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Frédéric Michalak : "Petits, on nous interdisait de taper dans le ballon"

  • Frédéric Michalak.
    Frédéric Michalak. Icon Sport
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Formé à l’école toulousaine et considéré comme le prodige du rugby français, l’ancien ouvreur international explique les forces et les faiblesses de sa formation, qu’il a choisi de compléter sur le tard en rejoignant l’Afrique du Sud.

Partagez-vous cette idée que la France n’a pas toujours eu cette culture du rugby tactique comme d’autres nations telles que l’Angleterre, l’Afrique du Sud ou la NouvelleZélande ?

Les précurseurs dans ce domaine, avec l’organisation des cellules de joueurs ont été les Australiens, qui ont commencé à planifier les temps de jeu à l’avance. Ils ont d’ailleurs inspiré d’autres nations et je me souviens bien que Bernard (Laporte, N.D.L.R.) s’était beaucoup appuyé dessus. Pour avoir grandi au sein de l’école de rugby toulousaine, on nous a toujours inculqué le jeu dans les espaces, un jeu d’adaptation. Ce n’est d’ailleurs pas un mauvais plan de jeu, c’est juste qu’il est différent. Le rugby français n’a pas toujours été dans le rugby tactique, mais il faut reconnaître qu’il le maîtrise aujourd’hui depuis plusieurs saisons. Je pense qu’on a suivi le rugby mondial, tout en gardant ce côté « french flair », avec cette capacité à jouer dans les espaces.

Le rugby français a longtemps eu une mauvaise image du jeu au pied, estimant que taper était plus un aveu de faiblesse qu’une option offensive…

Cette vision a changé depuis quatre ans, où l’équipe de France utilise beaucoup le jeu au pied pour permettre de désorganiser les défenses qui créent des jeux de transition favorables à la contre-attaque. Aujourd’hui, il y a très peu d’espaces à disposition sur le premier rideau et les plus favorables se trouvent derrière les ailiers, au fond du terrain, etc. En tout cas, ce n’est plus entre les lignes des quinze mètres, au centre du terrain. Le pied est une bonne arme pour faire reculer les défenses, les contrarier et le XV de France l’a bien compris. Ses performances n’y sont pas étrangères. Après, cela dépend du style de manager et des ses convictions : on peut mettre en place un rugby de pression, mais on peut aussi opter pour un rugby de possession comme le font les Irlandais. Ce n’est pas l’un ou l’autre qui vous permet de devenir champion du monde, c’est un choix et un équilibre à trouver.

Le jeu français ressemble plus à la base au jeu néozélandais

Et si on remonte à la période où vous étiez en équipe de France (2001- 2015) ?

À ce moment-là, on sentait vraiment la différence entre le rugby français et les autres nations. Quand j’évoluais à Toulon avec Jonny Wilkinson ou Matt Giteau, on voyait bien que leur apprentissage était totalement différent du nôtre. Il y avait ce côté pragmatique que l’on redoutait et qu’on leur enviait, sauf qu’on ne l’avait pas vraiment. Sur certaines situations, quand Jonny annonçait un jeu au pied, il tapait systématiquement. Alors que nous, même s’il était annoncé… On se gardait le droit de jouer à la main ! (rires) On a toujours aimé ce côté créatif et libre.

Quel était le discours de vos formateurs sur le jeu au pied, quand vous étiez jeune joueur au Stade toulousain ?

Cela peut paraître paradoxal, mais on avait de solides acquis dace secteur. On tapait des deux pieds et il faut rappeler que le jeu au pied a fait gagner le Stade toulousain quand j’étais gamin. Au club, on avait Christophe Deylaud, le meilleur buteur du championnat qui dégainait des drops de partout, donc on a grandi avec cette culture du jeu au pied. Après je me souviens aussi que tout jeune, on nous interdisait de taper dans le ballon.

Pourquoi ?

