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200 ans d'histoire (52/52) - Les Fidji passent un cap

Par Jérôme Prévot
  • Dessin : Fabien Agrai-Védille.
    Dessin : Fabien Agrai-Védille.
Publié le
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En novembre 2018, pour la première fois, les Fidji battent l’équipe de France, au Stade de France en plus. La richesse de ce petit archipel éclate alors aux yeux de tous.

Le 24 novembre 2018 marque une borne historique. Pour la première fois, l’équipe des Fidji s’impose sur le sol français, 21 à 14. Il s’agit même de la première victoire tout court des Fidjiens sur le XV de France, après neuf tentatives infructueuses. Les Bleus alors entraînés par Jacques Brunel et commandés par Guilhem Guirado apparaissent totalement dépassés dans un Stade de France à moitié vide. Sur le moment, l’événement ne fut peut-être pas apprécié à sa juste mesure, en tout cas vu de France, car les commentaires se sont focalisés sur la piètre performance de l’équipe nationale. Mais la soirée aurait mérité qu’on se concentre davantage sur l’exploit de ce petit pays de moins d’un million d’habitants, devenu depuis les années 2000 un réservoir inépuisable de rugbymen de haut niveau.

Ce soir-là, à Saint-Denis, on vit les Fidjiens marquer deux essais de trois-quarts par le centre Semi Radradra (alors joueur de Bordeaux) et par l’ailier Josua Tuisova (joueur de Toulon), et s’en faire refuser deux autres pour des peccadilles décelées à la vidéo, mais la beauté des gestes et des actions étaient incontestables. À l’inverse, les Français, impuissants offensivement, s’en remettaient à deux ballons portés pour franchir la ligne (doublé de Guirado).

La victoire des joueurs du Pacifique fut une surprise, mais sur les quatre-vingts minutes, le verdict ne devait rien au hasard, ni à un coup de dés providentiel. Les Fidjiens entraînés par un technicien néo-zélandais, John McKee, étaient les plus forts tout simplement, avec un rugby d’inspiration et de créativité, sans verser pour autant dans la caricature à laquelle on les renvoie trop souvent, celui d’un rugby génial, mais brouillon et improvisé.
Ce 24 novembre, ils dominèrent les Français avec une conquête propre et, surprise, une mêlée stable. Un autre entraîneur néo-zélandais, Alan Muir, leur avait fait passer un cap dans ce secteur souvent dépeint comme leur talon d’Achille.

Acteurs majeurs du Top 14

Cette victoire retentissante, mais maîtrisée, libéra chez nous toute une série de réminiscences et pour finir, une prise de conscience : les îles Fidji étaient devenues une puissance majeure de la planète ovale. L’année précédente, la finale du Top 14, Clermont-Toulon avait vu ses deux seuls essais marqués par des Fidjiens, Josua Tuisova (déjà) et le Clermontois Alivereti Raka. En 2010, Clermont avait enfin gagné son premier titre de champion sur l’essai décisif d’un autre phénomène, Napolioni Nalaga, ailier surpuissant, capable de marquer vingt-deux essais en une seule saison de Top 14 (2008-2009). En 2007 en Coupe du monde, les Fidji avaient battu le pays de Galles en phase de poule à Nantes, 38 à 34 (neuf essais) à l’issue de ce qui fut qualifié de plus beau match de l’épreuve. Les Océaniens s’étaient alors hissés jusqu’aux quarts de finale du Mondial où ils avaient mené la vie dure aux Sud-Africains, futurs vainqueurs. Cette année encore, en 2023, ils rallié les quarts de finale, ne cédant face à l’Angleterre que dans les ultimes minutes.

À force de porter un regard « exotique » sur ce peuple du Pacifique, on avait fini par négliger leur montée en puissance, juste en dessous des nations majeures de la planète ovale. Huit mois après l’exploit du Stade de France, en mai 2019, on vit Clermont jouer la finale du Top 14 avec trois Fidjiens sur la feuille de match : Alivereti Raka, Peceli Yato, Apisai Naqalevu.

En 2012, World Rugby s’était servi de l’exemple fidjien pour faire accepter le rugby à sept aux jeux Olympiques, arguant que ce nouveau sport récompenserait une nouvelle nation, jamais médaillée jusque-là. Bien vu, les Fidjiens s’imposeraient en 2016 à Rio de Janeiro, 41 à 7 face à la Grande-Bretagne avant de défiler en héros dans les rues de Suva, breloque dorée autour du cou. Le Toulonnais Josua Tuisova faisait aussi partie de cette aventure (il a depuis, signé à Lyon, puis au Racing). Rebelote en 2021 pour les Fidjiens de Radradra et de Botitu (Castres), cette fois vainqueur des Néo-Zélandais en finale des JO de Tokyo (27 à 12). Mais ces deux couronnements symboliques, pour prestigieux qu’ils soient, maintenaient encore les Fidji dans le cliché du « rugby de farandole », une usine à trois-quarts centres virevoltants, d’ailiers dévoreurs d’espace ou d’arrières fandango. La vraie progression de cette nation du tiers-monde, au fil de la décennie 2010, nous l’avons noté dans l’apparition de « pointures » à des postes a priori moins créatifs. La qualité fidjienne a éclaté à travers l’avènement d’un Leone Nakarawa, deuxième ligne passé par le Racing, Toulon et Castres, colosse, adroit de ses mains bien sûr. Il fut un peu la figure de proue de ces Fidjiens d’un nouveau type : Peni Ravai, pilier dragster passé par Bordeaux et Clermont, Peceli Yato, troisième ligne pénétrant de Clermont, Viliame Mata, numéro 8 casse brique d’Édimbourg. Citons aussi Jonny Dyer, deuxième ou troisième ligne de Biarritz au vrai style de ferrailleur. Si les Fidjiens investissent les postes du pack, alors oui, cet archipel peut vraiment faire trembler le monde.

