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Grand entretien – Fabien Pelous : "Ma génération a essuyé les plâtres du professionnalisme"

  • Fabien Pelous, ancien capitaine du XV de France, nous a accordé un grand entretien !
    Fabien Pelous, ancien capitaine du XV de France, nous a accordé un grand entretien ! Stéphanie Biscaye
Publié le Mis à jour
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Il y a vingt ans, il menait le XV de France au Grand Chelem. Fabien Pelous, l’homme aux 118 sélections, nous a reçus pour évoquer toutes les facettes de son parcours extraordinaire qui a correspondu à l’arrivée du rugby professionnel.

Il y a vingt ans, en 2004, vous étiez le capitaine du XV de France qui réussissait un Grand Chelem. Mais il nous a toujours semblé que cet exploit n’avait pas eu un grand retentissement sur le moment. Pas celui qu’il méritait en tout cas. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas. Peut-être que des Grands Chelems, il y en avait eu trop avant. Mais je pense que ce Grand Chelem 2004 venait juste après la déception de la Coupe du monde 2003. Les Tournois d’après Coupe du monde sont souvent "circonstanciels", on est revanchards d’avoir perdu ou on vient de gagner et on digère. Ça crée des Tournois particuliers, comme celui de cette année d’ailleurs. Alors, ce Grand Chelem 2004, on l’a gagné pour nous alors que le grand public ne l’a pas vécu de la même façon.

Quels premiers souvenirs vous reviennent en mémoire quand on évoque ce moment fort de votre carrière ?
Le match contre l’Angleterre au Stade de France reste un souvenir fort. Ils étaient champions du monde et pour nous c’était la revanche de la demie perdue en Australie. Je me souviens que nous nous sentions dans une certaine continuité, car seul Fabien Galthié avait arrêté. Notre groupe restait soudé avec Dimitri Yachvili qui avait pris le relais au poste de demi de mêlée et il était déjà le joueur qu’on connaîtrait par la suite. Je me souviens que notre équipe maîtrisait vraiment son jeu.

Fabien Pelous était le capitaine du XV de France lors du Grand Chelem en 2004.
Fabien Pelous était le capitaine du XV de France lors du Grand Chelem en 2004. Icon Sport

Avez-vous l’impression que vous pratiquiez un rugby différent de celui d’aujourd’hui ?
Oui, bien sûr.

Dans quels domaines ?
Dans tous. Aujourd’hui, c’est le rugby des plus. Il va plus vite, il faut être plus endurant, il y a plus de stratégie. Ma génération a essuyé les plâtres du professionnalisme. Nous nous entraînions parfois très bien, parfois très mal, parfois trop, parfois pas assez. Tout était balbutiant. Maintenant les joueurs s’entraînent de telle heure à telle heure, ils mesurent parfaitement leurs dépenses énergétiques. Nous, nous commencions tout juste à regarder les datas et les données chiffrées. Mais maintenant, quand un gars de 18 ans-19 ans débarque dans un effectif, on sait évaluer son potentiel et ses capacités d’entraînement. A mon époque, ça n’existait pas et c’est pour ça que nous et nos adversaires connaissions d’impressionnants trous d’air. On voyait des équipes qu’on croyait très physiques s’effondrer en deuxième mi-temps. Peut-être qu’elles s’étaient trop entraînées en semaine.

Sur un plan tactique, c’était le début des blocs, des cellules, une autre façon de pratiquer le rugby, non ?
On arrivait tous avec notre passé de formation. Et selon si on venait du sport-études de Jolimont à Toulouse ou de Lakanal ou d’Ussel, on n’avait pas la même façon de voir le rugby. Il fallait faire un mélange de tout ça. La grande force de Bernard Laporte et de Jacques Brunel fut de mettre en place une façon de jouer simple et facile à assimiler. Mais ce que vous me décrivez répondait aussi à une réalité, les actions duraient plus longtemps, tout simplement. Quand j’ai commencé, un match à 25 minutes de temps effectif était exceptionnel. Vers 2010, quand j’ai arrêté on approchait souvent les 35 minutes, j’ai vécu cette charnière.
Aujourd’hui, les joueurs restent clairement dans des zones c’est exact, à mon époque, on me demandait plutôt de travailler sur des schémas de course. C’était un peu différent mais nous étions en train de construire ce genre de système.