Parce qu’on voulait que les joueurs vivent des situations et ne s’enferment pas dans des systèmes trop cloisonnés, pour ne pas perdre cette faculté d’adaptation. Je reconnais que cette culture tactique est arrivée un peu tard pour moi ; par contre, je savais buter de cinquante mètres et j’ai su le faire en finale à 18 ans (Michalak avait passé plusieurs pénalités de plus de cinquante mètres contre Clermont lors de la finale 2001 et le Stade toulousain s’était imposé 34-22, N.D.L.R.). En revanche, je manquais de régularité, je n’étais pas accompagné sur la partie technique. Chose que j’ai fini par connaître à 27 ans, soit assez tard.

Que vous ont apporté sur ce point vos expériences à l’étranger, comme aux Sharks en Afrique du Sud, et auriez-vous voulu les avoir avant ?

Bien sûr, mais le rugby n’était pas le même. À mon époque, il n’y avait qu’un manager et deux entraîneurs adjoints, point. On n’était pas dans la même démarche de performance. En Afrique du Sud, j’ai fait appel à Sherylle Calder (doctorante en sciences du sport et spécialiste de la vision) qui travaillait avec l’Angleterre en 2003 et l’Afrique du Sud en 2007. Elle m’a beaucoup apporté. Il est sûr que si l’on croise des spécialistes de ce calibre, cela peut aider à consolider des piliers de la performance. J’ai aussi eu la chance de croiser, lors de mon passage au Sharks en 2008, la route d’un entraîneur de « footy » australien, ce jeu où l’on se fait énormément de passes au pied. Là, j’ai changé mon approche sur le jeu au pied, avec un vrai travail sur la tenue du ballon, le placement des doigts, comment le lâcher, où le lâcher, les phases de transfert du poids de corps jusqu’à l’impact… Tout cela m’a nourri. Un peu tard certes mais cela m’a développé. Après, mon chemin m’a permis de devenir le joueur que j’étais, de ne pas ressembler à un autre.

Pensez-vous que la France a aujourd’hui comblé son retard dans cette culture tactique ?

Je ne pense pas qu’on ait eu du retard sur l’aspect tactique. Aujourd’hui, les clubs sont très bien équipés pour préparer les matchs et comprendre comment ils vont attaquer l’adversaire ou le contrer. Je ne pense pas qu’on a eu trop de retard. Le jeu au pied tactique a toujours existé, mais il est vrai qu’on n’a pas toujours eu une approche aussi poussée dans ce domaine que les Anglo-Saxons. Mais ce n’est pas plus mal. Aujourd’hui, il y a deux grandes écoles : l’Irlande et la Nouvelle-Zélande d’un côté, où l’on attaque beaucoup au pied tout en gardant beaucoup de possession, où l’on cherche des franchissements, et de l’autre côté la France et l’Afrique du Sud. Pourtant, à la base, le jeu français ressemble plus à celui des Néo-Zélandais. Mais encore une fois, cela vient du choix du sélectionneur et de ses adjoints qui mettent en place une stratégie qui conviendra le mieux à ses joueurs et à son profil d’équipe.

Pensez-vous que le rugby français peut produire des généraux du jeu, comme le furent Jonathan Sexton ou Dan Carter dans leurs sélections respectives ?

Ces joueurs ne sont pas que des généraux. Certes, ils sont partie prenante dans les choix tactiques, mais de nos jours on travaille avec tous les leaders de jeu pour qu’ils soient en capacité, une fois sur le terrain, de prendre des décisions. Cela ne se fait plus seul, cela se partage. C’est en tout cas ce que l’on fait au Racing. L’idée, c’est de vivre des situations avant les autres pour ensuite grandir et prendre les bonnes décisions. Sexton y est parvenu, mais il l’a fait tard, après 30 ans. Cela demande du temps. Ces joueurs ont une influence, ils prennent des décisions, mais celles-ci ont été discutées toute la semaine. Ils n’agissent pas seuls.

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