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Le parcours d’un gagnant

Par Nicolas Zanardi
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    Le parcours d’un gagnant
Publié le Mis à jour
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De Guy Novès, on connaît avant tout les records et le palmarès : quatre titres de champion d’Europe, douze boucliers de Brennus, 22 finales jouées. Mais connaît-on vraiment le parcours et la personnalité du futur sélectionneur du XV de France ? Dans un portrait en trois temps, Midi Olympique vous propose de (re) découvrir le gourou du Stade toulousain, qui a fait sienne la maxime de Benjamin Franklin : « Tu me dis, j’oublie, tu m’enseignes, je me souviens, tu m’impliques, j’apprends. » Rencontre avec un enragé de la victoire, un maître du stress, bouillonnant d’une énergie qu’il sait aussi bien contrôler que transmettre.

Le joueur

Né en 1954 à Toulouse, Guy Novès n’était pourtant pas prédestiné au rugby. Au contraire, c’est d’abord dans le foot, puis la natation, que le fils de Raymond trouve ses premiers exutoires. Avant le premier événement marquant d’une enfance, que Guy Novès situe autour de ses onze ans. « Mon père avait bâti de ses propres mains sa maison, dans laquelle il avait aménagé deux appartements. Les locataires étaient des professeurs d’éducation physique, qui m’ont donné envie de leur ressembler. C’est aussi pour cela je me suis lancé dans l’athlétisme. » Avec succès… Pour l’éternité recordman de France du 1 200 mètres cadets (discipline aujourd’hui disparue) en 3’06’’4, le 4 juillet 1971, Guy Novès écume les pistes de demi-fond, ne maintenant avec le rugby qu’un rapport lointain puisque son frère Jean-Claude jouait ailier à Mauvezin, en deuxième division. « Et puis un dimanche matin, alors que je préparais le concours d’entrée au Creps de Toulouse, la section rugby du TCMS (club des Cheminots de Toulouse, où Guy Novès était licencié en athlétisme) recherchait un ailier pour un déplacement à Quillan. Ce jour-là, j’ai marqué trois ou quatre essais. Alors, comme il n’y avait pas d’option athlétisme/course à pied au Creps, j’ai signé ma première licence au Stade toulousain. » Et tant pis si, le jour du concours d’entrée au Creps, Novès n’obtint qu’un 6/20 en rugby. La note ne l’empêchait pas de terminer major de promotion, et l’histoire ne faisait que commencer. « Mon seul regret en athlétisme, c’est de ne pas avoir connu ses limites sur 1 500 mètres, aime à raconter Guy Novès. Un regret tout relatif puisque, neuf mois après ma première sélection en équipe de France juniors, j’étais international de rugby… »

Nationale B et maintien

Il est vrai qu’à partir de ses premiers pas au Stade toulousain, la progression de Novès fut aussi immédiate que foudroyante. Utilisé en Nationale B pour ses premiers pas, l’athlète intègre très vite le leitmotiv qui le guidera toute sa vie. « C’est là que j’ai compris qu’avant d’avoir mal, il fallait faire mal aux autres. Se faire respecter. » Et le respect, Novès l’obtint vite… Dès le mois de novembre 1975, les blessures obligent Jean Gajan (père de Christian) à convoquer Guy Novès pour un match de Du-Manoir à Grenoble. Ce jour-là, le pendant de Novès à l’aile gauche du FCG se nommait alors Jean-Pierre Clerc, père de son futur beau-fils Vincent… Reste que le clin d’œil ne doit pas masquer l’essentiel, à savoir une première saison difficile en équipe première, au point que le Stade toulousain terminera la saison en perdant son match du maintien à Valence, se trouvant seulement sauvé de la relégation par un match nul réussi par l’Usap à Tulle. Un souvenir que Guy Novès n’a jamais oublié et qui lui permet toujours, près de quarante ans plus tard, de relativiser les résultats du Stade toulousain…

Des bleus et des titres

Toutefois, cette première saison n’empêcha pas Guy Novès de continuer son inexorable progression. Et malgré des premiers rendez-vous manqués en bleu (il rata le grand chelem 1977 en raison d’une entorse de la cheville, avant de subir en juin une blessure en juin qui le priva de tests en Argentine), Novès finit par connaître au mois de novembre de la même année la consécration suprême, avec une victoire sur les Blacks à Toulouse, sous les yeux de sa famille (18-13). La première cape d’une courte série de sept, achevée sur un coup de tête. Blessé lors d’un France-pays de Galles en 79, Novès annonçait dans la foulée au staff des Bleus qu’il ne pouvait pas postuler au déplacement en Angleterre. Félicité pour son honnêteté, Novès ne fut pour autant jamais rappelé. Une trahison aux yeux du Toulousain, qui le convainquit de ne plus se consacrer qu’à son club, jusqu’à l’obtention en 1985 face à Toulon du premier titre toulousain depuis 38 ans, brisant l’hégémonie biterroise. « C’est ce titre qui a permis à notre club de bâtir la suite de l’histoire » aime à rappeler Novès. Champion une nouvelle fois en 1986 face à Agen, Novès mettait un terme à sa carrière définitif à sa carrière deux ans plus tard en remportant le challenge Du-Manoir, alors qu’il venait de démarrer en parallèle une carrière d’entraîneur avec les Reichel du Stade, eux-mêmes sacrés champions de France. La transition était toute trouvée…

