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200 ans d'histoire (50/52) : Toulon champion avec douze étrangers

Par Jérôme Prévôt
  • Le RCT a été sacré champion de France en 2014.
    Le RCT a été sacré champion de France en 2014.
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Au début des années 2010, le championnat de France était devenu l’Eldorado du rugby mondial : signe de la puissance inédite de nos clubs... et du déclin annoncé du XV de France.

Cela s’appelle une borne historique. En 2014, Toulon est sacré champion de France en battant Castres et dans son XV de départ, on ne trouvait que trois Français seulement (le centre Mathieu Bastareaud, le demi de mêlée Sébastien Tillous-Borde et le pilier Xavier Chiocci). En finale gagnante de la Coupe d’Europe, une semaine plus tôt face aux Saracens, la proportion était exactement semblable avec les mêmes "rescapés" tricolores. Douze étrangers sur quinze titulaires sous l’autorité, il est vrai, d’un entraîneur bien français, Bernard Laporte. L’année précédente, en 2013, Toulon avait été champion d’Europe face à Clermont avec cette fois onze étrangers titulaires. Les quatre tricolores s’appelaient Mathieu Bastareaud, Sébastien Tillous-Borde (déjà), Alexis Palisson à l’aile et Sébastien Bruno au talonnage. Cette situation concrétisait un phénomène historique : le championnat français était devenu le centre, ou disons le carrefour de tous les talents reconnus de la planète ovale.

Les effectifs constellés d’internationaux personnifiaient l’insolent succès populaire et financier du Top 14. Le rugby français avait passé un cap important en 2007, à l’occasion de la Coupe du monde organisée sur son sol. Le XV de France n’y termina qu’à la quatrième place, mais la passion nationale pour le rugby s’en trouva décuplée, au point d’attirer au fil des mois une nouvelle génération d’investisseurs : des hommes d’affaires ambitieux et généreux, bien aidés en plus par l’argent de Canal +, la chaîne payante qui avait fait du Top 14 l’un de ses produits phares. Elle déboursait désormais chaque année une somme folle (74 millions d’euros) pour s’assurer l’exclusivité de ses retransmissions devant, en plus, des tribunes de plus en plus copieusement garnies. Ainsi, Toulon put "décentraliser" certaines affiches au Stade Vélodrome de Marseille. Le Stade français avait fait figure de précurseur au Stade de France.

Le rugby français était désormais capable d’attirer les meilleurs joueurs ; plus seulement les Argentins dont la fédération restait fidèle à l’amateurisme, mais désormais les Néo-Zélandais, Sud-Africains, Australiens ou Anglais. La réalité devenait aveuglante. Les ressortissants des nations dominantes faisaient des pieds et des mains pour rejoindre l’Hexagone. On vit même des joueurs prendre le risque d’être privés de leur carrière internationale, en contrepartie d’un gros contrat avec une écurie de Top 14.

Le pilier droit néo-zélandais Carl Hayman, par exemple, renonça à une place probable de titulaire chez les All Blacks qui devaient jouer la Coupe du monde 2011 sur leur sol. L’arrière international anglais Delon Armitage avait choisi la même destinée, son arrivée dans le Var en 2012 mettant fin à sa carrière sous le maillot frappé de la Rose. Ces simples cas illustraient bien le pouvoir d’attraction des vieux clubs français, même si, c’est vrai, Toulon était un cas un peu à part, extrême sans doute au sein d’une vague de fond. Son président Mourad Boudjellal avait opté sans complexe pour une politique de vedettes dès son arrivée aux affaires. Alors que son club était encore en deuxième division, en 2007, il fut capable d’attirer à Toulon Tana Umaga, centre et capitaine des All Blacks, Victor Matfield champion du monde la même année avec les Springboks ou George Gregan, couronné en 1999 avec les Wallabies. Ce n’était que le début d’une insensée constellation de talents avec, en apogée, l’arrivée de Jonny Wilkinson en 2009. Au début des années 2000, personne n’aurait imaginé que le demi d’ouverture iconique de l’équipe d’Angleterre puisse jouer un jour en France.

Le XV de France en paye les pots cassés

Mais le phénomène ne concerna pas que Toulon, on vit des "grands noms" débarquer partout en France, à Toulouse, à Clermont au Stade français mais aussi à Pau. Dan Carter vint même deux fois : en 2009 à Perpignan pour quelques mois puis en 2016, au Racing. Derrière ces icônes, on vit également débarquer une foule de "bons" joueurs étrangers, non internationaux mais capables de tenir la route pour maintenir une écurie en Top 14. En quelques années, la France devint l’Eldorado de tous les rugbymen de la planète, des Samoa à l’Afrique du Sud en passant par l’Argentine. Et par les effets du marché, il fut bientôt préférable pour les clubs de recruter un étranger confirmé que de faire confiance à un jeune français.

