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Quand Charvet cueillit le ballon...

Par Jérôme Prévot
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Publié le Mis à jour
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1er mars 1986 : ce ne fut pas le plus retentissant des Galles-France (15-23), mais cette rencontre marqua les débuts de Denis Charvet en équipe de France. Un joueur au talent souvent incompris au coeur des années 80.

Ce Galles-France 1986 n’est pas de ceux qui ont marqué l’Histoire. Le déclin des Gallois était déjà bien entamé et cette France-là survolait, seul un arbitre tatillon l’avait privé à Murrayfield d’un grand chelem mérité. Des quinze Gallois pas un n’aurait trouvé sa place chez les Bleus, même pas le jeune demi d’ouverture de Neath, Jonathan Davies présenté comme un surdoué. La veille, les envoyés spéciaux du Midi Olympique avaient assisté à un match d’anciens que Phil Bennett (38 ans) avait marqué de sa classe. « Sur ce que nous avons vu, il aurait très bien pu jouer le test du lendemain, » donnait à lire le commentaire général signé Henri Nayrou. La principauté était engluée dans une nostalgie mortifère qu’elle mettrait plus de vingt ans à surmonter. Si ce 23-18 nous est resté en mémoire, c’est à cause d’un geste : un ballon tombé à terre que Denis Charvet ramassa prestement pour le transmettre dans la foulée à Philippe Sella en route vers l’essai. Le geste auguste du cueilleur. Sur le moment, on fit de ce moment fugace, la marque d’un talent précieux. Charvet faisait ses premiers pas avec le XV de France. Il y était très attendu depuis le titre du Stade Toulousain de 1985. Avec Erik Bonneval, il formait un duo de casanovas dynamiteurs de défense. Le grand public les réclamait en sélection tant leur classe crevait l’écran. « Nous étions pris dans un engrenage, nous étions passés à trois entraînements par semaine avec un boulot de Relations Publiques qui nous permettait de nous consacrer quasiment qu’au rugby. Nous avions de l’ambition. Tout nous semblait démultiplié… »

Fouroux avait déjà donné trois fois sa chance à Bonneval sans l’installer. Charvet attendait toujours : « La France venait de battre l’Irlande en marquant un essai à 23 passes (N.D.L.R. : lire Midi Olympique du 15 février) et puis, je ne sais pas pourquoi, Jacques Fouroux m’avait appelé à la place de Chadebech. Je l’ai appris dans le bus, en revenant d’un match à Dax. C’est Serge Gabernet qui l’a entendu à la radio et qui m’a hurlé la nouvelle. J’étais en train de jouer aux cartes. Il était plus heureux que si c'était lui qui avait été rappelé… Erik Bonneval aussi était rappelé à la place de Patrick Estève. »

Les Toulousains bordurés par la FFR

Denis Charvet savait que son heure viendrait même si, à cette époque, la sélection d’un Toulousain n’était pas anodine. On se plaisait à voir dans l’ascension du Stade, si moderne et si dynamique, un pied de nez au pouvoir de l’Agenais Albert Ferrasse et de son fils spirituel Fouroux. « Oui, le contexte était marqué par cette rivalité. On avait l’impression que c’était plus difficile pour nous. Notre troisième ligne Thierry Maset aurait mérité 25 sélections. » Cigagna, Janik faisaient aussi partie des possibles réprouvés. Il y a trente ans, encore plus qu’aujourd’hui, le XV de France était traversé par ces multiples polémiques et ses querelles de chapelle. Fouroux avait ainsi hérissé beaucoup de monde en placardisant Didier Codorniou et son petit gabarit. Mais face à l’insolente facilité de Charvet, le « #Petit Caporal » avait ouvert la porte. « Le plus incroyable, c’est que j’ai croisé Jacques le soir même Place du Capitole à Toulouse, complètement par hasard. Il y avait une chance sur un million… Je ne le connaissais que très peu et nous avions parlé et il m’a dit qu’il se demandait s’il ne m’avait pas fait un cadeau empoisonné…

Dans mon insouciance, je lui ai répondu qu’une sélection, ce serait toujours un honneur. »

