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Amateur - Le récit de l'incroyable histoire de Baptiste Foex (Annecy-le-Vieux), victime d'un arrêt cardiaque et miraculé avant Noël

Par Nicolas Zanardi
  • Baptiste Foex, deuxième ligne d'Annecy-le-Vieux. Baptiste Foex, deuxième ligne d'Annecy-le-Vieux.
    Baptiste Foex, deuxième ligne d'Annecy-le-Vieux. DR
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Victime d’un arrêt cardiaque lors du match de Régionale 1 qui opposait dimanche dernier les Haut-Savoyards d’Annecy-le-Vieux aux Isérois de La Mure, Baptiste Foex doit la vie au sang-froid de ses partenaires autant que de ses adversaires. Huit jours après avoir échappé au pire, il témoigne…

Cela aurait dû être un week-end de rugby de décembre comme les autres, en Haute-Savoie. Un dimanche de Régionale 1 arrosé de quelques vins chauds et de diots aux crozets, pour réchauffer les corps et l’atmosphère. Reste que, pour tous ceux qui y ont assisté, ce match entre Annecy-le-Vieux et La Mure restera ancré dans les mémoires pour l’éternité. Et pas seulement parce qu’il ne se déroulait pas là où il aurait dû, ainsi qu’on y reviendra… "Ce dimanche-là, notre habituel stade à Annecy-le-Vieux était pris par un cross, explique Xavier Mermillod-Anselme, président du club haut-savoyard. Pour nous replier, sur le périmètre du Grand Annecy dont nous dépendons tous depuis environ cinq ans, il n’y avait pas bien le choix : comme l’US Annecy jouait à domicile ses rencontres de Fédérale 1, il ne restait plus que le terrain de Meythet, qui évolue dans la même poule de Régionale 1 que nous."

Tout sauf un détail, ainsi que vous le comprendrez au fil de ce récit… "Il faut comprendre qu’il y a un contexte "politique" un peu particulier ici car si nous dépendons désormais tous de la mairie d’Annecy (qui pousse d’ailleurs pour que nos clubs se rapprochent, pensant qu’il n’est pas opportun d’avoir deux équipes qui évoluent au même niveau à cinq kilomètres d’écart), le club d’Annecy-le-Vieux est rugbystiquement proche d’Annecy (au niveau des jeunes, le RCAV fait partie du regroupement du BAAR avec Thônes et Annecy, N.D.L.R.), tandis que Meythet a beaucoup de liens avec Rumilly, pose Mermillod-Anselme. Cela pourrait passer pour une guéguerre de clocher mais la conséquence, c’est que nous nous sommes retrouvés à jouer là-bas sans avoir le club-house à disposition. Ce qui a une importance dans la suite de l’histoire…"

Si près d’un rêve…

Cette histoire ? Elle débuta, comme toutes les journées dingues, sans que rien ne laisse augurer du drame qui allait se jouer. "Le match des réserves s’est déroulé sans encombres mais à douze contre douze car les visiteurs de La Mure s’étaient déplacés avec un effectif réduit, se souvient le président haut-savoyard. Puis le match des premières a commencé, arbitré par un habitué du Top 14, M. Descottes, qui a de la famille dans la région et s’était proposé pour diriger un match dans le secteur. C’était un dimanche parfait, jusqu’à ce début de deuxième mi-temps. Nous défendions dans nos 40 mètres et Baptiste a effectué un gros plaquage."

Baptiste ? C’est Baptiste Foex, 26 ans, deuxième ligne de l’équipe d’Annecy-le-Vieux et "héros" de ce drôle de conte de Noël, dont la seule présence sur ce terrain devait à un rare concours de circonstances. "J’ai débuté le rugby à 11 ans à Bayonne, où mon père avait ouvert un restaurant, avant de suivre ses parents sur leurs terres natales savoyardes, à Chambéry, nous racontait-il samedi matin, depuis sa chambre d’hôpital. Ensuite, ils ont déménagé dans le Sud et j’ai joué aux Angles puis à Bédarrides avant de succomber de nouveau à l’appel des montagnes pour suivre une école de vente. J’ai passé la saison dernière à Aix-les-Bains en Fédérale 3 et je comptais arrêter jusqu’à ce qu’un de mes amis d’enfance, Sébastien Mazza, me convainque de le rejoindre à Annecy en Fédérale 1. J’ai conscience d’être un peu juste pour ce niveau mais les entraîneurs Julien Forge et Toto Perotto ont été touchés par ma cause : réussir à jouer au moins un match en première de l’US Annecy, comme mon père qui y avait joué en Groupe B, à l’époque, et avait aussi été champion de France avec la réserve. Cela faisait partie de la beauté de l’histoire puisque beaucoup des "fils de" font partie de l’équipe actuelle. Alors, en attendant d’avoir ma chance et comme je suis un peu trop âgé pour jouer en réserve, j’ai pris une double licence à Annecy-le-Vieux, club partenaire de l’US." De quoi apporter au pack ancilévien un supplément de puissance et de rudesse, tant le jeune joueur, qui s’astreignait en outre à quatre séances de musculation par semaine, dénotait à ce niveau. "J’étais doublement content de jouer ce match car j’étais motivé par la carotte qui m’attendait. En effet, le week-end suivant, je devais me déplacer avec Annecy à Berre-l’Etang. J’étais tout proche de réaliser mon rêve de jouer en Fédérale 1… En plus, comme il officie d’habitude en Top 14, l’arbitre de notre match était un peu plus tolérant avec les plaquages "hauts", ainsi que j’ai l’habitude de les réaliser avec l’US. Ça m’allait bien…"