Quand on repense aux images de votre carrière, on se souvient de vos affrontements avec l’Angleterre alors très forte, ce fut le dernier match de ce Tournoi 2004. Vous aviez un semblable en la personne de Martin Johnson, était-il dur quand on se le coltinait physiquement ?
Nous étions faits du même bois. Celui des rugbymen de l’époque qui était différent de celui des gars qui jouaient dix ans avant, qui était encore plus dur. Je ne dis pas que le bois d’aujourd’hui s’est attendri, mais il s’exprime différemment, c’est sûr.

On l’a un peu oublié mais vous n’étiez pas un enfant de chœur…
Non, mais je n’ai jamais été bagarreur. J’ai rarement mis des coups (même si ça a pu arriver parfois), mais les adversaires n’aimaient pas m’affronter parce qu’avec moi, quand il y avait contact, je ne faisais pas semblant.

En 1999 en finale de la Coupe du monde, quand John Eals arrête le match pour se plaindre de coups défendus et de fourchettes, étiez-vous visé ?
Non je n’ai pas été un adepte de ce genre de choses.

Mais il se passait des choses dans les regroupements à cette époque, non ?
Oui, des trucs se faisaient. Je me souviens d’un moment de septembre 1995, j’avais failli manquer un match international parce que j’avais pris une fourchette justement de la part d’un gars qui avait été international quelques années auparavant. C’était un rugby moins surveillé, on ne peut que se réjouir d’être passé à autre chose sur ce plan-là.

On se souvient d’une suspension d’un coup de coude sur le talonneur australien Cannon en 2005 ou d’un fameux coup de pied aux fesses sur un joueur du Munster en finale de la Coupe d’Europe 2008…
Pour le coup de coude sur Brendan Cannon, je revenais de blessure, le match était très avancé, je perdais de la lucidité, il m’est passé devant pour me couper la route, j’ai mal réagi. En finale 2008 contre le Munster, j’ai mis un coup de pied aux fesses à un mec qui était venu me marcher sur les pieds, j’ai balancé ma jambe. Mais ce n’était pas une agression. J’espère quand même que ce ne sont pas les deux seuls gestes dont les gens se souviennent.

En 1995 à Toulouse, contre les All Blacks de Jonah Lomu pour votre premier grand match international, vous aviez fait une passe magnifique sur un pas pour Philippe Carbonneau qui servit Philippe Saint-André pour l’essai décisif. Votre geste avait impressionné sur le moment. À l’époque, on vous voyait comme un avant qui avait de la dextérité. Vous incarniez la modernité…
Mais c’était la façon dont on m’avait appris à jouer au rugby. Je n’en connaissais pas d’autre, au Sport-Études de Jolimont, on m’avait appris à lire les situations. Je ne pense pas avoir été parmi les premiers avants à jouer au ballon, il y en avait avant moi. Mais c’est vrai que beaucoup de joueurs faisaient des choses machinalement. On m’avait montré une autre façon de voir le rugby et puis, Jean-Claude Skréla ex-entraîneur du Stade Toulousain, venait de reprendre le XV de France, Pierre Villepreux allait le rejoindre. Ils cherchaient à valoriser le genre de joueur que j’étais.

Pour ce match vous étiez deuxième ligne mais sur vos 118 sélections, on se rend compte que vous avez joué à 13 reprises au poste de numéro 8, un poste où il faut savoir manier le ballon…
Oui, j’ai même fait une grande partie de la finale de la Coupe du monde 1999 en troisième ligne centre puisque Christophe Juillet s’était blessé. J’ai navigué entre les deux postes jusqu’à 25 ans environ, avant de me fixer en deuxième ligne.

Pourquoi ?
C’était la période où les numéros 8 restaient en troisième rideau et remontaient les ballons. Thomas Lièvremont faisait ça à merveille par exemple. Moi j’aurais pu le faire mais les entraîneurs pensaient que j’étais bien plus efficace sur la ligne d’avantage. Je mettais beaucoup d’engagement, énormément et j’aimais beaucoup défendre, je donnais cette exemplarité-là.

Aujourd’hui, recevriez-vous beaucoup de cartons ?
Pas forcément, je ne plaquais pas haut, je n’ai jamais pris un carton pour un plaquage dangereux.

