Abonnés

Portraits - George North : le totem d’une époque tire sa révérence

  • Le totem d’une époque  tire sa révérence
    Le totem d’une époque tire sa révérence
Publié le
Partager :

George North a annoncé la fin de sa carrière internationale. Jamais avant lui, le rugby gallois n’avait pu compter sur un trois-quarts aussi rapide et puissant. On le compara même à jonah Lomu. Avec lui, laprincipauté a tutoyé les sommets pendant plus de dix ans

Son apparition fit l’effet d’une boule de flipper lancée à toute force sur les bumpers de la défense des champions du monde. Ce jour de 2010, le pays de Galles avait perdu 25-29 contre l’Afrique du Sud mais dans les coulisses du Millennium, on ne parlait que de lui. George North, un garçon de 18 ans aux mensurations qui relevaient de la science-fiction pour la petite principauté : 1,93 m pour 114 kg. Il n’avait joué que six matchs avec les Scarlets, qu’il n’avait rejoints que l’été précédent.

North venait du nord du pays, une rareté, et il était passé par le prestigieux collège de Llandovery, comme Alun-Wyn Jones et quatre autres Lions. Immédiatement, la comparaison avait fusé, le pays de Galles tenait son Jonah Lomu. "Oui, nous n’avions jamais vu un joueur qui alliait un tel gabarit à une telle vitesse au pays de Galles. Alors, son irruption fut comme une bouffée d’air frais. Il avait la carrure de Jonah Lomu, il jouait comme lui ailier, mais il était Gallois", explique l’ancien demi d’ouverture Jonathan Davies devenu consultant vedette à la télévision.

Des débuts foudroyants

On a toujours eu l’impression que les vedettes du premier âge d’or gallois, les Gareth Edwards, Barry John, JPR Williams et consorts jouissaient d’une aura indétrônable. Et que leurs successeurs avaient toujours un peu pâti de leur ombre. Question d’accessibilité, peut-être, ou de profusion d’images. Mais, en ce début de semaine, c’est bien un monument qui a annoncé sa retraite internationale.

Ses débuts furent tellement foudroyants qu’on avait imaginé que sa carrière serait celle de tous les records. Ainsi, il marquait neuf essais sur ses douze premières sélections.

Comme souvent chez les jeunes ailiers, ses statistiques se sont un peu ralenties avec le temps. Et puis, en 2021, Wayne Pivac le fit passer au centre. Mais son bilan reste phénoménal : deux grands chelems, deux victoires simples dans le Tournoi des 6 nations, deux demi-finales de Coupe du monde et deux tournées sous le maillot des Lions. Il a marqué 47 essais sur la scène internationale (seul Shane Williams a fait mieux pour les Gallois) et son total de sélections devrait s’arrêter à 121 (seuls Alun Wyn Jones et Gethin Jenkins en comptent d’avantage).

Un parcours lié à Gatland

North a annoncé la nouvelle en larmes à ses coéquipiers, alors qu’il venait d’apprendre qu’il allait commencer le match contre l’Italie après avoir été évincé du duel contre la France. L’information de la retraite de George North a surpris, dans la mesure où le centre-ailier désormais aux Ospreys avait laissé entendre qu’il était prêt à continuer à défendre ses couleurs nationales, malgré son exil annoncé vers la France. On sait désormais que lui et Warren Gatland se sont rencontrés face à face pour d’honnêtes discussions. Le vénérable sélectionneur lui a expliqué qu’il n’était pas réaliste de vouloir voguer vers une cinquième Coupe du monde.

Les destins des deux hommes se sont longtemps confondus, c’est Gatland qui lui donna sa chance en 2010 et qui bénéficia pendant neuf ans de ses exploits : "Je me souviens du moment où je l’ai découvert et je me suis dit : "On doit prendre ce gamin avec nous." Et je me souviens parfaitement, bien sûr, de son entrée en scène à 18 ans." Le sorcier néo-zélandais n’ignore rien de la dialectique de l’entraîneur et de l’entraîné. Qui doit le plus à l’autre ?

Dans ce cas, la fusion a dépassé le strict cadre national puisque Gatland a aussi cornaqué North avec les Lions, surtout lors de la tournée 2013 en Australie. George North avait atteint là sa plénitude avec un essai en solo au premier test, un autre lors du troisième test décisif et aussi, et surtout, cette image sidérante de lui courant ballon en main avec l’arrière australien Israel Folau sur son dos, comme un grand blessé qu’on aide sur un champ de bataille. Une scène typique de son temps que les grands noms des années 70 ne risquaient pas de vivre.

Dans ces années 2012-2013, il semblait vraiment intouchable, son essai avec les Lions contre les Wallabies en fait foi : une simple relance en réception d’un coup de pied, sur 60 mètres plein champ en échappant à quatre défenseurs. Il avait aussi marqué contre la France à Saint-Denis cette année-là, servi au pied en bout de ligne en "blackboulant" François Trinh-Duc venu en repli mais surtout en découvrant, stupéfait, son propre père, anglais de naissance, sautant sur la pelouse pour se mêler aux célébrations. Cas unique dans le Tournoi.