Tout cela eut un coût, évidemment. Le plus douloureux ne fut pas financier mais patriotique : le XV de France commença à piquer du nez, douze ans sans grand chelem et sans même une victoire simple dans le Tournoi entre 2010 et 2022, des tournées sudistes sans éclat et une Coupe du monde 2015 vraiment médiocre, conclue par une déculottée historique face aux All Blacks en quart de finale (62-13). Dans les rangs de ses bourreaux, dix joueurs qui porteraient ou avaient déjà porté le maillot d’un club français.

  • Le million de Carter

En 2015, on vit débarquer en France une véritable icône sportive et commerciale. Daniel Carter, le demi d’ouverture des All Blacks, s’engagea au Racing. Il était alors le joueur le plus médiatique de la planète, champion du monde, recordman des points marqués en tests internationaux (1 598 points) et trois fois sacré meilleur joueur de la planète. Il était servi en plus par une plastique de jeune premier, avec une série de publicités à son effigie. L’arrivée de Dan Carter à Paris a marqué, elle aussi, une borne historique. Pour couper court à toutes les spéculations, le Racing de Jacky Lorenzetti avait préféré officialiser ses revenus, aveu très rare. Dan Carter fut le premier joueur du Top 14 à toucher un million d’euros par saison pendant trois ans. Un peu plus de la moitié de cette somme lui était payée en salaires, le reste l’était en droits d’image, en partie liés à la promotion de la Paris-La Défense-Arena, la future salle couverte du club alors en construction. Son contrat prévoit entre quinze et vingt interventions auprès des partenaires de club chaque année.

  • La révolution des Jiff

La Ligue nationale de rugby a pris assez vite la mesure de la menace que faisait planer l’attractivité mondiale du Top 14 et réfléchi à la façon de valoriser la présence de joueurs sélectionnables en équipe de France. En 2010, elle a imaginé le statut de Jiff, joueur issu des filières de formation : une vraie révolution. À la manœuvre on trouvait Pierre-Yves Revol, président de la LNR (ex et futur patron de Castres), et Thierry Perez, alors président de Montpellier. Le statut de Jiff concernait les joueurs qui avaient passé au moins trois ans dans un centre de formation agréé ou qui avait bénéficié d’une licence FFR, pendant les cinq ans qui précédaient l’année de leurs 21 ans. Le dispositif permettait de protéger la formation française sans tomber dans la discrimination.
L’objectif de la LNR était d’imposer un quota de plus en plus important de Jiff au sein des clubs de Top 14 et de Pro D2, dans l’effectif global et surtout sur les feuilles de matchs. Au fil des années, l’obligation s’est durcie. Il a commencé à 40% de l’effectif total des clubs en 2010. Au moment où l’on écrit ces lignes, il est de seize en moyenne par feuille de match. Et le nombre de non-Jiff autorisé par club est descendu à 13. Il a aussi été agrémenté d’un système de sanctions et de récompenses financières, puis de sanctions sportives avec la menace de points retirés. Cette politique résolument protectionniste, unique dans le sport professionnel français, a été combattue au départ. Jacky Lorenzetti, président du Racing, avait entamé des poursuites devant la justice européenne au nom de l’entrave à la libre concurrence. Mourad Boudjellal de Toulon et René Bouscatel de Toulouse s’y étaient clairement opposés. Mais dix ou douze ans après, la mesure trouva sa légitimité dans les mentalités. Peu contestent le lien qui doit exister entre le championnat français et l’équipe nationale. Et sportivement, le superbe grand chelem 2022 est venu couronner le travail et le courage des partisans de cette mesure pas si facile à imposer. « C’est la réforme dont je suis sans doute le plus fier », confia Pierre-Yves Revol à Midi Olympique.

  • La déconfiture des clubs anglais

Quand le rugby est passé professionnel, il n’y avait que deux pays dont l’élite était occupée par des clubs privés et non des provinces : la France et l’Angleterre. Et après 1995, on crut que comme au foot, les clubs anglais allaient absorber les meilleurs talents de la planète. On l’a un peu oublié, mais les choses étaient parties dans cette direction. Au début des années 2000, on trouvait une quinzaine d’internationaux français en Angleterre dans la foulée de Thomas Castaignède aux Saracens, de Raphaël Ibanez aux Wasps ou de Sébastien Chabal à Sale. Il est fascinant de voir comment le rapport de force s’est inversé et comment les clubs français ont pris largement le dessus financièrement, au point de voir des clubs anglais tirer sérieusement la langue, jusqu’à la faillite. Ils n’ont pas su trouver un diffuseur aussi généreux que Canal +, ni un soutien populaire comparable à celui des clubs du Top 14. Plus récent sur le plan historique, leur championnat n’avait pas non plus la force de notre quête au Bouclier de Brennus.

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Les commentaires (2)
Pitou13 Il y a 4 mois Le 13/12/2023 à 23:42

Ben voyons encore une occasion de tirer à boulet rouge sur le vilain petit canard. C'est tellement Français...

Pepone66 Il y a 4 mois Le 14/12/2023 à 13:07

Ce qui serait typiquement français, ce serait de dénigrer les joueurs nationaux.
Comme ils étaient plutôt rares à cette époque...