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Top 14 - Exclusif. Bernard Laporte et Pierre Mignoni se prêtent au jeu de l'entretien croisé avant Montpellier - Toulon

Par Marc Duzan
  • Bernard Laporte et Pierre Mignoni ont longtemps travaillé ensemble dans le staff du RCT.
    Bernard Laporte et Pierre Mignoni ont longtemps travaillé ensemble dans le staff du RCT. Icon Sport
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Bernard Laporte et Pierre Mignoni se connaissent depuis bientôt vingt ans. Le premier fut d’abord l’entraîneur du second, en équipe de France. Plus tard, les deux hommes firent surtout partie du même staff, à Toulon. Ce dimanche, à Montpellier, "Bernie" et "Pierrot" se retrouveront pour la première fois face à face, l’un à la tête du RCT, l’autre avec en mains le MHR. Pour Midi Olympique, les deux hommes se prêtent au jeu de l'entretien croisé.

Avant que vos routes ne se séparent en 2015, vous entraîniez le RCT côte à côte. Est-ce que, vraiment, « tout est différent » à Toulon ?

Bernard Laporte : Moi, je ne suis pas Toulonnais d’origine, comme l’est Pierre. Mais j’ai découvert dans cette ville une ferveur incroyable, une terre où ce sport est une religion. Mais est-ce vraiment différent de Toulouse ou de La Rochelle, par exemple ? J’ai du mal à le dire…
Pierre Mignoni : Il faut avoir un peu de retenue par rapport à tout ça. Mais à Toulon, tout est en effet excessif, dans le bon comme dans le mauvais sens du terme. Avec Bernard, on y a d’ailleurs connu les deux extrêmes.

Bernard, l’ambiance à Montpellier est semble-t-il plus sage…

B. L. : Ce n’est pas comparable, c’est évident. Montpellier est une grande ville où cohabitent beaucoup de sports de haut niveau : il y a le volley, le hand, le foot… À Toulon, il n’y a pas d’autre sport que le rugby : il écrase tout ; il ramène à lui tout le monde.

Avez-vous été marqué, dans votre carrière, par la passion qu’un supporter portait à son club ?

P. M. : Bien sûr. À Toulon et Clermont, j’ai vu des gens se priver de vacances pour suivre leur équipe le plus souvent possible. Ça, c’est fort. Ça, ça me touche et je le répète d’ailleurs souvent aux joueurs. Il faut être à la hauteur de ces sacrifices-là.

B. L. : Moi, j’ai connu les deux extrêmes. Au RCT, c’était dingue. Le club était au centre de tout, comme le foot l’est à Lens où à Marseille, des villes populaires comme l’est d’ailleurs Toulon. […] Et vis-à-vis des gens qui se privent pour venir au stade le week-end, les joueurs n’ont pas le droit de tricher. […] Au Stade français (il a entraîné le club parisien de 1995 à 1999, N.DL.R.), j’avais en revanche parfois l’impression que personne ne s’intéressait au rugby, quand j’allais au stade.

Dès lors ?

B. L. : Si tu n’aimes pas la pression, tu es cent fois mieux au Stade français : personne ne t’emmerde, personne ne te dit rien quand ça perd… Mais si tu as besoin d’être secoué, tu seras beaucoup mieux à Toulon…

Comment appréhendez-vous vos retrouvailles, dimanche soir ?

B. L. : Ce ne sont pas des retrouvailles. Avec Pierre, on ne s’est jamais vraiment quittés. Ceci dit, chacun d’entre-nous est maintenant dans un challenge qui lui est propre. Nous n’avons plus les mêmes objectifs : Pierre et le RCT veulent accrocher la qualification quand nous tentons de sauver notre peau en Top 14.

P. M. : Bernard et moi, on ne sera pas sur le terrain. On sera utiles avant le match, après mais pendant, on ne servira à rien. L’affrontement du week-end, ce ne sera pas Pierre Mignoni contre Bernard Laporte.

Pierre, si on vous avait dit en début de saison que vous croiseriez Bernard Laporte en Top 14, l’auriez-vous cru ?

P. M. : Avec lui, on n’est jamais vraiment surpris. (rires) […] J’étais content qu’il revienne. Je lui avais d’ailleurs envoyé un message le jour où j’ai appris la nouvelle. Le monde de rugby a besoin de Bernard Laporte. Il a marqué tous les clubs qu’il a entraînés, à Toulon ou ailleurs : quand il reviendra à Mayol au mois de mars, il aura l’accueil qu’il mérite. Les Toulonnais ne l’ont pas oublié.

À quel genre de match vous attendez-vous, dimanche soir à Montpellier ?