Empoisonné, le cadeau ne pouvait pas l’être, vu la faiblesse des Gallois. Leurs deux avants les plus performants, Robert Nordster et Richard Moriarty n’avaient pas été sélectionnés à cause de leur indiscipline en championnat. Le lutin Jonathan Davies ne trouva pas l’inspiration et manqua un plaquage important sur Lafond. Les conditions étaient idéales pour les premiers pas du centre toulousain. « Je fus quand même abasourdi par le bruit de la foule de Cardiff. à l’hôtel, Jo Maso que je ne connaissais pas m’avait fait passer un mot : « Merde, trois fois merde ! » avait il écrit. Je me revois dans les vestiaires, je regardais la grosse horloge qui me rapprochait du coup d’envoi. Je me suis mis à penser à tous les joueurs que j’avais admiré dans le passé et qui avaient joué ici : Jo Maso, Walter Spanghero. Leur carrière a défilé devant moi et je me suis dit, maintenant, c’est à mon tour. Dans cinq minutes, j’y serai. » à relire le Midi Olympique de l’époque, Denis Charvet avait passé brillamment l’examen : « On le savait doué, on ne l’imaginait pas fragile. En deux coups de cuiller à pot, le Toulousain a largement confirmé les espoirs placés en lui qui nous parlent d’un attaquant superbe tout à la fois rapide et technique, parfaitement capable de tracer un long sillon dans le chemin du XV de France. » L’envoyé spécial qu’était Jacques Verdier avait noté quatre interventions notables sur le plan offensif. « Au banquet, avec Philippe Sella, nous avions croisé Albert Ferrasse qui nous avait dit : « Vous êtes partis pour un long bail ensemble. Plus tard, il allait me virer. »

Une jolie passade plus qu’une histoire d’amour

Oui, car la carrière internationale de Charvet fut plus une jolie passade qu’une histoire d’amour. « J’ai fait 86, 87 avec le grand chelem et la Coupe du monde. Puis en 1988, Fouroux ne me prend plus. Je n’avais pas eu de problème avec lui, mais il a commencé à partir sur son fantasme. Il voulait des joueurs costauds pour un rugby de gladiateur… Sur le moment, je l’ai mal pris. J’avais dit que c’est comme si on me coupait un doigt. » Fouroux semblait prendre un malin plaisir à ferrailler avec l’opinion publique qui défendait le gracile Charvet alors qu’il préférait Marc Andrieu plus physique : « Il avait des qualités que je n’avais pas, mais j’amenais quand même quelque chose. J’allais vite, c’était ma force. Je n’étais pas un cartonneur en défense, mais combien de fois me suis-je vraiment fait passer ? Et puis, il y a eu cette phrase sur le steak… » On sent, à sa voix, que Denis Charvet fut blessé par la fameuse tirade Fourouxienne qui, excité par des questions polémiques, répliqua un jour : « Mettez un steak dans une pièce fermée et mettez Charvet et Andrieu. Vous verrez bien qui emportera le morceau… » La formule eut son petit succès. Elle relégua Charvet au purgatoire des surdoués dilettantes. Et son compteur s’arrêta à 23 capes dont seulement cinq après le Mondial 87, dont une sur intervention de… François Mitterrand (lire Midi Olympique du 11 février, N.D.L.R.). « J’ai revu Fouroux avant sa mort. Je lui ai dit que je ne regrettais pas les sélections mais toutes les émotions que nous n’avions pas vécues. » On pourrait discourir à l’infini sur la question des centres et du « french flair », sur les plaquages et les fixations que Charvet n’a pas fait mais si nous avions choisi de célébrer les trente ans de ses débuts à Cardiff, c’était aussi pour le plaisir de revoir son ballon ramassé avec une rare fluidité et redécouvrir que trois secondes avant, c’est lui qui, impérial, s’était infiltré entre Devereux et Bowen pour servir Bonneval. Midi Olympique avait même expliqué que sur le premier essai de Lafond, il était allé « à la corne » pour ouvrir un intervalle magistral qu’un partenaire n’avait pas osé prendre. Charvet avait un style unique. Par-delà ses marottes, ses obsessions et ses calculs parfois machiavéliques, Fouroux sut le mettre en valeur à plus de vingt reprises. En ce 1er mars 1986, il ne le regretta pas. à bien y réfléchir, huit mois plus tard, à Nantes contre la Nouvelle-Zélande, pour un match aux antipodes de ce Galles-France en termes d’intensité, Charvet était encore sur le terrain. Il n’empêcha pas la France de signer son succès le plus retentissant… en marquant un essai en plus.

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