  • Serevi, le pionnier

 Qui furent les précurseurs de l’ascension fidjienne ? En 1987, l’arrière Severo Koroduadua creva l’écran contre la France lors du Mondial, en lâchant un ballon d’essai qu’il tenait une main. Il venait de faire une percée magique. En 1998, Emeri Bolobolo fut le premier fidjien champion de France avec le Stade français. Mais si l’on devait mettre un nom en avant, ce serait Waisale Serevi, un lutin d’1 m 69 qui jouait à l’ouverture et maîtrisait comme personne le pas de l’oie. Il a participé à trois Coupes du monde et fut deux fois champion du monde à VII. Le rugby français l’a bien connu à travers son séjour à Mont-de-Marsan qu’il fit remonter dans l’Elite. Il resta cinq ans dans les Landes de 1998 à 2003. Auparavant, il avait passé une année à Leicester sous la direction de Bob Dwyer. Il n’était pas un très grand défenseur, mais il avait un vrai don céleste pour animer une ligne d’attaque. Il fut la première vedette fidjienne et un grand ambassadeur du rugby à VII.

  • Un pays qui offre des joueurs aux autres

La richesse du réservoir fidjien est d’autant plus impressionnante que ce petit pays a fourni des talents à d’autres puissances du rugby et pas des moindres. Le phénomène est impressionnant, certains le déplorent en parlant de « pillage », d’autres s’en réjouissent pour le bien-être des joueurs concernés. Le XV de France, par exemple, a fait appel à trois Fidjiens : trois trois-quarts ailes : Virimi Vakatawa (qui pouvaient aussi jouer au centre) entre 2016 et 2022 (32 sélections) ; Noa Nakaitaci, 15 sélections entre 2015 et 2017 et Alivereti Raka, 5 sélections en 2019. Le premier jouait avec France 7 puis au Racing, les autres évoluaient à Clermont. Vakatawa a la particularité d’avoir été sélectionné pour la première fois en équipe de France alors qu’il n’était sous contrat avec aucun club, il avait été placé sous contrat directement par la FFR pour participer au circuit mondial à VII.
L’Angleterre a également fait appel à deux joueurs fidjiens, l’ailier Semesa Rokoduguni (4 sélections en 2014) et le troisième ligne Nathan Hughes (22 capes entre 2016 et 2019). En Australie et en Nouvelle-Zélande, les cas sont plus nombreux, proximité oblige, mais il faut faire la part des choses entre les Fidjiens élevés au pays et ceux dont la famille avait émigré. Le trois-quarts aile Sevu Reece, 23 capes pour les All Blacks, a joué jusqu’à 17 ans dans son pays natal. En Australie on peut citer l’ailier Marika Koroibete (international fidjien à XIII) ou le deuxième ligne Radike Samo (passé par le Stade français).
Tous ces cas sont des preuves éclatantes de la qualité de la formation des îles Fidji, l’un des pays du monde où le rugby est le plus intensément pratiqué (en proportion de la population). Avec autant d’exilés dans les sélections les plus prestigieuses du monde, on peut vraiment parler de soft power fidjien. Qui parlerait de ce petit pays sans le ballon ovale ? On n’oublie pas non plus que les Fidji ont déjà terminé sur le podium de la Coupe du monde… à XIII.

  • Une académie montée par l’ASM

Les Fidji sont une ancienne colonie anglaise, mais depuis que le rugby est devenu professionnel, les Français y sont très présents. En 2010, le club de Clermont y a même monté une sorte d’académie, à Nadroga. Cette structure destinée aux joueurs de moins de 20 ans alimente le club auvergnat en talents de premier plan, dont Peceli Yato ou Alivereti Raka. Nadroga est animé par Franck Boivert, devenu au fil des années un personnage central du rugby fidjien. Ancien joueur de Perpignan, il s’est expatrié à la fin des années 90 dans l’archipel du Pacifique, dont il est devenu un acteur majeur. Il fut même directeur technique de la Fédération fidjienne. L’expérience de Nadroga est venue consacrer le potentiel extraordinaire de ce pays si particulier, le club auvergnat offre un soutien logistique et une expertise technique. Il en a fait une antichambre du séjour des meilleurs Fidjiens en France. L‘ASM pour développer un programme de formation à destination des moins de 20 ans, avec l’idée d’attirer les meilleurs talents. Une organisation non gouvernementale, « Think Pacific », se greffe au projet en proposant notamment des cours de diététique et une sensibilisation à la gestion financière. Depuis, trois autres programmes sont venus compléter le dispositif, dont le « volet scolaire permet aux joueurs de construire une vie après le rugby », souligne Tiko Matawalu.

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