P. M. : Ce sera un match difficile, comme le sont tous les matchs du Top 14 cette saison.

B. L. : À quoi je m’attends ? À une victoire à cinq points pour nous… si le bus du RCT crève en chemin ! (rires) Non, plus sérieusement, ce sera sans doute un beau combat.

Trouvez-vous dingue qu’avec l’effectif dont dispose le MHR, ce club lutte encore pour sa survie en championnat ?

P. M. : Ce n’est pas une situation facile, pour ce club. Mais cela ne me regarde pas. Ce n’est pas mon projet, pas mon aventure. La seule chose que je sais, c’est que le Top 14 est dur. Bien plus dur qu’il ne l’était auparavant.

Bernard, dans quel état avez-vous trouvé les joueurs montpelliérains lorsque vous êtes arrivé au chevet de ce club, il y a quelques semaines ?

B. L. : Je les ai trouvés au fond du faitout, c’est aussi simple que ça… Les raisons du problème, je les connais par cœur mais je ne vous les dirai pas. […] Aujourd’hui, c’est plus un comptable qu’un entraîneur dont nous aurions besoin : entre la masse salariale à gérer, la moyenne des Jiff à surveiller, tout n’est que calculs… Il y a sept ans, quand j’entraînais Toulon, tout ça n’existait pas. Ou pas de la même façon. C’était plus souple, oui.

Bernard Laporte est directeur du rugby au MHR depuis quelques semaines.
Bernard Laporte est directeur du rugby au MHR depuis quelques semaines. Icon Sport

Pierre, vous avez longtemps été l’adjoint de Bernard Laporte au RCT. Qu’est-ce qui faisait de lui un manager aussi particulier ?

P. M. : Je pourrais écrire un livre, sur Bernard et ses discours d’avant-match. On ne s’est d’ailleurs jamais ennuyés, au fil de ces quatre saisons toulonnaises (2011-2015, N.D.L.R.) : on avait une équipe incroyable, avec des joueurs de classe mondiale à tous les postes, lesquels étaient doublés voire triplés… Ils avaient néanmoins besoin d’un guide. […] Personne n’aurait eu la prétention d’apprendre à taper un coup de pied à Jonny Wilkinson ou Matt Giteau. En revanche, eux voulaient savoir dans quelle direction on allait. On leur a donné cette direction et les semaines où ça se passait moins bien, Bernard réveillait tout le monde. Parce qu’il aurait pu réveiller un mort, à l’époque…

À ce point ?

P. M. : Oh oui ! Mais on avait aussi de grands compétiteurs, dans cette équipe. Et quand ils s’allumaient, ces mecs-là…

Une légende raconte qu’un soir où le RCT jouait mal, Bernard Laporte a, à la mi-temps, menacé le géant Springbok Danie Rossouw de le renvoyer illico en Afrique du Sud. N’avez-vous pas eu peur pour votre manager, ce soir-là ?

P. M. : (il éclate de rire) Au début, les joueurs ont été un peu surpris par la puissance des discours de Bernard, oui. C’est comme lorsque tu mets les doigts dans la prise, en fait… Ça secoue… Un jour, Jonny (Wilkinson) est même venu me voir en me disant : « Pierre, ce n’est pas possible ! On ne m’a jamais parlé comme le fait Bernard ! » Avec Jacques (Delmas), on passait derrière pour arrondir les angles. (il marque une pause) Je ne sais pas si ça passerait aujourd’hui. Les joueurs sont différents.

B. L. : À Montpellier, je parle aux joueurs de temps en temps. Il y a parfois des discours peu sympathiques. Mais si je leur parle ainsi, c’est parce que je les estime. Parce que j’ai envie de les voir beaux et bons. Je n’ai jamais gueulé pour gueuler.

Non ?

B. L. : Toulon, c’était une armada. On avait des stars, des champions d’Europe, des champions du monde, des recordmen de points marqués en match international… Quand ils ont débarqué chez nous, j’ai pourtant dû leur dire : « Vous avez été bons mais je veux que vous le soyez encore ! On ne joue pas au rugby avec des pièces d’identité. » Le sport de haut niveau, c’est une remise en question permanente. Nous avions le devoir, avec Pierre (Mignoni) et Jacques (Delmas), de leur faire comprendre qu’ils n’étaient plus les joueurs qu’ils étaient quatre ans plus tôt mais qu’il fallait qu’ils le redeviennent pour ce club.
Et à Montpellier, alors ?

B. L. : Le contexte n’est pas le même. C’est une équipe qui doute. Je ne peux pas me comporter avec eux comme je l’ai fait par le passé, avec d’autres équipes.

Ensemble, vous avez remporté trois titres de champion d’Europe (2013, 2014 et 2015). Lequel d’entre-eux vous a-t-il le plus marqué ?

