Arbitrage : l’irréparable a été commis
Plusieurs matchs ont été récemment émaillés d’incidents plus ou moins graves, et les comportements attisent les tensions. Il est temps de protéger les hommes en noir.
La ligne rouge a été franchie dans le Var le 18 février. Le coup porté à l’arbitre, Simon Lloret, par un joueur du Las dimanche dernier est le dernier acte d’une situation qui semble se détériorer depuis plusieurs mois. D’insultes racistes envers un arbitre au printemps dernier lors d’un match entre Gimont et Tournefeuille, à des arbitres invectivés et molestés à la fin d’un match à Privas en décembre, en passant par un match arrêté par un homme au sifflet ne se sentant pas en sécurité dans le Sud-Ouest, sans parler d’un arbitre qui aurait soigné sa sortie après avoir été menacé physiquement sur le terrain par un joueur, le respect dû à l’arbitre s’émousse.
"Footbalisation" des comportements de soi-disant supporters qui reprendraient à leur compte la critique bas du front lancée par le personnage campé par Michel Serrault dans "À mort l’arbitre", le film de Jean-Pierre Mocky : "L’arbitre, c’est toujours un con, l’arbitre c’est un mégalo. Il n’entend rien, il ne voit rien, il ne comprend rien" ? Sentiment d’impunité après que le capitaine de l’équipe de France, Antoine Dupont, dont l’aura n’est plus à démontrer, a manqué de mesure après le quart de finale contre l’Afrique du Sud ?
Difficile à expliquer à chaud. Les tensions sont en tout cas exacerbées, sur le terrain, mais aussi et surtout en dehors. "Il y a une recrudescence de gestes, de mots et de comportements inappropriés, reconnaît le Délégué Départemental à l’Arbitrage de la zone nord de la Ligue Aura, Romain Carbonnel. Cela dégénère sur le terrain en raison de comportements hors du terrain qui attisent les frustrations des joueurs, notamment en jeunes."
Les moqueries et les critiques envers l’arbitrage ont évidemment toujours existé, et font malheureusement partie du jeu pour ceux et celles qui choisissent d’embrasser la carrière. "Je me suis toujours fait insulter dans les tribunes par les mêmes personnes, rappelle Thierry Tonnelier, le président de la Ligue Aura, arbitre fédéral pendant douze ans. C’est plus facile de s’en prendre au mec au sifflet qu’au joueur qui rate un coup de pied…"
Le rugby ne peut pas remédier à tous les maux de la société
Cela fait partie du folklore, depuis le début, et on en envie de dire que c’est tant mieux, tant que cela reste du chambrage bon enfant. Mais certains commencent à se croire tout permis, osent tout, et ce n’est pas une preuve d’intelligence. Contacté, un arbitre, qui préfère garder l’anonymat, nous a confié avoir été menacé de mort après un match il y a quelques années. "J’ai mis quelques semaines à digérer, reconnaît-il. On sait qu’il peut y avoir des problèmes, mais on n’entre pas sur le terrain la boule au ventre. Cela reste une grande histoire d’amour entre le public et l’arbitre (sourire). Quand le public crie qu’il y a en-avant sur la première passe, cela nous fait sourire. À l’heure de jeu, quand le score est serré et qu’une décision fait débat, ce n’est plus la même chose… Il y a deux sortes d’insultes, un mot trop imprécis. Il y a les mots taquins envers l’arbitre et les insultes envers l’homme ou la femme. Et ça, c’est autre chose…"
Il reste à espérer que la tempérance revienne, sur et en dehors des terrains, pour éviter des faits et des agissements redoutés par les arbitres et les dirigeants de clubs. Nombre de ces derniers s’inquiètent et tentent de prendre des mesures à leur échelle. "À mon arrivée au club, nous avions écopé de 1 600 euros d’amende pour des cartons rouges, explique un président d’un club de niveau régional. Maintenant, les joueurs paient les amendes, et je ne veux pas savoir s’ils considèrent que le carton est justifié ou non. Pour la sortie de l’arbitre, nous avons maintenant fermé le sas qui mène aux vestiaires. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’un dingo…". Sur ce point, le rugby ne peut pas remédier à tous les maux de la société…
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