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Commotions : que font-ils ?

Par Emilie Dudon
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Publié le Mis à jour
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Le problème des commotions cérébrales est pris très au sérieux par les différentes instances du rugby français et mondial, qui ont mis en place un grand nombre de mesures. Peuvent-elles aller encore plus loin ?

Le nombre de sorties définitives sur blessure a augmenté de 40 % sur les terrains de Top 14 entre 2012 et 2015. Sur les 65 ou 66 commotions recensées la saison dernière (le calcul est en cours de finalisation), 46 ont entraîné une sortie définitive. Il y en avait eu seulement 30 sorties sur les 63 commotions comptabilisées en 2014-2015. « Il y a deux façons d’interpréter ces chiffres, analyse le président de la commission médicale de la LNR, Bernard Dusfour. Soit on se dit que le nombre de commotions sérieuses est en nette augmentation, soit qu’elles sont mieux diagnostiquées. Une chose est sûre : on a énormément progressé dans la prévention et la prise en charge des commotions ces cinq dernières années avec la mise en place de nombreuses mesures et études. » L’inquiétude, pourtant, que soulève un témoignage comme celui de Jamie Cudmore est légitime. Les instances dirigeantes ont fait beaucoup, en effet, pour endiguer le phénomène. Est-ce suffisant ?

Faire évoluer le protocole actuel ?

Depuis 2012-2013, World Rugby a mis en place une série de procédures afin de prévenir et de prendre en charge les commotions cérébrales pour les joueurs de haut niveau, négligeant au passage les conséquences des simples coups reçus par ailleurs, ainsi que l’exprimait Boris Cyrulnik, dans ces colonnes, lundi dernier. Des tests de présaison destinés à établir « un bilan de référence » sont cependant effectués chaque année. En cas de suspicion de commotion en cours de match, trois questionnaires sont prévus (lire ci-contre). Aucune règle ne stipule que le joueur commotionné doit obligatoirement être éloigné des terrains trois semaines. C’est le neurologue indépendant qui fixe la date de reprise. Ce protocole n’est pas amené à évoluer pour l’instant, même si certains estiment qu’il ne va pas assez loin, à l’image du Docteur Jean-François Chermann, spécialiste des commotions cérébrales dans le sport : « Je suis convaincu que le protocole actuel est plus problématique qu’autre chose parce que beaucoup trop de joueurs reviennent sur le terrain. Quoi qu’il arrive, ils ont eu un choc et risquent de reprendre des coups sur un cerveau qui n’a pas totalement récupéré. Selon les études actuelles, on peut dire qu’un pourcentage non négligeable de joueurs a bien fait une commotion alors que les signes apparaissent seulement 24 heures après. »

Changer les règles du rugby ?

En vingt ans, les joueurs ont pris en moyenne 10 kilos, la vitesse a augmenté de 30 % et le temps de jeu a doublé, passant de 20 à 40 minutes. Le rugby évolue et « le législateur doit s’adapter », reconnaît Didier Méné. Mais selon le patron des arbitres français, la marge de manœuvre n’est pas immense : « Un certain nombre de directives a déjà été pris, en particulier au sujet des strangulations ou des déblayages irréguliers. On a légiféré davantage concernant les zones de rucks. Que faire de plus, si ce n’est les supprimer ? Il ne restera plus que les plaquages et le problème subsistera car il tient plus à l’évolution physique des joueurs et des formes de jeu, qu’au règlement. » Pour l’ancien arbitre international, l’interdiction du plaquage au-dessus des hanches n’est pas, non plus, une solution : « La problématique persiste parce qu’un choc tête contre cuisse reste aussi dangereux qu’un choc tête contre torse ou contre tête. »

Que faire, alors ? « Déjà faire respecter la règle existante, souffle le Docteur Dusfour. Mais ce doit être le cas de la même manière dans l’hémisphère Nord et dans l’hémisphère Sud…Les percussions coudes en avant ou épaules en avant doivent être plus durement réprimandées. On ne voit quasiment jamais de cartons rouges sur ces actions. Et quand un joueur plonge dans un ruck comme un abruti, il doit être sanctionné ! » C’est le mot d’ordre donné aux directeurs de jeu chaque saison, assure Méné : « Nous avons été sensibilisés par les médecins et demandons à nos arbitres plus de rigueur dans l’application du protocole en arrêtant systématiquement le jeu en cas de suspicion de commotion mais aussi dans l’application de la règle en étant très vigilants sur les rucks ou les plaquages. » Mais là encore, les bonnes intentions ont leurs limites : « Le souci, c’est que la majorité des commotions interviennent sur des phases de jeu légales », conclut, un peu fataliste, le patron des arbitres.

Plus de médecins indépendants et de vidéo ?

Le témoignage de Jamie Cudmore pose clairement la question de l’indépendance des médecins vis-à-vis de leurs clubs. « On a du mal à faire appliquer systématiquement le protocole commotion. […] Le problème, c’est que trop de médecins de clubs regardent encore les matchs comme des supporters », convenait à l’AFP Jean-Claude Peyrin, président de la Commission médicale de la FFR, en mars dernier. Ainsi, des médecins dits indépendants interviennent lors des matchs internationaux et lors des phases finales de Top 14 et de Pro D2. La mesure ne devrait pas être élargie. Car si elle améliore les choses, elle n’est pas idéale, reconnaît Bernard Dusfour : « Elle est intéressante mais a déjà montré ses limites. Je pense au cas du troisième ligne de l’équipe de France Antoine Burban, contre le pays de Galles dans le dernier Tournoi. Tout le monde devant sa télévision avait vu son K.-O. mais le médecin l’a fait revenir en jeu après lui avoir fait passer le protocole commotion. Or, il ne s’agissait pas du médecin du XV de France mais d’un médecin indépendant. Du terrain, le docteur n’a pas la même vision et certaines choses peuvent lui échapper. » Selon lui, la solution tient plutôt dans la mise en place de médecins vidéo sur les matchs. C’est le cas en France, et depuis deux ans, lors des phases finales de Top 14 et de Pro D2. Mais ces médecins n’ont, pour l’instant, pas le pouvoir de faire sortir un joueur. « Pour cela, il faudrait que World Rugby mette en place la mesure et ce n’est pas encore le cas. C’est à l’étude. » En attendant, tous les matchs sont étudiés à la vidéo pour recenser les différentes blessures et détecter celles qui auraient échappé à la vigilance des différents acteurs sur le moment (5 à 10 % des commotions).

Des sanctions envisageables ?

La LNR et la FFR misent aussi sur la prévention, avec des formations spécifiques dispensées à tous les médecins et kinésithérapeutes intervenant dans des clubs professionnels. La prochaine aura lieu le 8 septembre, au CNR de Linas-Marcoussis. Les entraîneurs, aussi, sont sensibilisés et obligés de suivre la formation en ligne dispensée par World Rugby. Tout cela n’empêche pas les dérapages pour autant. Faut-il, alors, envisager de sanctionner ? Bernard Dusfour n’y est pas favorable : « Seuls la justice et le Conseil de l’ordre peuvent sanctionner un médecin. Et il n’est pas envisageable de pénaliser les clubs car la commission de discipline refuserait de le faire. Elle se déclarera incompétente sur les questions médicales et c’est normal. » Une dernière solution tiendrait dans la non-limitation du nombre de remplacements lors d’une rencontre. Le Docteur Dusfour l’assure : « Cela solutionnerait beaucoup de choses. »

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