laissent 13 millions de francs dans les caisses de la Fédération sud-africaine. La Sarfu accorde même une cape officielle aux quatre tests-matchs. Les Boks en gagnent trois et ne cèdent le quatrième que d’un petit point. Le centre Dannie Gerber, l’ouvreur- capitaine Naas Botha et le talonneur Uli Schmidt font un festival. Le pied-de-nez des Sud-Africains au reste du monde est complet.

Tout le monde comprend qu’après cette expérience baroque, le rugby ne sera plus jamais le même. Le pouvoir des Fédérations vacille, tout simplement parce que le professionnalisme est devenu inéluctable. Avec cynisme, l’Afrique du Sud a profité de son boycott pour se moquer du monde. Ni l’International Board, ni la Fédération néo-zélandaise n’oseront vraiment sanctionner les All Blacks dissidents. Les autorités condamnent l’aventure pour le principe mais préfèrent rester molles car elles savent qu’une réaction sévère pourrait tout faire exploser. Les joueurs exclus pourraient très bien lancer un circuit professionnel privé, on dit même que l’Afrique du Sud a un projet de Coupe du monde bis dans ses cartons.

Les « rebelles » n’écoperont que d’un match de suspension, en juin 1986 contre la France, un match joué et gagné avec des jeunes mais devant des tribunes vides. Un an plus tard, la plupart des Cavaliers seront sélectionnés pour la première Coupe du monde organisée par l’IRB. L’enquête lancée pour déterminer si les joueurs ont vraiment touché de l’argent n’aboutira jamais.

 

Le groupe

Entraîneur > Colin.Meads. Manager > Ian Fitzpatrick.

AVANTS > McDowell, Knight, Ashton, Crichton, Dalton, Reid, Hadden, Pierce, G. Whetton, A. Anderson, A.Whetton, Shaw, Mexted, Shelford, Hobbes.

DEMIS > Donald, Loveridge, Fox, Wa.Smith.

TROIS-QUARTS > Pokere, Simpson, Wa. Taylor, Osborne, Crawley, R. Deans, C. Green, Clamp, Fraser.

En gras, les joueurs qui disputèrent la première Coupe du monde en 1987. D’autres ont connu des destins prestigieux comme l’arrière Robbie Deans (passé par Grenoble), futur entraîneur des Crusaders, puis des Wallabies, ou l’autre arrière Kieran Crawley, longtemps entraîneur du Canada. Wayne Smith fut longtemps entraîneur adjoint des All Blacks et de diverses franchises ou clubs de haut niveau. Le troisième ligne Jock Hobbes fut même président de la NZRFU. Gary Whetton joua plus tard à Castres. Murray Mexted avait joué à Agen, Mike Clamp à Biarritz.

 

Bilan : Huit victoires, quatre défaites

 

 

Les Cavaliers jouèrent douze matchs en Afrique du Sud en six semaines au printemps 1986. Ils dominèrent les Juniors Springboks (22-21), le Northern Transvaal (10-9), l’Orange Free State (31-9), la Western Province (26-15), le Natal (37-24), les Barbarians sud-africains (42-13) et le Western Transvaal (26-18). Ils avaient été battus par le Transvaal (24-19). Les Cavaliers perdirent trois tests : au Cap (21-15), à Pretoria (33-18) et à Johannesbourg (24-10). Ils remportèrent celui de Durban

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