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Big Bizuth

Par Vincent Bissonnet
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Publié le Mis à jour
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À 32 ans, Peter Jan Van Lill va évoluer pour la première fois dans un championnat élite. Auparavant, il a suivi des études d’odontologie en Afrique du sud, a été dentiste à Windhoek et est passé professionnel à 30 ans, à Dax. Récit d’un parcours peu commun.

Hiver 2014, à Windhoek, cœur géographique et centre économique de la Namibie : dans cette capitale champêtre nichée à 1 650 mètres d’altitude, entre dunes et montagnes, Pieter-Jan Van Lill, jeune trentenaire, mène une existence épanouie. Le quotidien du natif de Keetmanshoop, bourgade provinciale située à 500 kilomètres au sud, est rythmé par le défilé des patients et la succession des entraînements. Dr Van Lill and Mister PJ constituent les deux facettes d’une même personne, partagée entre son cabinet dentaire et l’antre des Wanderers, l’équipe phare du championnat namibien, et des Welwitschias, la sélection nationale. Loin, très loin, à cette époque, du stress et des paillettes du Top 14.

Le cadet de la famille paraît alors voué à embrasser cette double carrière de jeune notable et de sportif émérite. Ainsi en avait décidé la roue de la fortune, depuis sa naissance dans une Namibie en éveil, devenue indépendante aux temps de son quatrième anniversaire. Dès sa prime enfance, le ballon ovale devient une évidence. Entre les murs de la ferme parentale, ses trois grands frères en usent le cuir à longueur de journées quand, sur l’écran de la télé du salon, Zinzan Brooke et ses favoris de la Western Province le manient avec tant d’agilité. à 5 ans, PJ chausse inévitablement ses premiers crampons pour ne jamais les retirer. La passion ne deviendra pour autant jamais une obsession : « Comme tous les gamins de ma ville, je rêvais d’en faire mon métier. C’était dans un coin de ma tête mais ce n’était pas mon seul plan. Mes parents m’avaient fixé une règle à suivre. Avant tout, je devais bien étudier pour avoir un diplôme. C’était la priorité et je devais tout y consacrer. Comme ils me le répétaient, on pouvait m’enlever tout sauf ça dans la vie… Et ça me permettrait d’exercer un bon métier. Seulement une fois que j’aurais assuré cet avenir, je pourrais tenter de réaliser mon rêve. »

À Stellenbosch pour devenir dentiste

Un modus vivendi respecté avec une discipline stricte par le quatrième et dernier fils de la famille. Après avoir terminé son cursus secondaire à la Windhoek High School, le troisième ligne prend la direction de Stellenbosch à dix-huit printemps. Au cœur des vignobles du Cap-Occidental, il entame sa formation d’odontologiste et se traîne ses guettres sur les pelouses du championnat universitaire sud-africain. « Honnêtement, j’ai choisi dentiste car c’est un métier bien payé, sourit, en dévoilant ses dents blanches, l’intéressé. Je ne me suis pas ennuyé pendant ces cinq années. Déjà que Stellenbosch est une ville, disons, animée mais en plus, avant et après les cours, j’avais entraînement. Le rugby était indispensable. Je touchais un peu d’argent. Il m’a permis de financer une partie de mes études. » En parallèle de son emploi du temps d’étudiant, il connaît les premiers honneurs d’une sélection nationale lors d’un trophée international junior organisé en 2002, en Italie, aux côtés d’un certain Jacques Burger. La défaite subie en finale ne dissuade pas les organisateurs d’élire PJ Van Lill meilleur joueur de l’événement.

À un âge où ses plus prometteurs confrères commencent à s’imposer en Currie Cup voire en Super Rugby, le Namibien poursuit son petit bonhomme de chemin. En 2006, fraîchement capé avec la sélection, trois ans après son grand frère Jurgens, il se retrouve confronté un dilemme devenu inévitable entre études et carrière : « J’ai subi une grave blessure à un genou en 2006. Je devais suivre une longue convalescence pour revenir mais j’étais aussi dans la dernière année de ma formation. Je ne pouvais pas me permettre d’échouer. Je n’ai donc pas trop hésité au moment de choisir entre tout faire pour aller à la Coupe du monde ou valider mon cursus. Renoncer à la compétition a été un crève-cœur mais ça aurait repoussé l’obtention de mon diplôme. » La France vient de se refuser à lui, une première fois. La raison l’emportera de nouveau un an après… « Je n’ai pas cherché une équipe en Afrique du Sud à la fin de mes études. Il me fallait retourner en Namibie pour travailler car je devais commencer à rembourser mon prêt universitaire. Je n’avais pas le choix. »

La volte-face Aurillac

À 24 ans, Pieter-Jan Van Lill, fraîchement entré dans la vie active, entame une honorable carrière amateur à Windhoek, agrémentée de tests-matchs et de deux participations à la Vodacom Cup, équivalent de la deuxième division sud-africaine. « ça ne me rendait pas riche mais ça me permettait au moins de me frotter à un niveau intéressant », se souvient-il. En 2011, tout s’accélère soudainement : la Coupe du monde se profile à son horizon et une offre venue de l’Hexagone arrive sur son bureau. Une nouvelle vie l’attend au retour de son séjour au pays au long nuage blanc : « J’avais signé un contrat avec Aurillac avant le Mondial. Mais une fois rentré de Nouvelle-Zélande, le club m’a dit qu’il n’avait pas pu m’obtenir de visa. Après coup, j’ai découvert que ce n’était pas la vérité… J’étais déçu, c’était très frustrant de voir cette opportunité m’échapper de si peu. Pour autant, je n’avais pas totalement abandonné l’idée de venir en France. J’espérais toujours mais c’est tellement dur. Tant de joueurs dans le monde partagent ce même but. » Entretemps, les Welwitschias avaient, de plus, perdu le droit de participer à la Vodacom Cup. Retour à la case départ, donc : détartrages, plaquages, nettoyages, grattages et ainsi de suite, au cabinet comme sur le terrain.