P. M. : Le premier titre, c’est toujours particulier. Et puis, la finale avait été dure, âpre, plus disputée que jamais (16-15). Clermont avait une très belle équipe, cette année-là. Mais nous n’étions jamais rassasiés, à l’époque. Nous voulions tout gagner et Bernard jouait avec ça.

B. L. : En 2013, Clermont nous était probablement supérieur, c’est vrai. Les deux autres finales (face aux Saracens et à l’ASMCA, une nouvelle fois, N.D.L.R.), on les a en revanche dominées, maîtrisées. Même s’il fallait parfois les réanimer, on avait des mecs qui avaient la gagne en eux. Bakkies Botha, Jonny Wilkinson et Matt Giteau savaient hausser le ton, quand l’équipe souffrait.

Est-il arrivé, pendant ces années toulonnaises, que votre président Mourad Boudjellal vous impose un joueur sur lequel il avait flashé ?

B. L. : Je n’ai jamais mis de veto à Mourad, sur le recrutement. Un jour, il est venu me voir et m’a dit qu’il voulait Bryan Habana. Je lui ai répondu qu’on devait d’abord se renforcer ailleurs et qu’il y avait déjà du monde à l’aile, surtout…

Que vous a-t-il répondu ?

B. L. : Il m’a dit que l’ailier des Springboks avait une marque de fringues, qu’on pouvait le faire passer comme ça (en droit d’images, N.D.L.R.). À l’époque, cela ne rentrait pas dans la masse salariale. Il a finalement pris Habana en plus des mecs que je voulais.

Pierre, vous connaissez Patrice Collazo depuis des années. Bernard, vous découvrez le personnage. Qui se cache donc, derrière l’entraîneur assez austère que l’on croise en conférence de presse ?

B. L. : C’est un passionné, un mec attachant. C’est vrai que de l’extérieur, il peut paraître un peu bourru mais on rigole bien, tous les deux.

P. M. : Patrice est très différent de l’image que les journalistes peuvent avoir de lui. C’est quelqu’un de fin, de sensible. Coller des étiquettes aux gens, c’est trop facile…

Bernard, ne mettez-vous vraiment jamais le nez dans les compositions d’équipe du MHR ?

B. L. : Sincèrement, non. Je ne suis pas du tout chiant là-dessus. En revanche, j’assiste à tous les entraînements. Parce que rester comme un con dans un bureau, ce n’est pas pour moi. Parfois, je donne mon avis sur un choix dans la compo mais in fine, c’est Patrice Collazo et son staff qui tranchent.

Bernard, vous aviez souhaité confier l’attaque du XV de France à Pierre Mignoni en 2019. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ?

B. L. : J’ai voulu lui confier le poste à deux reprises : la première en 2019, quand je suis allé chercher Fabien (Galthié) pour épauler Jacques Brunel. La seconde en 2022, quand il a été question de trouver un remplaçant à Laurent Labit (celui-ci venait d’annoncer qu’il entraînerait le Stade français après la Coupe du monde, N.D.L.R.). Il n’y avait pas de sentiment, dans ces choix-là. Pour l’équipe de France, je voulais les meilleurs et Pierre en faisait partie.

Pierre, votre nom a souvent circulé autour du XV de France : est-ce un rêve, pour vous ?

P. M. : L’équipe de France, c’est le Graal. Mais moi, je ne suis pas carriériste. Je n’ai jamais hurlé sur les toits que je voulais entraîner l’équipe de France. Les deux fois dont Bernard parle, les timings n’étaient pas bons, c’est tout. J’avais déjà des engagements forts avec des clubs (Lyon et Toulon, N.D.L.R.). […] L’opportunité, elle s’est présentée à deux reprises et j’ai toujours remercié Bernard et Fabien pour ça. Je ne me demande pas si ça se représentera ou pas. Mes choix, je les assume. J’ai aujourd’hui des objectifs très élevés en club et pour le reste, on verra…

Les Toulonnais sont actuellement sur le podium du Top 14, à la troisième marche.
Les Toulonnais sont actuellement sur le podium du Top 14, à la troisième marche. Icon Sport

La convention collective entre la Ligue et la FFR, au sujet de la mise à disposition des internationaux, a été validée en début de semaine : Fabien Galthié pourra compter sur 34 joueurs pour préparer le Tournoi des 6 Nations. Le compromis trouvé est-il le bon ?

B. L. : Je crois que Fabien en désirait 42 mais il complétera avec des jeunes. Il faut aussi comprendre les clubs : ceux-ci ont beaucoup donné pour la FFR avec la perspective d’une Coupe du monde disputée à la maison. Ce que je constate, c’est qu’ils continuent néanmoins à jouer le jeu.