Après quatorze années, je pense que c’est le moment idéal pour s’éloigner. J’ai adoré chaque seconde où j’ai porté le maillot du Pays de Galles, et j’ai pu évoluer aux côtés de coéquipiers fantastiques. J’ai été très chanceux de pouvoir vivre mon rêve. Je suis impatient de vivre un nouveau chapitre. Merci à tous pour votre soutien tout au long de ces années.

George North fut vraiment un témoin de son époque, physique et financière. On eut de la peine pour lui lorsqu’il dut quitter les Scarlets et le pays de Galles dès 2013 pour rejoindre Northampton. La franchise de Llanelli était aux abois financièrement et son contrat fut racheté environ 290 000 euros. Cas typique d’un joueur dépassé par son propre talent et donc par sa valeur sur le marché. On peut aussi estimer que son départ à venir en France en Pro D2 (Aix-en-Provence) est lié à la grave crise financière que traverse la WRU. Elle n’a plus les moyens de payer tous ses joueurs d’élite au prix de leur talent, la politique des doubles contrats atteint elle aussi ses limites.

George North fut enfin le témoin de son époque sur le plan médical. Il fut l’homme des commotions à gogo. Il en a connu sept, dont cinq pour la seule année 2015, ce qui alimenta les bruits d’une retraite précoce. En 2020, il était resté inconscient après un choc avec Gaël Fickou. "Il laissera l’image d’un joueur qui a surmonté plein de coups du sort. Il a subi des mauvais chocs qui auraient pu stopper ou hacher sa carrière, mais la manière dont il en est revenu fut très impressionnante", poursuit Jonathan Davies. "Rester aussi longtemps sur le devant de la scène dans un style aussi physique démontre à quel point il fut un grand professionnel."

Lors du dernier mondial, North fit partie de ceux qui ont permis au pays de Galles de faire mentir les oiseaux de mauvais augure. Il se retrouva dans la position d’un taulier, au sein d’une équipe minée par les forfaits. On se souvient de son essai à Bordeaux contre les Fidji, mystifiant Radradra alors que tout le monde attendait une déconfiture des Rouges. Mais on sentit vite que le Tournoi 2024 serait le dernier : à la surprise générale, Warren Gatland le fit sortir du groupe pour affronter la France, drôle de décision prise au nom de la préparation de l’avenir.

George North a pris les devants sur sa retraite par un premier communiqué sur les réseaux sociaux. Après les Sam Warburton, Dan Biggar, Alun Wy Jones, Justin Tipuric, c’est une figure de plus des années fastes galloises qui s’en va. Cette génération a fait aussi bien, dans le contexte du professionnalisme, que sa devancière bénie avec la dureté des chocs en plus. Avec ce rugby galllois en plein marasme, on prie qu’elle trouve elle aussi une héritière.

Le syndrome des commotions

George North aura vécu une carrière riche, mais dangereuse. Les blessures ne l’ont pas épargné, une grosse entorse d’un genou le priva de la tournée des Lions 2021 en Afrique du Sud. Il avait dû quitter prématurément celle de 2017 à cause d’une blessure aux adducteurs. Mais ce sont évidemment ces chocs à la tête qui ont marqué son parcours. Ces multiples commotions ont posé question à tel point qu’un ancien membre du Comité Médical de l’IRB, le docteur Barry O’Driscoll s’était exprimé sans équivoque sur son cas : "Quiconque a eu trois commotions cérébrales devrait envisager de prendre sa retraite. George est talentueux, mais il doit faire face aux faits."

Ce neurologue avait tenu les mêmes propos envers son neveu, l’international irlandais Brian O’Driscoll, lui aussi victime de chocs à la tête. Mais George North a toujours préféré ignorer ces avertissements pour aller au bout de son parcours. En janvier dernier il déclarait chez nos confrères du Guardian : "Cela me poursuit mais il y a des joueurs qui en ont subi plus que moi. J’ai sans doute été le premier cas très médiatisé, je suis toujours mentionné dans les articles écrits sur le sujet. Mais j’ai toujours pris les avis des bonnes personnes de ma propre initiative et en payant de ma poche. Nous avons mis en place un programme de surveillance que j’ai respecté à chaque fois pour vérifier que tout était bon. Mais ça n’a pas été rapporté dans les médias."

En décembre 2022, il avait aussi mangé chaud après un match contre Leicester : "J’ai eu quatre fractures à la pommette et à l’orbite. On m’a posé deux plaques et l’enflure a diminué", avait-il déclaré sans s’alarmer plus que ça.

 

Digest

Né le : 13 avril 1992 à King’s Lynn (Angleterre)

Mensurations : 1, 92 m, 114 kg

Poste : ailier ou centre

Clubs successifs : Scarlets (2010-2013), Northmapton (2013-2018), Ospreys (2018-2024), Provence Rugby (en 2024).

Sélections nationales : 121 pour le pays de Galles ; 3 pour les Lions

Palmarès : vainqueur du Tournoi des 6 Nations en 2012, 2013, 2019, 2021 ; grands chelems en 2012 et 2019, Champion d’Angleterre en 2014, vainqueur de la série de tests en Australie avec les Lions en 2013, demi-finaliste des Coupes du monde 2011 et 2019.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?