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Carnet noir. Hommage à Lucien Mias : "le grand combattant du XV de France est mort"

  • L'équipe de France avant France-Angleterre 1951 pour la première victoire française à Twickenham
    L'équipe de France avant France-Angleterre 1951 pour la première victoire française à Twickenham PA Images / Icon Sport - S&G
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C’est plus qu’un joueur qui nous a quittés, c’est une légende, un symbole, un rénovateur. Il a révolutionné le jeu d’avants dans les années 50 lors de la fameuse tournée du XV de France en Afrique du Sud. Instituteur devenu médecin, son envergure dépassait le cadre des terrains de rugby.

C’était à la fois une conscience et une grande gueule. Lucien Mias est parti à l’âge de 93 ans, il était né le 28 septembre 1930. Une longévité en osmose avec son métier de médecin spécialiste de la gériatrie. Il fait partie des joueurs qui auront le plus influencé le rugby français, bien plus que ne l’indique une lecture brutale de son palmarès. 29 sélections en huit ans de carrière internationale. Il fut aussi l’homme d’un seul club ou presque, Mazamet avec qui il ne fut jamais champion de France mais seulement finaliste en 1958 (en gagnant toutefois le Du-Manoir la même année). Mais son nom est associé à deux moments très intenses, la tournée triomphale de 1958 en Afrique du Sud et la victoire de 1959 dans le Tournoi, la première des Français sans partage. Il arrêta sa carrière internationale dans la foulée, à 29 ans et demi. Elle avait été coupée en deux : 17 sélections entre 1951 et 1954 et 12 entre 1957 et 1959. Il avait profité de sa traversée du désert bleu pour perdre 20 kg et passer du statut de colosse un peu chien fou à demi-athlète capable de mener par l’exemple un paquet d’avant vers des rivages inconnus. "C’était un personnage exceptionnel. J’ai vu deux grands capitaines en équipe de France, Lucien Mias en premier lieu et Jean-Pierre Rives en second lieu", narre Henri Gatineau, ancien rédacteur en chef de Midi Olympique qui fut proche de lui. "Vous me parlez de Jean Prat ? Non, Jean Prat était craint par ses joueurs. Lucien avait, lui, une dimension humaniste."

Lucien Rogé, ailier de Béziers est désormais le dernier survivant de la tournée de 1958 : "Lucien Mias a donné de la fraternité au XV de France, avant lui c’était différent. On venait de clubs différents, on pouvait se sentir isolés. Il a su nous transformer en vraie équipe. Après lui, les avants accéléraient le jeu, avant, ils le ralentissaient. Sa supériorité était d’abord intellectuelle." Lucien Mias devint ensuite une sorte de statue du commandeur, une référence dont on transmettait le souvenir aux plus jeunes de génération en génération. Dans les années 1980, on le redécouvrit quand il commentait les matchs du XV de France aux côtés de Pierre Salviac (en 1984). Il fut d’ailleurs moins médiocre dans cet exercice qu’il le disait lui-même. Il fit raisonner cette phrase dans notre salon. : "L’arbitre, c’est comme le vent ou la pluie, c’est un élément du jeu. S’il se trompe, il se trompe. » Il fustigea Serge Blanco en direct pour une relance déplacée et vouée à l’échec : « Il ne doit pas oublier les avants qui ont gagné le ballon pour lui…". Son parcours fut exceptionnel car Lucien Mias était bien plus qu’un simple joueur de rugby, le ballon ovale ne fut qu’une partie de sa vie, même si elle le rendit célèbre. En marge de sa carrière, il fut d’abord instituteur, puis à vingt-deux ou vingt-trois ans décida d’entreprendre des études de médecin.

Quelle volonté il fallait avoir, même à l’époque ! M. Fabre, le président de Mazamet le logeait dans un petit appartement toulousain et il se rendait à la faculté à vélo. On lui donna le surnom de « Docteur Pack » évidemment. Plusieurs médecins toulousains confiaient, des étoiles dans les yeux, l’avoir vu, affronté ou accompagné lors de matchs universitaires qu’il disputait en marge de sa carrière officielle. Il en joua même un la même semaine qu’un France-Angleterre. Henri Gatineau se souvient : « J’étais son voisin, il habitait dans une loge de concierge avec sa femme et ses deux filles, rue de la Balance à Toulouse. Mais il était aussi célèbre que l’est Dupont actuellement. Je travaillais pour six journaux en même temps et tous les jours on me demandait de l’interroger sur tous les sujets. Il était costaud, mais mal fichu, ses genoux se touchaient. Sur le terrain, c’était un ouragan. »
Mais pourquoi a-t-il laissé une telle empreinte dans le rugby français ? Par la force du souvenir de la tournée de 1958 en Afrique du Sud qui vit les Bleus faire match nul au premier test, et s’imposer dans le second. Elle fit des Bleus des sortes de mini champions du monde virtuels. Tant les Springboks étaient redoutés.

