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Dimanche, y a match… à la télé

Par Cédric Cathala
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    Dimanche, y a match… à la télé
Publié le Mis à jour
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Dimanche est un rendez-vous en ovalie. Un derby, une fête, du monde… en somme. Problème, demain dimanche, il y a aussi Ecosse-France à la télé…

Dans le rugby amateur, on appelle cette figure de style un derby ou une affiche, peu importe le niveau pourvu qu’on fasse le plein, peu importe le champion pourvu qu’on ait la liesse. C’est ainsi que l’on prépare la réception ici, à Saint-Girons, ce dimanche après-midi, en Ariège, du voisin, ou plutôt du cousin, on préfère, haut-garonnais, le stade saint-gaudinois luchonnais XV. C’est qu’ici l’histoire entre Couseranais et Commingeois a son importance. Louis Gargallo, ancien trois-quarts centre de Saint-Girons, papa d’Olivier, lui aussi ancien trois-quarts centre de Béziers, Castres ou Toulouse nous éclaire sur l’importance de ces rencontres dominicales : « Ce sont des matchs importants dans une saison, des rendez-vous. En programmant du Top 14 ou des matchs de l’équipe de France le dimanche, la Ligue, la FFR ou la Fédération internationale même se moquent du rugby amateur, lui manquent de respect. A lui, aux bénévoles, aux amateurs de ce sport. Vous imaginez, en plus, si le mauvais temps s’y met, le supporter préfèrera rester chez lui sur son canapé, c’est évident. » On voudrait réduire à néant les efforts de tous ces bénévoles, on ne s’y prendrait pas autrement. Déjà bousculés par des difficultés financières qui grèvent lourdement les budgets, les clubs amateurs n’avaient pas besoin d’une nouvelle salve du monde professionnel pour chanceler plus dangereusement encore. « J’ai 63 ans et je m’aperçois que les mentalités ont bien changé. Je n’ai rien contre le rugby professionnel, au contraire. Je suis même resté à son contact, j’ai suivi la carrière de mon fils Olivier, je vais toujours voir le Stade toulousain de temps en temps mais il ne faudrait pas que nos dirigeants ou les présidents de clubs de l’élite perdent la tête et oublient de penser aux petits. On crie misère pour trouver des joueurs en équipe de France mais s’il n’y a plus de petits clubs, il n’y a plus de joueurs. » Et au moment d’évoquer ce qui fait le sel de cet attachement viscéral à ce sport, Louis se laisse aller à une confidence : « Vous savez ma mère a 94 ans, elle connaît encore très bien tous les joueurs que ce soit de Top 14 ou de Pro D2, c’est pour elle que je continue à prendre les chaînes de TV qui diffusent le rugby. Sinon, j’aurais foutu tout ça en l’air… Quand vous avez vu un match, vous en avez vu dix. Tout est stéréotypé et le jeu est devenu tellement rare. »

Toute une philosophie attachée à ce monde amateur, à ses sacro-saints rendez-vous dominicaux, à l’implication sans failles et sans bornes de ces bénévoles que médias et monde professionnel poussent négligemment sur le côté.

 

Si loin des caméras

Cette défiance entre monde professionnel et monde amateur enfle et l’évolution de la première sphère fait craindre le pire.

Ecoutons les pros parler de ce rugby amateur qui n’intéresse personne, si ce n’est l’amateur du rugby lui-même. C’est tout dire.

Les diffuseurs s’en foutent, normal, le niveau pratiqué y est tellement nul, les spectateurs y sont tellement caucardiers, les vieux, ou, pire, les anciens, sont tous ou presque des vieux cons qui avançaient à deux à l’heure et qui ne défendaient jamais, tout juste bons à se filer des bourre-pifs ; et les 30 mecs sur le terrain sont tous meilleurs pour lever les canons au club house que pour réussir des cadrages-débordements ou des lancers en touche sur un premier bloc avec un contreur unijambiste en face.

Accordons au rugby professionnel que c’est un joli portrait que nous avons là, pas si loin du fond de sa pensée, à lui et à ses nouveaux patrons.

Eh bien voyez-vous, ce rugby amateur, si peu médiatique, dont les valeurs et les travers qu’il incarne encore, contre vents et marée, font tant sourire, sert encore à quelque chose. A découvrir des talents par exemple, c’est encore vrai même si l’on assiste à la multiplication des centres de formation des clubs professionnels. Ces derniers font leur job, honnêtement, proprement et façonnent les jeunes pépites sorties de Saint-Girons, Parentis ou d’ailleurs selon les canons du rugby professionnel. Mais les écoles de la découverte, de la patience, de la pédagogie à taille humaine font encore partie d’un rugby que l’on oublie de citer dans les CV de nos internationaux.

 

De la désociabilisation du supporter

Le plus grave docteur, c’est que si l’on s’attarde quelques instants sur la place que tient le rugby et le rugby amateur en particulier dans cette micro-société qu’est le village ou même, soyons modernes, le quartier, fut-il dans une grande métropole, les dégâts sont énormes en termes de désociabilisation du supporter. On était il y a peu, médecin, ouvrier, avocat, agriculteur et, le dimanche venu, on se retrouvait le long de la main courante. Existe-t-il encore un cadre plus propice à la mixité sociale que celui-là ? Didier Lemasson, un des trois présidents de Saint-Girons ne dit pas autre chose : « Médiatiser pour augmenter les ressources, c’est cela que fait le rugby professionnel. C’est très bien mais cela profite à une vingtaine de clubs. Où est la redistribution des richesses ? Un match comme celui de dimanche pour nous c’est peut-être 400 entrées payantes. La billetterie représente entre 15% et 20 % de notre budget en Honneur. Avec toute cette médiatisation, l’amateur de rugby est devenu un spectateur de rugby professionnel. Nous nous battons pour survivre face aux médias. On a pris ce sport historiquement implanté dans les villages pour le transplanter dans les métropoles et c’est une catastrophe pour sa vocation sociale. » Catastrophique même quant à sa vocation humaniste pour l’amateur, lorsque le sport qu’il avait physiquement, dans toute l’acceptation d’une différence, d’une morphologie hors des normes, le droit de pratiquer, change à ce point qu’il n’est plus accessible, ni en tant que pratiquant  parce qu’il est toujours plus dangereux ni en tant que supporter parce qu’il est toujours plus concurrencé par le spectacle médiatique. Didier Lemasson : « Ce que fait le rugby actuellement c’est l’inverse de la démocratie. Une minorité se sert du rugby pour ses propres intérêts. La cohabitation devient très difficile et il faudrait que l’on ait un débat là-dessus, dans les comités par exemple. Mais je sais que la FFR ne tient pas les cordons de la bourse, peut-elle faire quelque chose ? »

Le rugby amateur a-t-il peur de la lumière ? Non pas, il recèle, lorsque l’on pointe sur lui un regard sans a priori, des trésors, des femmes, des hommes, des parcours, des histoires en tous points extraordinaires, pour peu que l’enfant terrible surexposé auquel il a donné naissance ait, en quelque sorte, la reconnaissance du ventre. 

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