Théo, Paul et Laurent, ces héros

Le hic ? Il est que c’est précisément sur un plaquage que le destin de Baptiste Foex a basculé. "Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé car les versions divergent en fonction du point de vue des témoins, s’excuse presque le deuxième ligne. Est-ce que l’adversaire que j’ai plaqué avait le coude en avant ? Est-ce qu’un autre m’est retombé dessus ? On n’en sait rien au final, d’autant qu’il n’y avait pas de vidéo. La seule certitude, c’est qu’après le plaquage, j’ai eu mal à l’épaule et j’ai levé le pouce pour dire que je pouvais rester sur le terrain. Et après, plus rien." "A priori, il a eu le temps de dire à ses partenaires : "C’est bizarre, j’ai plein de fourmis dans le bras." Et il est tombé à terre, raconte son président. Évidemment, on n’a pas saisi tout de suite la gravité de ce qui lui était arrivé. Le soigneur est entré, tout le monde a commencé à s’agiter, alors on s’est approché. Il avait les yeux révulsés, les lèvres bleues… C’est alors que notre demi de mêlée Théo Renard, qui est infirmier dans le civil, l’a placé en position latérale de sécurité (PLS). C’est lui qui a constaté que le pouls s’affaiblissait et qu’on était en train de le perdre et il a tout de suite fait appeler les pompiers. Au même moment, le trois-quarts aile de notre réserve Paul Bachelier, ancien militaire et pompier volontaire, a eu un sang-froid remarquable. Il est entré sur le terrain et a commencé à prodiguer un massage cardiaque, alors que l’entraîneur de La Mure, Laurent Chaffiotte, lui faisait du bouche-à-bouche. Pendant ce temps, notre coach Romain Auger et un de nos joueurs, Olivier Desfours, sont allés chercher le défibrillateur dans le club-house. Mais nous n’en avions pas les clés…"

La faute, souvenez-vous, à ce contexte "clocher" qui aurait pu prêter à sourire, si les enjeux n’avaient été si dramatiques. "Devant l’urgence, ils ne se sont pas posés de question et ont défoncé la porte qui, heureusement, était légère, souligne Xavier Mermillod-Anselme. Si elle avait été en métal, je ne sais pas ce qui serait arrivé… Puis c’est Jeanne, la copine d’un de nos joueurs, qui l’a "chocké" en appliquant le défibrillateur, ce qui a permis de récupérer un pouls juste avant que les pompiers arrivent. Pour la petite histoire, ils se sont embourbés en entrant sur le terrain. Et ce sont les deux équipes qui ont poussé le véhicule, le plus extraordinaire des groupés pénétrants ! On se serait cru dans un film de La Guille, sauf que là, ça n’était pas du cinéma... Puis le Samu a pris le relais et a placé Baptiste dans le coma sur le terrain, qui est parti sous son drap blanc. Cela a marqué tout le monde. Même M. Descottes, qui en a pourtant vu d’autres, nous a dit qu’il ne se sentait pas de reprendre le match, qui n’était techniquement pas fini. Les dirigeants de la Mure ont été exemplaires et ont demandé à ce que le résultat (qui était de 31-7, avec bonus offensif pour Annecy-le-Vieux, N.D.L.R.) soit entériné, l’essentiel étant évidemment ailleurs…"

