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Obsèques d'Alain Estève, les adieux au Géant de Béziers

Par Jérome Prevot
  • Alain Estève a été enterré le 9 novembre dernier.
    Alain Estève a été enterré le 9 novembre dernier. - Thibaut Clariond
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Béziers a dit adieu ce jeudi à Alain Estève, l’un des joueurs les plus emblématiques de la cité. Moment d’émotion intense évidemment à la mémoire d’un destin unique.

Une douce lumière baignait la moderne sobriété du funérarium du Pech Bleu. Depuis un écran numérique, Alain Estève lançait un dernier regard à la foule compacte, comme un paquet d’avants doit l’être. Les Biterrois étaient venus dire au revoir à ce personnage hors normes, joueur exceptionnel et fruit d’une époque extraordinaire.
Les obsèques d’Alain Estève ont sonné comme un adieu magistral à ce rugby des années 70 à la frontière du noir et blanc et de la couleur : sport excessif, espace de liberté qu’on n’imagine plus. Un maillot frappé du numéro 5 était posé sur son cercueil cerné par ses proches, ses trois filles et leurs familles.

La chanson des succès entonnée autour du cercueil

À la fin de la cérémonie, ses anciens coéquipiers se sont réunis autour de son corps pour interpréter, en occitan, la chanson emblématique de leurs succès passés : « On appelait ça « la Sétoise ». On chantait ce refrain après nos victoires. Elle dit qu’on a marre d’être triste, que le chagrin doit s’en aller et qu’on est prêt à faire un tour de plus », narre Jean-Louis Martin, pilier droit du grand Béziers. « Alain poussait derrière moi. Il était rude, mais dans l’ensemble régulier. Il a fait quelques excès, mais le rugby d’alors était fait d’excès. Je garde de lui une image : sa dureté au mal, je l’ai vu prendre un coup de pied en plein front et se relever tout de suite. Vous me demandez si on se sentait protégés avec lui ? Oui, regardez-moi, j’ai joué 17 ans en élite et je n’ai pas la tête cabossée. C’est sans doute à lui que je le dois. »

Dans l’assistance, on a reconnu tant de visages. Pardon à ceux qu’on va oublier : Richard Astre, Henri Cabrol, Jean-Louis Martin, Jean-Marc Cordier, René Séguier, Diego Minaro, Michel Fabre, Marc Andrieu, Alain Paco… Le grand complice d’Estève, Georges Sénal, l’homme de l’ombre, avait préféré vivre son chagrin seul, aussi taciturne qu’Alain était démonstratif. L’homme pouvait être dur quand la situation l’exigeait, personne ne le nie. Sa vie personnelle fut agitée, tout le monde en est conscient. C’est ce qui a rendu son parcours si fascinant avec l’éternel paradoxe, l’image de la force et de l’agressivité qui cachait son vrai talent de rugbyman.

Astre : « Je vois partir un frère d’arme »

Richard Astre, son capitaine emblématique, prit la parole. Voici son entame : « Je vois partir un frère d’armes. Alain avait beaucoup de sobriquets : « Le Grand, Papa… ». C’était un personnage tellement atypique qu’il aurait pu inspirer les plus grands romanciers, de Zola à Victor Hugo. Son franc-parler pouvait surprendre, égratigner parfois, qui s’y frotte s’y pique. Il surfait toujours entre la démesure et la sensibilité. Il a eu la chance comme beaucoup d’entre nous de rencontrer Raoul Barrière qui s’est vite aperçu des qualités exceptionnelles. À ces talents dans le jeu, vitesse, adresse, puissance, intelligence, il ajoutait une force mentale exceptionnelle. »

La voix cassée par l’émotion, le demi de mêlée du Grand Béziers, convoqua dans la foulée certaines figures disparues, Armand Vaquerin bien sûr, l’autre pierre angulaire du pack des années fastes, et le trois-quarts centre Joseph Navarro, décédé en 2011, trois fois champion de France. « Une grande amitié les unissait. » C’était en effet le grand copain d’Alain Estève ; La mémoire de « Pepito » fut ainsi honorée par ricochet, combien de joueurs ont-ils laissé volontairement leur place pour une finale au profit d’un jeune talent ?

