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Lomu, il était une star

Par Jérôme Prévot
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    Lomu, il était une star
Publié le Mis à jour
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Il y a vingt ans, en 1995, Jonah Lomu a fait basculer le rugby dans une nouvelle d’ère. Retour sur l’avènement d’un trois-quarts aile hors norme, première icône mondiale du ballon ovale.

Il a mis ses 115 kg sur la balance et fit basculer la planète ovale. L’année 1995 représenta vraiment une étape capitale dans l’histoire du rugby. Non seulement ce sport devint officiellement professionnel, non seulement l’Afrique du Sud put enfin jouer (et gagner) une Coupe du monde, mais, surtout, le jeu changea de dimension, presque d’identité. Cette dernière métamorphose avait un visage, un nom et une adresse : Jonah Lomu. Un Néo-Zélandais d’origine tonguienne, élevé dans les banlieues défavorisées d’Auckland, formé au Wesley College puis repéré par la province de Manukau Counties, où, un jour, un technicien (Ross Cooper) comprit qu’il aurait tout à gagner à faire jouer ce colosse parmi les trois-quarts, à rebours de toutes les conventions. Nous, Français, l’avions découvert un an plus tôt en juin 1994, lors des deux victoires historiques de l’équipe commandée par Philippe Saint-André. Il venait de briller avec la sélection à sept à Hong Kong, mais ses deux premières sélections chez les seniors avaient tourné au fiasco. Lomu ressemblait plus à un phénomène de foire qu’à un vrai joueur. Il n’était qu’un débutant de 19 ans, jeté là un peu par hasard et son record de plus jeune All Black de tous les temps semblait destiné à rester au rayon des anecdotes. D’ailleurs, il ne fut pas rappelé pour la série de tests qui suivit contre les Springboks.

Sélectionné au dernier moment

Il fallut attendre un an avant de le revoir sous le maillot noir quand, au moment d’officialiser son groupe pour le Mondial, le sélectionneur Laurie Mains fut pris d’un doute. Il ne pouvait décidément pas se passer de ce joueur hors-norme qui venait encore de tout dévaster avec l’équipe nationale à VII là Hong Kong. En 1994, côté français, on ne pouvait pas savoir que Jonah Lomu ne venait de découvrir le poste d’ailier que depuis quelques semaines après avoir joué dans le pack durant ses jeunes années. En 1995, il commençait à maîtriser les bases de son nouveau poste, notamment les principes du placement en défense. On imagine les affres de Laurie Mains car Jonah Lomu ne jouait pas dans une grande province (Counties Manukau). Il était finalement difficile d’évaluer son réel niveau. «Je n’ai pris ma décision qu’à l’issue du dernier camp d’entraînement. Ce n’est pas le joueur que nous voulions juger, car nous étions conscients de son potentiel, mais l’homme et son pouvoir d’intégration dans notre groupe. Sa capacité à se remettre en question, à prouver qu’il avait vraiment l’esprit d’un All Black.»

Mains choisit de tenter l’aventure et de coucher ce spécimen sur sa liste, sans se douter qu’il détournait le fleuve rugby de son lit séculaire.

Rien ne serait plus comme avant. Entre le 27 mai et le 25 juin 1995, Jonah Lomu passa du rang de curiosité locale à celui d’icône mondiale : sept essais en cinq matchs, dont évidemment ce quadruplé surhumain contre les Anglais en demi-finale au Cap, avec ce ballon ramassé à une main, cette accélération et cette scène digne finalement des images d’Obélix dans «Astérix chez les Bretons». Son vis-à-vis Tony Underwood se jeta avec courage dans ses jambes, d’une pichenette furtive, Lomu le repousse comme un moustique. Will Carling arrive en travers, Lomu le neutralise d’une simple ruade, soulier dans le pif. Il ne reste qu’un dernier rempart : Mike Catt qui, en quelques secondes révise les consignes que tout gamin, on lui apprenait à l’école. «Il est plus costaud. Baisse-toi.» Catt applique la recette à la lettre, il attend la bête dans une curieuse position accroupie. Jonah Lomu va le traverser en le piétinant comme un éléphant d’Hannibal l’aurait fait à un légionnaire romain.

Mondial 1999 : Jonah Lomu marque après avoir éliminé les défenseurs français dont Juillet, Galthié et Ntamack.