Ne pensez-vous pas que les cartons ont pris une importance démesurée dans le rugby d’aujourd’hui ?
Disons que ça fait de grosses différences sur des choses qui ne sont pas forcément volontaires. Ça rend le rugby encore plus aléatoire. Et c’est une question d’arbitrage qui aboutit à ça. On voit désormais des cartons rouges qui sont décryptés à l’image près au ralenti. À partir du moment où l’arbitre fait appel à la vidéo, il est obligé d’appliquer la règle stricto sensu. Il n’y a plus d’interprétation. La notion d’intention du joueur doit être prise en compte à mon avis mais c’est vrai, il y a aussi la question de la sécurité des joueurs. Pour les arbitres, c’est un dilemme. Dois-je appeler la vidéo au risque de sortir un joueur et déséquilibrer un match alors qu’il n’y avait pas d’intention ? Je reconnais que c’est très dur. Dans notre sport, l’arbitre a toujours eu du poids et je crois même que le rugby a été inventé pour ça. Je pense que le rugby sortirait grandi si on donnait moins d’influence, je n’ai pas la solution mais je préférerais qu’un match se joue sur la qualité des joueurs plutôt que sur telle ou telle décision.

Votre génération est aussi celle qui a connu l’autorisation de l’ascenseur en touche. Vous étiez concerné au premier chef. Comment avez-vous vécu ça ?
Comme les secondes lignes de l’époque, j’étais de fait sauteur puisque j’étais grand. C’est sûr que l’arrivée de l’ascenseur en touche fut une innovation très intéressante. Au début, on faisait soulever les sauteurs par des piliers qui semblaient les plus à même d’occuper cette fonction, puis on a compris que ce n’était pas si mal de faire soulever un grand… par un autre grand. Et puis j’ai vu arriver certains profils, des purs spécialistes de la touche, je me souviens de Jean Bouilhou, exceptionnel dans la lecture de la touche et apte à sauter très vite, Patrick Tabacco aussi était de ce genre-là. C’était nouveau.

A vous entendre, on a l’impression que la demi-finale perdue à Sydney contre l’Angleterre vous a beaucoup marqué. Pourquoi ?
Oui, on se sentait au niveau de cette équipe d’Angleterre. Nous avons eu tendance à nous croire arrivés à l’avance. C’est un peu comme cette année, on ne pensait pas qu’on ne pourrait pas être champions du monde. Moi le premier je le croyais. Il ne pouvait pas en être autrement. En 2003 on se sentait forts, nous avions un collectif très équilibré, Fabien Galthié avait pris les choses en main. Fabien était un super entraîneur qui, par ailleurs, était un très bon joueur….

L’expérience 2007, une Coupe en France quand même, vous a-t-elle marqué de la même façon ?
Ce n’était pas pareil. On nous attendait comme les messies. J’ai le souvenir de montagnes russes avec beaucoup d’émotions contradictoires c’est vrai. Mais on avait perdu le match d’ouverture. On a compensé avec ce succès miraculeux au Millennium contre les All Blacks, puis on reperd contre les Anglais en demie. Chaque histoire est différente mais les ressorts sont toujours les mêmes. Plus l’espoir est grand, plus la déception est forte.

Douze ans d’équipe de France, 118 sélections, trois Coupes du monde…. Y a t-il eu des moments que vous privilégiez dans votre souvenir ?
Plutôt 1997-1998, les deux Grands Chelems consécutifs, 1998 surtout et le final à Wembley contre le pays de Galles (51-0). Nous étions jeunes, presque tous de la même génération, nous renouvelions quelque chose, nous avions vécu tout ça avec insouciance, On ne voyait que les côtés positifs. Jean-Claude Skréla et Pierre Villepreux nous amenaient autre chose mais je crois beaucoup aux joueurs, plus qu’aux entraîneurs. Bien sûr que ceux-ci peuvent créer un état d’esprit, ils sont là pour faire bien jouer l’équipe. Mais il leur faut une base. Et nous étions une génération de joueurs exceptionnelle.

Y a- t-il un ou deux gars de cette période que vous aimeriez citer ?
Oui, Raphaël Ibanez, on se connaissait depuis le XV de France scolaires. On a vécu des trajectoires parallèles, même si on ne s’appelle pas tous les jours. Il amenait de l’exemplarité par l’énergie qu’il mettait sur le terrain. Lui, moi et Fabien Galthié, on a tourné sur le capitanat, nous étions leaders par notre état d’esprit j’ai l’impression qu’on amenait le même genre de choses à l’équipe.

En plus, Raphaël était un super lanceur, non ?
Oui, très fort, à une main en plus.