P. M. : J’ai été partie prenante des échanges (entre la FFR et les clubs, N.D.L.R.). Si l’équipe de France a été performante pendant quatre ans, c’est aussi parce que les clubs se sont mobilisés pour accéder aux demandes de Fabien (Galthié). Mais on ne peut pas non plus tout accepter. On a des responsabilités, des contraintes, un calendrier chargé. En clair, on ne fera pas plus. Mais l’effort, on le poursuivra.

Bernard, regrettez-vous que Pierre Mignoni ne vous ait pas succédé à Toulon, à votre départ du club en 2015 ?

B. L. : Oui. J’en avais d’ailleurs parlé à Mourad Boudjellal quand Pierre nous avait annoncé partir à Lyon. Je le regrette. Ce fut une erreur. Il y avait à l’époque une filière, une identité toulonnaise et Pierre l’incarnait bien, à mes yeux.

Dans un monde idéal, si vous pouviez recruter un joueur de l’effectif adverse, lequel prendriez-vous ?

B. L. : Moi, je prendrais l’intendant, Luc le Belge (Luc Van Wassenhove, N.D.L.R.) ! (rires)

Sérieusement, Bernard, si une opportunité se présentait…

B. L. : J’aime beaucoup Charles (Ollivon).

P. M. : Je t’arrête tout de suite, il n’est pas à vendre…

B. L. : C’est moi qui l’ai fait venir en 2015, en plus. Le pauvre, quand il est arrivé, je lui ai dit : « Enferme-toi et fais de la muscu, tu es tout maigre ! » Après, il s’est pété pendant deux ans, c’était un truc de dingue. Pourtant, on sentait déjà que son potentiel était énorme.

Et vous, Pierre ?

P. M. : J’ai envie de sortir un joker, sur cette question-là… (il marque une pause, reprend) Bon… J’aime bien Arthur Vincent. Il est bon. Il est « club », comme on dit. Dans les mauvais moments, il a l’air fiable. Il semble être quelqu’un sur qui l’équipe peut compter.

En 2028 sera donné le coup d’envoi du premier Mondial des clubs. Est-ce une bonne idée ?

B. L. : Personnellement, je vais vous dire que oui ! C’est l’idée que j’ai portée quand nous avons été élus, avec Bill Beaumont, à la tête de World Rugby en 2020. On avait inscrit le Mondial des clubs dans notre programme. Ce tournoi est une bonne chose. Cela dynamisera les championnats, je pense.

Êtes-vous d’accord, Pierre ?

P. M. : C’est une super compétition mais il faut la cadrer. Il ne faut pas, en fait, que le rugby français soit un produit d’appel pour sauver les autres nations en difficultés financières. Je ne dis pas qu’il ne faut pas les aider mais ne nous mettons pas en danger, non plus, pour sauver les autres.

B. L. : Le Mondial des clubs permettra aux joueurs de notre championnat d’affronter les mecs des autres continents. Ce privilège ne sera plus réservé aux seuls internationaux. Ce sera pour ces mecs-là un enrichissement personnel.

Quoi d’autre ?

B. L. : Le Mondial des clubs devra surtout récompenser les clubs qui gagnent. Un club champion du monde devra toucher beaucoup d’argent. Les qualifiés pour les demi-finales, aussi.

De quelle manière ?

B. L. : Des droits télés, il y en aura. Il y en aura même beaucoup. Ça va venir de partout et il faudra alors que les clubs soient rémunérés à hauteur de leur engagement, de leur parcours, de leur mérite.

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Les commentaires (6)
Gcone1 Il y a 3 mois Le 04/01/2024 à 23:16

RR chercherait à relancer leur pote ?

jmbegue Il y a 3 mois Le 04/01/2024 à 22:11

"Toulon, c'était une armada. On avait des stars, des champions d'Europe, des champions du monde, des recordmen de points marqués en match international".
Et le mec il vient nous dire que c'est grâce à lui que le niveau des équipes du TOP14 et de l'EDF a progressé... Il doit mettre des pampers ce gars!!!

Puntadelteno1970 Il y a 3 mois Le 04/01/2024 à 17:09

Les joueurs sont des morceaux de viande. Personne ne veut entendre mais tout le monde dégaine la mitraillette dès qu'un joueur est "moins décisif" sur un match... Les conséquences de tout cela, on les connaît tous (burn out, dopage, addictions, ...). Il va falloir vraiment mettre des règles internationales pour sauver les joueurs dans le rugby. Je pense que 1000 minutes annuelles serait une base intéressante à discuter entre tous les acteurs... C'est 25 matchs par saison à 80 minutes !