Son rugby appartenait aux joueurs

Elle donna lieu aussi à un livre extraordinaire écrit par Denis Lalanne : « Le Grand Combat du XV de France. » qui forgea sa légende. Le plus surprenant c’est qu’il ne devait pas en être le capitaine mais Michel Celaya s’était blessé lors du premier match. Ceci dit, Lucien Mias était né avec ce tempérament fait pour commander et donner son avis sur presque tout. Une anecdote lui reste attachée, la célèbre algarade qui l’opposa à Jean Prat, à l’issue de la finale 1958 : « Tu n’es pas Monsieur Rugby ; tu es Monsieur anti rugby ! » ; « Et toi, si on t’enlève ta grande gueule, il ne te reste plus rien. » Rien n’était vrai dans ces deux saillies verbales, Prat et Mias étaient deux monstres sacrés mais n’avaient pas le même tempérament. Se repencher sur son parcours, c’est s’apercevoir que le rugby d’autrefois appartenait aux joueurs, le XV de France de Lucien Mias n’avait pas de staff technique. Alors, à moins de trente ans, il se retrouva de facto aux manettes pour redresser la sélection et lui proposer un vrai schéma de jeu (lire ci-contre). Son adresse à Amédée Domenech, pilier virevoltant, est restée célèbre : "Tu es le plus fort d’entre nous mais sans toi, nous sommes tous meilleurs."

Lucien Mias avait arrêté sa carrière pendant trois ans pour se concentrer sur ses études. Il avait été rappelé en 1957, par André Crabos, président de la FFR. Mias avait dit oui, sans cacher qu’il comptait bien imposer sa conception du jeu et son sens de la discipline. Il prenait les sélectionneurs de l’époque pour des rigolos, surtout Roger Lerou : "Quand ce dernier venait donner des conseils en costume de ville sur le terrain. Lucien attendait son départ, réunissait les joueurs en cercle et leur disait : "Oubliez tout, on va faire le contraire." La légende disait qu’il avait remis à sa place Annette Semon, une secrétaire de la FFR très puissante qui outrepassait ses fonctions jusqu’à donner son avis sur les compositions : "Ecoutez, bornez-vous à envoyer les convocations."

Ce n’était pas toujours un ange. à Port-Elizabeth, contre les juniors Springboks, il avait demandé à ses hommes de sortir la boîte à gifle. Écoutons ce qu’en disait Denis Lalanne dans don ouvrage de référence : "Chahuteur intégral, cependant sadique de la discipline et de l’esprit d’équipe ; censeur impitoyable, féroce, ne faisant pas d’effort pour se rendre sympathique ; une gueule insupportable mais une discrétion exemplaire dans le succès. Mias compose un personnage difficile à cerner. Il faudrait Michel Simon dans sa meilleure forme pour le renouveler." Ce n’était pas non plus un moine, il fut même photographié par France Soir… En tutu au cours une troisième mi-temps. À Mazamet, ça passa inaperçu. Nous avons aimé, admiré et respecté Lucien Mias aussi parce que, revenu à la vie civile, il enfila une blouse blanche et un stéthoscope. Sa nouvelle vie put commencer, elle fut enrichissante mais non exemptes de malheur, la mort tragique de sa petite fille, assassinée en 2014 nous fit souffrir à sa place.

Une référence de la gérontologie

Il n’entraîna jamais, il le faisait déjà quand il chaussait les crampons. Il se retrouva dans des hôpitaux et se spécialisa donc en gériatrie ou plutôt en gérontologie, Lui qui maniait l’informatique comme un virtuose, qui lisait Le Monde tous les jours y développa des thérapies et des exercices destinés à lutter contre la marche impitoyable du temps, plus impitoyable encore que ces packs des Springboks auxquels il avait su résister. On venait de loin observer son institut. Ancien correspondant de Midi Olympique à Lavaur, Jacques Cancel était l’un de ses amis : "Je l’avais connu en 1961. Il m’avait aidé à tracer le terrain de Lavaur pour un match amical contre l’équipe 3 de Mazamet. Je lui rendais visite deux fois par moi et lui téléphonais plusieurs fois par semaine. Je l’ai vu trois jours avant sa mort, dans une clinique privée de Mazamet. Une mauvaise chute l’y avait conduit. Quand il m’a vu, il m’a demandé de l’eau, au timbre de sa voix, j’ai compris que la fin était proche. Autour de lui, il y avait des journaux de sport, il m’a avoué qu’il ne pouvait plus en lire les titres. Mais il avait sa tête. Il ne parlait jamais de la mort, il était pudique sur ça. Il avait perdu tragiquement une petite fille, il avait perdu son gendre brutalement. Je lui avais appris la mort de François Moncla. Dans ces cas-là, il me disait : « Monsieur, je ne parlerai pas ce soir»." Il ne parlera plus pour citer « Sophocle » comme il le fit un jour à Stade 2. Comment lui rendre l’hommage qu’il mérite ? Peut-être en disant qu’il fut le nec plus ultra du rugby amateur, son héros et son héraut.

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Les commentaires (1)
envoituresimone Il y a 13 jours Le 19/05/2024 à 16:40

J'aurais bien aimé lire en légende la composition de cette équipe. Ce n'est pas tous les jours que disparaît un héros , surtout face à son ennemi préféré.