En 2007, Bernard Laporte le désigne capitaine pour la Coupe du monde, alors qu’il ne semblait pas le considérer comme un premier choix à son début de mandat. Vous qui n’étiez jamais sorti de l’équipe hors blessure, vous auriez pu prétendre à cet honneur. En avez-vous souffert ?
Pas du tout mais alors pas du tout !. Je n’ai pas d’ego individuel. Mon ego était collectif et le capitanat de Raphaël n’a pas changé mon engagement et le rapport que j’avais aux autres. On avait vécu tellement de choses, j’ai connu mon premier capitanat en 1997 pour le match perdu à Grenoble contre l’Italie puis il est revenu à Abdelatif Benazzi fin 1997, puis Raphaël Ibanez le fut en 1998-1999, j’ai retrouvé le capitanat une première fois de 1999 à 2001, il est ensuite revenu à Fabien Galthié de 2001 à 2003. Puis je l’ai retrouvé jusqu’en 2006 mais le statut individuel ne me gênait pas. Je n’avais pas cet ego-là. (Fabien Pelous avait manqué le Tournoi 2007 sur blessure, NDLR)

Vous avez aussi été un joueur qui a poursuivi ses études en parallèle de sa carrière, du moins au début…
Oui, j’ai fait un aller-retour Argentine-France en pleine tournée de juin pour passer mes examens de deuxième année de kiné. C’est inimaginable maintenant, non ? Ce qui est inimaginable aussi c’est que les joueurs d’aujourd’hui fassent des études. C’est devenu difficilement gérable. Jusqu’aux Espoirs, ça peut l’être, après c’est trop dur. Quand on est rugbyman professionnel, on l’est 24 heures sur 24 et les études demandent aussi de l’engagement, du temps et de l’énergie, il ne faut pas l’oublier. Personnellement, c’est à partir de 2000 en gros, je me suis entraîné deux fois par jour.

Quel était votre état d’esprit à l’époque ?
En 1995, le rugby est passé professionnel en théorie et en 1998 j’ai eu mon diplôme. J’ai eu la possibilité de tenter l’aventure professionnelle, à l’époque on disait ça comme ça. On ne savait pas ce que ça faisait de ne faire que du rugby dans sa vie. Je me souviens d’un copain de promotion, Gildas Moreau qui jouait à Colomiers, lui a fait le choix de la carrière professionnelle. Aujourd’hui il a un bon cabinet de kiné mais s’il avait fait le même choix, il aurait peut-être pu faire une carrière internationale. A partir de 2000 à peu près, je me suis entraîné deux fois par jour. Mais rappelez-vous que j’ai joué à Dax de 1995 à 1997 alors que j’étais étudiant à Toulouse. Vous imaginez les voyages pour aller s’entraîner. J’ai vécu un drôle de paradoxe quand j’y repense

Ah oui, lequel ?
Quand j’ai débuté en première division, à Dax et même en équipe de France, je m’entraînais moins que quand j’étais au lycée Jolimont. Là-bas, je m’entraînais tous les jours, à Dax, c’était deux fois par semaine. C’était incroyable.

Regrettez-vous de ne pas avoir été entraîneur de club ?
Je le regrette par rapport aux émotions que ça procure. Pas par rapport à la vie quotidienne que ça demande.

Quel bilan faites-vous de votre passage comme directeur sportif du Stade toulousain en 2015 et 2017 ?
Je n’étais pas la bonne personne au bon endroit. Je l’avais conçu comme un poste très administratif et je n’ai pas trouvé ma place. Je n’ai pas trouvé le bon positionnement par rapport à l’entraîneur en chef sur lequel je ne voulais pas empiéter. Et donc, je me suis cantonné à un travail administratif et ce n’est pas là que je suis le meilleur.

Et quel bilan faites-vous de votre action à la FFR où vous avez siégé au Comité Directeur de 2008 à 2020 ?
Il y en a eu plusieurs. J’ai été manager des moins de 20 ans et je me suis régalé dans cet accompagnement de jeunes talents. J’appartenais à un staff et on partageait tout. J’essayais de leur donner quelques petits trucs pour les faire éclore. J’ai vu arriver tous ceux qui sont actuellement en équipe de France.