Comme si Colin Meads avait pris de la potion magique

Jamais on avait vu un homme d’1,95 m pour 112 ou 115 kg courir aussi vite (moins de onze secondes), comme si Colin Meads avait pris de la potion magique. Colin Meads… le deuxième ligne que l’on faisait passer pour un Hercule trente ans auparavant, ne faisait qu’1, 92 m pour 102 ou 105 kg et il ne lui serait jamais venu à l’idée de sprinter. Les conséquences de l’avènement de Jonah Lomu furent telluriques. Après son exploit, le joueur lui-même comprit qu’il venait de changer le monde. Il demanda à son manager, Brian Lochore de ne pas venir en conférence de presse : « Il est très intimidé, il m’a chargé de vous dire qu’il ne saurait quoi dire devant tout ce monde », déclara ce dernier à la cohorte des journalistes frustrés. Le lendemain, la presse fleurissait d’articles croustillants sur le «phénomène». Un journal néo-zélandais se mit à l’estimer… financièrement comme une maison de bord de mer ou, plus vulgaire encore, un footballeur. Il pèserait 8 millions de dollars néo-zélandais, une première pour un rugbyman (sans que l’on comprenne bien à quoi ça correspondait). Un second asséna que les Treizistes anglais de Wigan auraient proposé 14 millions de dollars néo-zélandais pour l’engager, un troisième révélait que le joueur avait déjà un agent, un Gallois nommé Phil Kinsgley-Jones et qu’il lui avait fait signer un contrat d’un million de dollars avec les chaussures Mizuno et les voitures Mazda. Un quatrième agita le spectre des clubs treizistes australiens sans citer de chiffres. On apprit aussi que les Anglais de Leeds avaient failli rafler la mise.

Entre le 27 mai et le 25 juin 1995, Jonah Lomu passa du rang de curiosité locale à celui d’icône mondiale : sept essais en cinq matchs, dont évidemment ce quadruplé surhumain contre les Anglais.»

Jamais on avait parlé aussi ouvertement de fric pour un joueur de rugby. Les plus jeunes ont aujourd’hui du mal à se rendre compte ce que signifiait le dogme de l’amateurisme. Lomu fut le premier (gros) coup de canif à ébrécher ce rideau séculaire. Même si les deux dossiers étaient en marche, son avènement ne put que qu’accélérer le passage au professionnalisme décidé par l’IRB. et que finir de convaincre Ruppert Murdoch, le Tycoon des médias a lancé le Super 12, le championnat transnational des franchises sudistes. La Fédération néo-zélandaise ne voulait surtout pas le voir partir. Durant la tournée des All Blacks en France de l’automne suivant, un commentateur télé français se fit un plaisir de signaler que ses émoluments suscitaient de la jalousie chez ses partenaires et qu’ils ne cherchaient à lui passer le ballon qu’en cas d’absolue nécessité.

Lomu a terminé sa carrière à Marseille, le temps de quelques matchs joués en Fédérale 1. Sans convaincre.

Son image pour un jeu vidéo

Une chose est sûre, Jonah Lomu est devenu la première star mondialisée du rugby, célèbre hors des frontières classiques de son sport. Aucun autre joueur de rugby n’a pu prétendre, depuis, à ce statut. Quel autre joueur pourrait ainsi être immédiatement reconnu dans les rues de Paris comme nous l’avons constaté l’an passé sur les Champs Elysées ? Et quel autre joueur pourrait se targuer d’être suivi, sur Tweeter par Mike Tyson en personne ? Après le Mondial, il vendit son image à un jeu vidéo sur console qui se vendit comme des petits pains. Il est encore considéré aujourd’hui comme le jeu vidéo rugbystique le plus abouti. En vingt ans, il n’a pas tant vieilli que ça. L’apparition de Jonah Lomu n’a sûrement pas eu que des bons côtés. Avec lui, le rugby est passé dans l’ère de la puissance et de la force par opposition à celle de la technique, de l’inspiration et de la roublardise. Et il n’en est toujours pas sorti. Dès les jours qui suivirent ce 18 juin 1995, un «puriste» nous glissa : «Il vous plaît ce Lomu ? Il ne sait que courir tout droit devant…» D’autres censeurs tatillons mirent en avant ses défauts : «Il ne sait pas défendre, il met du temps à se retourner. Il doit reprendre son souffle entre deux courses.» Arguments recevables mais qui ne pesaient rien face à son pouvoir de destruction massive. Suprême honneur, son patronyme devint un nom commun, presque une catégorie. On se mit à chercher des «Lomu Blancs» avec des fortunes diverses : Olivier Sarraméa, Ben Cohen ou le furtif Sud-Africain Dean Hall.

Mais la plus belle victoire symbolique de Jonah Lomu fut peut-être d’avoir été le Moïse des peuples du Pacifique. On comprit avec lui que les Polynésiens et les Mélanésiens étaient taillés pour le rugby moderne. Après avoir été colonisés sans ménagement et laissés à la marge des grands mouvements de l’histoire moderne, les gens du Tonga, des Samoa ou des Fidji allaient devenir une main-d’œuvre recherchée et recrutées à prix d’or par les puissances occidentales. Jonah Lomu leur avait ouvert leur Mer Rouge.

Une carrière internationale débutée en 1994 contre la France

Né le : 12 mai 1975 à Auckland (Nouvelle-Zélande). Mensurations : 1,95 m, 115 kg. Poste : Trois-quarts aile. Clubs successifs : Franchises > Blues, Chiefs, Hurricanes, Cardiff Blues. Provinces > Counties Manukau, Wellington, North Harbour. Clubs : Marseille-Vitrolles. Sélections nationales : 63 pour les All Blacks (1994-2002). 1er match en sélection : À Christchurch contre la France, le 26 juin 1994. Points en sélection : 37 essais. Palmarès : Vainqueur des Tri-Nations (1996, 1997, 1999, 2001, 2002), Vainqueur du Super 12 (1996)

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