Estève et Navarro avaient partagé la même jeunesse déshéritée. Cette jeunesse d’une grande pauvreté que Jean-Luc Fabre a racontée dans une biographie : « Le géant de Béziers », le livre qui aura fait magistralement le point sur la trajectoire d’Alain Estève ; « Le Grand est mort, on te croyait immortel… Tu étais l’un des plus grands avants de combat de l’Histoire. Avec toi, disparaît une époque… Tu as eu une vie hors norme. Comment ne pas évoquer l’homme de la nuit que tu as été. Des générations de Biterrois sont venus faire la fête chez toi… Qui d’entre nous n’est pas allé chez le Grand ne serait que pour le voir et établissement que tu as tenus où l’on aimait se retrouver pour te voir et entendre tes plaisanteries. Tu as même dit que tu n’as joué au rugby que pour le plaisir de la troisième mi-temps. Dès que tu arrivais quelque part, un attroupement se formait. Comme quelques-uns d’entre nous, j’ai eu la chance de te connaître dans la sphère privée, Ceux-là savaient que tu avais deux valeurs, la fidélité totale en amitié et la générosité sans limite car tu n’as jamais compté et que tu aimais faire plaisir aux autres. Avec toi, Alain, disparaît notre jeunesse, le temps d’avant où l’on venait partager quelques instants d’amitié. »

Jean-Luc Fabre, le supporter qui a réalisé son rêve

La parole de Jean-Luc Fabre avait du poids car il s’est exprimé au nom de tous les anonymes, dans la peau d’un supporter qui a réalisé son rêve : sympathiser avec son idole de jeunesse jusqu’à devenir son confident. « Je l’ai rencontré par l’intermédiaire d’une connaissance commune, nous sommes restés amis. Il n’aimait pas trop parler aux journalistes, c’est vrai. Il lui fallait de la confiance. Un jour, je l’ai amené faire un tour dans la campagne, vers Puisserguier et je lui ai dit que je voulais faire un livre sur lui. Car ça n’existait pas. Il m’a répondu : « On me l’a proposé trente fois, j’ai toujours refusé. À toi, je te dis oui. » Cette biographie fut le dernier événement public de la vie mouvementée d’Alain avec des hauts et des bas. Elle a fixé les gens sur son parcours extraordinaire en précisant les détails de ce qui jusque-là appartenait à la légende.

« Mais dans le privé, j’ai aussi découvert un homme très entreprenant et très enthousiaste, toujours prêt à reprendre une nouvelle affaire. Il a gagné beaucoup d’argent et en a distribué d’avantage encore. Je sais qu’il avait vécu une belle histoire avec sa dernière compagne. Il avait souffert de leur séparation. »
Tous les récits qui couraient à son sujet ont évidemment défilé dans notre mémoire : la finale 1971 qui lança le mythe, à travers les accusations des Toulonnais au sujet de la blessure d’André Herrero.
Jean-Luc Fabre dans son livre avait évoqué précisément l’enfance misérable de son ami dans la région de Castalnaudary : « Il était le deuxième d’une fratrie de six. Il avait aidé et fait travailler ses frères et sœurs par la suite. Il a vécu des choses terribles, j’ai retrouvé un rapport d’une assistance sociale que j’ai hésité à publier. Alain m’a dit : « À mon âge, je ne vais pas m’y opposer. Fais-le si tu veux. » Un moment m’avait ému, dans une de nos balades, entre deux plaisanteries, il m’avait parlé de ses parents qui n’avaient même pas eu droit à une tombe à Peixiora. Il était fier de leur avoir donné une sépulture décente à Puisserguier. »

« Le Grand » les a donc rejoints dans ce cimetière, porté en terre par ses coéquipiers. Ainsi s’est terminé son périple hors du commun, tiré de la misère par son physique d’Hercule et son talent d’orfèvre du ballon ovale.
Toutes ces idées se sont bousculées dans notre esprit au moment de quitter le Pech Bleu alors que retentissait une version épurée des « yeux d’Émilie », hymne adopté par le rugby précisément, à partir de Béziers.
Le rugby d’aujourd’hui ne produira sans doute plus de destins comme le sien, les parcours des joueurs sont désormais trop balisés. Ceci dit, on ne sait pas ce que l’avenir peut nous réserver, dans le passé en tout cas, le « Géant de Béziers » a laissé une trace indélébile.

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