L’entraîneur

Tout frais champion de France aux commandes des Reichel du Stade toulousain, Guy Novès est très vite appelé par le président Jean Fabre pour intégrer le staff de l’équipe première aux côtés du légendaire duo Skrela-Villepreux. Mais rien ne se passe comme prévu. Pensant avoir été choisi pour ses compétences, Novès comprend très vite qu’il est d’abord là pour jouer le rôle de tampon entre le duo et les joueurs, avec qui Skrela et Villepreux connaissaient quelques problèmes relationnels. Le quotidien le renforce dans ce sentiment, Novès souffrant de ne pas être désiré par les deux hommes, dont il devient le « larbin », selon ses propres termes. Une souffrance rentrée, quelque peu compensée par un premier « vrai » titre d’entraîneur en 1989, une nouvelle fois obtenu face à Toulon. Insuffisant toutefois pour gagner totalement la confiance du duo Villepreux-Skrela, qui souhaite une nouvelle fois l’écarter. Mais Jean Fabre persiste, jusqu’à ce qu’une défaite en demi-finale, à l’issue de la saison, mette le feu aux poudres. Alors que Guy Novès s’était vu promettre deux ans plus tôt que Christian Gajan (son binôme avec les Reichel) lui serait adjoint en équipe première, c’est l’inverse qu’on lui propose, à savoir de redescendre en espoirs... La goutte d’eau de trop pour Novès qui conduit, écœuré, se décida à claquer la porte de son club de toujours. D’abord pour s’occuper exclusivement de son collège de Pibrac, où il crée l’AS Rugby, puis au club de Blagnac, qu’il rejoint à l’été 1991. Son unique incartade, d’une petite saison...

« Allô, c’est René Bouscatel... »

C’est alors que le destin s’en mêle. Élu à la suite d’un scandale financier, le nouveau président du Stade toulousain René Bouscatel se manifeste par téléphone, proposant à Novès de reprendre en main l’équipe première en compagnie de Serge Laïrle. Le début d’une aventure qui allait durer 22 ans, démarrée en trombe par un historique quadruplé établi entre 1994 et 1997. « Après le premier titre, lorsque les effusions de joie se sont terminées, j’ai commencé à m’inquiéter. Je me souvenais de l’exemple de Béziers, qui n’avait pas su préparer l’avenir après sa période de domination. Depuis lors, j’ai toujours eu l’anxiété du lendemain. Comment rester au sommet, si ce n’est en conservant un temps d’avance sur les autres ? C’est ce que j’ai essayé d’amener au club. » Précurseur au niveau du jeu (hérité des méthodes de Bru et Labatut, puis perfectionné par le tandem Skrela-Villepreux), le Stade toulousain le devint très vite en matière de préparation physique ou de musculation, mais aussi du recrutement (Toulouse devenant le premier club à engager en 1997 un recruteur du nom de Jean-Michel rancoule) ou de stratégie. Guy Novès devint ainsi l’un des pionniers de ce que l’on n’appelait pas encore « coaching », et sûrement le premier entraîneur français à conserver sciemment sur le banc des énergies, dans le but de faire pencher la balance en fin de match.

Cinq titres en six ans

Des préceptes qui suffirent à vaincre Montferrand, Castres, Brive puis Bourgoin au Parc et menèrent le club loin, très loin, au firmament d’une Coupe d’Europe dominée dès sa première édition en 1996 (face à Cardiff), puis d’une France à nouveau conquise en 1999, au détriment de l’ASM. « C’était notre cinquième titre en six saisons. Nous sommes entrés de plain-pied dans le rugby moderne. C’est là que le rugby français a commencé à marcher sur une patte, que les sélections ont commencé à bouffer beaucoup d’énergie aux joueurs. Le titre de 1999 nous a été offert par le premier All Black jamais recruté au club, Lee Stensness. Il y avait alors très peu d’étrangers dans le championnat, mais c’est à partir de là que l’organisation du rugby a incité les clubs à rechercher des solutions au-delà de ses frontières, par sécurité. » Un constat qui obligea le club, là encore, à s’adapter. Et Guy Novès à évoluer, encore...