La troisième mi-temps de l’angoisse

Ailleurs, c’est évidemment dans cette ambulance, puis à l’hôpital d’Annecy, où s’est jouée la plus urgente des troisièmes mi-temps. "Dans l’attente de nouvelles, tout le monde s’angoissait, à commencer par les parents de Baptiste, qui habitent à Avignon et sont montés dès que nous les avons prévenus, souffle le président. Très vite, un de nos joueurs qui l’avait accompagné nous a donné une première bonne nouvelle, à savoir que ses cervicales n’étaient pas touchées. Et c’est vers 22 heures qu’on a reçu un SMS de sa part, nous disant que Baptiste était sorti du coma. C’est dire la force de la nature qu’il est… Même intubé, il n’arrêtait pas de parler. La première chose qu’il a demandée à ses parents, c’est s’il avait bien marqué un essai, alors qu’il n’avait jamais été en position de le faire… Et le lendemain, sur le groupe Whatsapp des joueurs, la première chose qu’il a demandée était le résultat du match…" " Le paradoxe, c’est que je ne me souviens vraiment de rien, témoigne Baptiste. Mon trou noir va du dimanche matin au mardi qui a suivi, où j’ai passé la journée entière à pleurer. Je n’ai véritablement recouvré mes esprits qu’à partir du mercredi matin. Entretemps, j’ai quelques flashs, quelques fragments. Je revois mon père, effondré au bord de mon lit… Au final, ce n’est pas plus mal d’avoir tout oublié. La seule chose que je regrette, entre guillemets, c’est de ne pas avoir vu l’élan de solidarité et tout ce qui s’est passé autour du terrain."

Lequel, bien heureusement, se prolonge depuis plus d’une semaine bien au-delà du rectangle vert. "Au niveau des messages, des réseaux sociaux, c’est dingue, je n’arrête pas et ça occupe bien mes après-midi, sourit Baptiste. Je devais attaquer un nouveau travail en Suisse ce lundi et mon futur employeur m’a dit qu’il attendrait mon retour. À l’hôpital, tout le monde est merveilleux avec moi, des docteurs aux femmes de ménage en passant par les infirmières et aide-soignantes. Il faut dire que je suis un peu la coqueluche de mon étage, parce qu’à 26 ans, j’ai un peu fait chuter la moyenne d’âge du service réanimation… Je veux aussi profiter de cet article pour remercier tous ceux qui m’ont sauvé la vie au bord de ce terrain. Je suis d’ailleurs heureux que le président de la FFR Florian Grill nous a invités, moi et mes "sauveurs", en VIP au match France - Angleterre qui aura lieu à Lyon."

Invités au Crunch de Lyon par Florian Grill

Un crunch qui devrait sonner, pour Baptiste Foex et les siens, comme le jour d’après ce miracle de Noël, qu’il s’agit désormais de ne pas gâcher. "Je mesure la chance qui est la mienne. J’ai passé une IRM et une échographie avant le week-end qui indiquent que pour l’heure, une partie de mon cœur ne fonctionne plus qu’à 20 %, ce que personne n’arrive à expliquer. Dans quelque temps, je vais passer par la case opération, qui va consister à me placer un petit défibrillateur au niveau du cœur. Reste encore à en définir le modèle, en espérant ne pas m’en servir… Et ensuite, je vais partir pour trois mois de repos, dont dans l’idéal trois semaines au SSR (Soins de suite et de réadaptation) de Rumilly. Je viens tout juste d’en effectuer la demande, j’espère qu’elle sera acceptée... Évidemment, pour moi, le rugby, c’est fini, mais j’ai la chance d’être en vie." Et de ne pas en vouloir, malgré tout, à ce sport qui aurait pu lui coûter si cher. Bien au contraire…

"Aucun des médecins ne parvient à expliquer ce qui s’est passé, je suis une énigme. Je n’avais aucun antécédent, rien… Cela aurait pu arriver pratiquement à n’importe quel moment, sur n’importe quel choc. C’est pourquoi je ne vois pas le rugby comme le sport qui aurait pu me coûter la vie mais celui qui me l’a sauvée et je veux lui rendre tout ce qu’il m’a apporté. À ma sortie de l’hôpital, il est d’ores et déjà prévu que je m’investisse de près ou de loin dans les staffs de l’US Annecy et d’Annecy-le-Vieux. Je dois bien ça à mon sport. Et surtout, la première chose que je vais faire, c’est passer mon PSC1." "Ce qui est drôle, c’est que depuis un mois, nous travaillions avec une association de façon à faire passer le PSC1 aux joueurs de notre groupe senior et offrir un module de deux heures de secourisme à nos catégories les plus jeunes, jusqu’aux M12, glisse Xavier Mermillod-Anselme en guise de conclusion. Et si certains en doutaient, ce qui s’est passé dimanche dernier nous a démontrés à quel point les notions de secourisme peuvent être importantes…" Baptiste Foex, mieux que personne, est toujours là pour en témoigner.

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