Vous avez été dans la majorité, puis dans l’opposition à partir de 2016. On vous a vu vous opposer à Bernard Laporte….
J’ai essayé de défendre des principes, une certaine conception de la Fédération et je trouve que les faits me donnent raison quelques années plus tard. Mais Florian Grill a pris le relais avec une certaine efficacité. Bernard était un super manager mais un président de FFR doit savoir fédérer et avoir une vision plus large, moins centrée sur la compétition ou la compétitivité. Cette période m’a beaucoup appris sur la condition humaine, comme lors de mon passage au Stade Toulousain d’ailleurs.
Mais en ce qui concerne la FFR, ce n’est pas dit que je n’y revienne pas. Je suis dans une période où j’ai envie de me consacrer à ma famille mais dans quelques années quand mon dernier fils aura grandi j’aurai plus de temps à consacrer aux instances. Je sais que j’ai une voix qui porte dans le rugby. Ça me paraît important de me positionner de temps en temps. Je suis convaincu que Fabien Galthié est l’homme de la situation. Je me sens proche de ses idées et c’est quelqu’un qui ne vient rien chercher.

Votre carrière fut aussi liée à celle de Guy Novès qui fut votre entraîneur pendant douze ans à Toulouse. Quel souvenir vous a-t-il laissé ? Peut-on le comparer à Bernard Laporte, l’autre entraîneur majeur de votre carrière ?
Ils avaient la même exigence mais avec une façon différente de la faire passer. Disons que Guy Novès avait peut-être une colonne vertébrale plus droite.

Si on se repenche sur votre carrière à Toulouse, on voit que vous avez attendu sept ans entre 2001 et 2008 pour être champion. Ce ne fut pas donc tous les jours facile ?
Vous oubliez les deux titres européens…. Mais le rugby était un peu plus aléatoire, il était moins maîtrisé qu’aujourd’hui au niveau de la tactique, de la technique, même si ça n’en fait pas une science exacte. Mais cette part est actuellement réduite par les questions d’arbitrages dont nous parlions tout à l’heure.

Avec Toulouse, quel fut votre moment de plus grande plénitude ?
Mon plus grand souvenir, c’est mon premier titre européen à Dublin en 2003 contre Perpignan. Je l’ai vécu comme un succès inéluctable, tout paraissait tellement logique. Nous nous sentions poussés par tout un club, par toute une ville.

Fabien Pelous a été le capitaine du Stade toulousain.
Fabien Pelous a été le capitaine du Stade toulousain. Icon Sport


Au fil de diverses interviews, on se souvient de vous rendant hommage à quelques-uns de vos coéquipiers, Philippe Carbonneau notamment et Christian Labit….
Philippe Carbonneau, c’était Antoine Dupont, ni plus ni moins. On ne s’en rend pas compte mais c’était un super joueur de rugby. Il y a des partenaires comme ça qui vous marquent et il en fait partie. Quant à Christian Labit, il m’a marqué car je pense que les adversaires n’aimaient pas affronter sa force de pénétration et sa façon aussi de faire se lever les foules. Il aimait ça. Il y avait son parcours atypique, aussi un gars qui venait du Treize, ça plaisait. Mais il aimait porter le ballon, il avait un côté individualiste, au bon sens du terme car il ne sortait pas du cadre

Vos débuts en équipe de France correspondent aussi au phénomène Castaignède ?
Un joueur qui avait des qualités fantastiques. Il détonnait à l’époque de l’arrivée du professionnalisme. Il ne correspondait pas au moment, avec son gabarit léger. Il a souffert par la suite sur le plan physique avec des blessures à répétition.

Et parmi vos adversaires qui vous a impressionné ?
Nos meilleurs ennemis c’étaient les Anglais de la génération Martin Johnson. Ils étaient dans le registre de la force collective, ils avaient su construire une équipe difficile à perturber. Ils ne vous donnaient pas grand-chose, il fallait batailler pour tout. Tout conquérir de haute lutte. Un peu comme l’Irlande maintenant.

Parmi vos adversaires traditionnels, il y avait Jonny Wilkinson. Quel souvenir vous-a-t-il laissé ?
Il faisait bien jouer son équipe, il lisait le jeu pour utiliser son pied. Il incarnait un 10 comme on n’a jamais su en trouver en France. Je pense que le principal boulot du 10, disons à cinquante pour cent, c’est de porter le ballon, nous avons privilégié les lanceurs d’attaque.

Parmi vos successeurs en termes de poste, on a l’impression qu’on voit des gars massifs évidemment, mais aussi des gars plus longilignes qu’à votre époque…
Oui, on le voit sur les physiques des deuxièmes lignes, il y a un longiligne et un massif. On voit des joueurs qui se spécialisent, Alldritt est un Labit, il est fait pour aller au contact, Cros est taillé pour être un relayeur, pour assurer les phases de transition. C’est plus marqué qu’à mon époque.