Jusqu’à ce coup de fil reçu à l’hiver 2014, trois ans plus tard. « Un jour, mon agent m’appelle pour me dire que le club français de Dax me veut. Il n’y a pas eu une seconde d’hésitation. Avec ma femme, nous avons voulu tenter l’expérience, même si ce devait être pour un an. » Son tour était enfin venu et la prophétie de ses parents allait se réaliser : d’abord, la réussite professionnelle, ensuite, la quête de gloire sportive. Ironie de l’histoire, ce transfert tardif ne se serait sûrement pas produit sans l’intervention de l’ancien entraîneur… du Stade aurillacois, Pierre-Henry Broncan, auprès des recruteurs dacquois, alors à la recherche d’un numéro 8 puissant au rapport qualité-prix imbattable. Le visionnage de vidéos de ses prestations lors de matchs qualificatifs pour le Mondial finit de les convaincre…

Objectif coupe du monde 2019

« POF » débarque en France à l’été 2014 sans une once de complexe ou d’appréhension : « A 30 ans, j’allais passer professionnel. C’était un gros changement mais je n’avais pas de doutes. Plusieurs de mes coéquipiers qui avaient évolué en Europe m’ont dit : « Ne t’inquiète pas, tu as le niveau. » De toute manière, je voulais me confronter à ce qui se faisait de mieux. Si j’étais resté en Namibie, ça aurait eu moins d’intérêt car le championnat est limité. Je ne dis pas que j’étais au-dessus du lot mais, à partir d’un moment, si je voulais vraiment savoir ce que je valais, je devais me mettre en danger, changer de dimension. » Dans les Landes, ni l’écueil de l’intégration ni la spirale négative de résultats ne contrarient son épanouissement : « En Namibie, je m’entraînais le matin, je travaillais le jour et je retournais sur le terrain le soir. Le rythme n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu. Ici, je me sens beaucoup plus libre. Je ne dis pas que les rugbymen ne font pas d’efforts mais tu as beaucoup de temps libre. C’est nouveau pour moi. Je ne pourrai jamais considérer le rugby comme un métier. »

La chance sourit aux audacieux. Tôt ou tard. Enfin à ses côtés, elle va permettre au troisième ligne de rebondir à Bayonne où l’échec de la fusion contraint les dirigeants à un recrutement en urgence. Pourquoi aller chercher loin ? A une trentaine de kilomètres de Jean-Dauger, l’Aviron trouve son bonheur avec ce nouveau venu auteur d’une première saison détonante. « à vrai dire, son profil n’était pas clair, se rappelle Vincent Etcheto. Je ne savais pas s’il allait être utilisé en deuxième ligne ou en numéro 8. Mais il a rapidement mis tout le monde d’accord. » Au retour de sa deuxième Coupe du monde — « au cours de laquelle la Namibie a subi une moins grosse défaite que la France contre les Blacks », ironise l’intéressé, PJ s’impose comme le fer de lance du paquet d’avants : « Je me souviens de son début de match à Lyon où il avait tout renversé, c’était impressionnant. Et sa finale de Pro D2 se passe de commentaires. C’est Chabal, véritablement ! Physiquement, il est surpuissant. Techniquement, il a des progrès à faire au poste, sur les sorties de mêlée, le jeu aérien ou le placement mais il a un grand potentiel et déjà le niveau Top 14. »

à 32 ans et neuf mois, l’international aux 43 sélections va pour la première fois évoluer dans un championnat élite avec un baptême royal programmé face à Toulon, le 21 août. Le plus dur reste à venir. Le meilleur aussi. « Il a 30 ans sur le passeport mais, pour moi, il en a 25, sourit son manager. Il a une telle marge de progression. » « Oui, je suis vieux mais mon corps n’est pas usé car je n’ai que deux ans de professionnalisme, je me sens encore jeune, rigole Pieter-Jan Van Lill. J’espère même aller jusqu’à la Coupe du monde 2019. » D’ici là, son improbable épopée, depuis sa ferme de Keetmanshoop à Jean-Dauger en passant par un cabinet dentaire de Windhoek, aura sûrement connu de nouveaux rebondissements. « POF » conclut, dans un large sourire : « Il y a encore deux ans, je n’aurais pu imaginer être ici un jour. Alors, qui sait ce qui pourra encore m’arriver ? ».

Peter Jan Van Lill

Né le : 4 décembre 1983 à Keetmanshoop, (Afrique du Sud-Ouest).
Mensurations : 1,93 m, 112 kg
Surnom : « POF ».
Poste : troisième ligne centre
Clubs successifs : Wanderers (2007-14), Dax (2014-15), Bayonne (2015-).
Sélections nationales : 43, en équipe de Namibie (2006-2015)
1er match en sélection : à Tunis, le 1er juillet 2006, Tunisie - Namibie (24-7)
Points en sélection : 20 (4 essais).
Palmarès : multiple champion de Namibie.

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