Le manager

C’est à l’été 2000, à l’issue d’une saison marquée par deux échecs en demi-finale (face au Munster à Bordeaux en Coupe d’Europe, puis devant le Stade français en championnat), que la mutation définitive intervient. En se séparant de l’entraîneur des avants Daniel Santamans, le Stade demande à Philippe Rougé-Thomas et Christian Gajan d’intégrer le staff de l’équipe première, Novès se voyant promu entraîneur principal, dans un rôle de manager qui ne disait pas son nom. « Au début, je l’avais mal pris, se souvient souvent Novès. Je pensais que l’on cherchait à m’écarter du terrain... Et puis, au fur et à mesure, j’ai compris que cette position d’observateur privilégié permettait de voir les choses d’un œil différent, de mieux connaître les hommes qui se cachaient derrière les joueurs, d’activer d’autres ressorts. » Et Guy Novès devint « Pyscholo-Guy », cessant en parallèle ses activités professionnelles au collège de Pibrac (après cinq titres de champion de France UNSS) pour se consacrer pleinement au Stade toulousain. Une intuition géniale de René Bouscatel, qui permit au Stade toulousain de se relancer, en même temps qu’une nouvelle génération allait prendre le pouvoir...

Régénération dorée

Le grand déclic de cette nouvelle ère ? On le situerait après une nouvelle élimination en Coupe d’Europe, lors d’un banal match de championnat à Grenoble dans lequel étaient lancés trois gamins du club, couvés par Philippe Rougé-Thomas. Leurs noms ? Nicolas Jeanjean, Clément Poitrenaud, Frédéric Michalak. De « sacrés gamins » qui offrirent au Stade un surplus d’imagination au sein d’une ligne de trois-quarts vieillissante... Championne de France deux mois et demi plus tard au Stade de France (après un quart et une demi-finale disputés au Stadium) devant Montferrand, la génération dorée prenait le pouvoir, pour ne plus le lâcher de sitôt, disputant notamment trois finales européennes entre 2003 et 2005, pour deux étoiles supplémentaires accrochées au maillot et... une garde à vue, Novès se voyant coffré par deux inflexibles policiers écossais à Murrayfield pour avoir voulu faire rentrer sur la pelouse Michel Lamolinarie, historique dirigeant du Stade. « Ils m’ont pris pour un hooligan, sourit aujourd’hui Guy Novès. C’est la seule fois où je n’ai pas assisté à la remise du trophée à mes joueurs ! » Sauf que quête effrénée de reconnaissance continentale devait, pendant un temps, détourner le Stade toulousain du championnat national. Deux preuves suivront, avec une infamante défaite en finale face à Biarritz en 2006, 40-13, puis une défaite en demi-finale l’année suivante, face au Clermont de Vern Cotter.

Le refus de 2011

La fin d’une génération, là encore, symbolisée par les départs de joueurs emblématiques, comme Michalak ou Pelous. Mais également par l’arrivée aux manettes du pack stadiste d’un certain Yannick Bru, dans la pure tradition toulousaine. « Chaque fois que nous avons changé d’entraîneur ou presque, nous avons remporté un titre en suivant, s’amuse régulièrement Guy Novès. Cela prouve que les résultats sont souvent pertinents. L’arrivée de Yannick visait à remettre notre pack sur les rails, car s’il était brillant en Coupe d’Europe, il subissait trop souvent dans les phases statiques en championnat. On peut dire qu’il y est parvenu. » Les titres de champion de France obtenus en 2008, 2011 et 2012, ainsi que la quatrième étoile européenne décrochée en 2010, sont là pour en attester. Les dirigeants de la FFR ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés, demandant à Novès d’assurer dès 2011 la succession de Marc Lièvremont. Reste que, comme au temps de sa carrière de joueur, l’équipe de France allait devoir attendre, le manager stadiste préférant régler à Toulouse des problèmes personnels. Lesquels étaient manifestement enterrés quatre ans plus tard... Parce que les résultats du Stade ne sont plus ce qu’ils furent, ainsi que l’assurent certains, et que la personnalité intransigeante de Novès s’est retrouvée au centre de la crise interne qui secoua club au mois de décembre dernier ? Peut-être bien, après tout. Reste que, quoi qu’il arrive, c’est après avoir assuré l’avenir du Stade et participé activement à la nomination du futur staff que Guy Novès s’en ira. Avenir que le futur sélectionneur des Bleus se verrait bien pérenniser d’un ultime pied de nez, à savoir un treizième Brennus personnel, avant de viser le dernier titre qui lui manque. Celui de champion du monde...

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