Vous trouvez-vous des successeurs dans la génération actuelle ?
Non, par pitié, non, ne me parlez pas de successeur. Mais je suis impressionné par l’abattage de Thibaud Flament. Posolo Tuilagi aussi est marquant par sa puissance incroyable ni plus ni moins que Meafou. Lors de France – Italie, j’ai trouvé Tuilagi très bon dans ses choix de jeu, personnellement c’est comme ça que je valorise un joueur sur sa capacité à bien jouer au rugby, c’est-à-dire à prendre les bonnes décisions. C’est ce qui différencie la génération actuelle de la génération précédente qui n’avait pas d’excellents résultats. On y trouvait des joueurs qui avaient des qualités de vitesse, de puissance aussi mais qui faisaient de moins bons choix que ceux que je vois aujourd’hui.

Pour finir, on connaît bien votre carrière, mais on ne sait pas grand-chose de votre passé, de votre enfance. Quelle était-elle, Rurale ?
Complètement, je vivais à Gibel, un village de la Haute-Garonne à la limite de l’Ariège et de l’Aude. Mon père était ouvrier agricole, puis il a fini contremaître dans une propriété. J’ai vécu certainement dans le dernier Kolkhoze de France. L’industriel André Trigano, maire de Mazères à l’époque, avait racheté plein de fermes autour de sa propriété. Tous les gars de ces fermes étaient devenus ses employés. On vivait donc en communauté, il y avait un ramassage scolaire pour nous. Nous cultivions des céréales et nous élevions des cochons.

Ce Kolkhoze, il n’existe plus ?
Non, ce que faisaient huit hommes, un seul peut le faire désormais avec la mécanisation.

Que faites-vous désormais ?
Je fais des conférences un peu partout en France. J’étais dans les Vosges dernièrement. Et je m’occupe de mon restaurant au village des marques de Nailloux. J’interviens auprès des clubs amateurs, des vieux, des jeunes, des filles. J’assouvis ma passion du rugby, je garde du temps pour ma famille. Car je pense que je lui ai manqué à un certain moment. J’ai la vie que j’ai toujours rêvé d’avoir.

Faites-vous du sport encore ?
Je fais du vélo et du judo. J’ai accompagné mon fils et j’ai voulu essayer et j’ai continué jusqu’à la ceinture noire. J’ai ressenti sur le tard la même chose qu’après mon premier entraînement de rugby à 13 ans, c’est ça que je veux faire.

Fabien Pelous nous a retrouvé dans sa brasserie à Nailloux.
Fabien Pelous nous a retrouvé dans sa brasserie à Nailloux. Stéphanie Biscaye

Making-off

Fabien Pelous nous a donné rendez-vous à Nailloux, un village de marques construit en pleine campagne à quelques kilomètres du village de son enfance. Il y a ouvert une brasserie tapissée d’images qui rappellent sa carrière extraordinaire. Personne n’a encore dépassé son total de 118 sélections. L’homme est toujours aussi avenant, disert, plein d’humour. Il est passé plus tôt que prévu pour réparer lui-même un tuyau qui ne fonctionnait plus dans un local technique. Il passe une partie de la semaine à faire des conférences dans toutes les régions de France. Mais quand il vient dans son établissement, il en devient immédiatement le phare et les clients lui demandent des photos. Ça fait partie de son boulot, il s’en acquitte avec un éternel sourire. Attablé pendant plus d’une heure, il a reparlé du parcours magnifique du fils d’ouvrier agricole qu’il était, qui, si le rugby n’avait pas aussi bien marché, serait devenu kinésithérapeute.

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Les commentaires (4)
CasimirLeYeti Il y a 28 jours Le 29/03/2024 à 19:36

Un article de fond, j'ai le café qui a refroidi en attendant que je le finisse...

keepcalmandplayrugby Il y a 1 mois Le 26/03/2024 à 19:55

Et c'était bien mieux sans tout cet argent qui pervertit le sport

pasali Il y a 1 mois Le 26/03/2024 à 23:21

Mieux ? Certainement pas pour les joueurs

Morisketou Il y a 1 mois Le 26/03/2024 à 16:45

Ah ce Fabieng...avé sa mâchoire carré !
Grand guerrier ! chapeau bas !