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Un jour une histoire - Finale 1963 : Mont-de-Marsan - Dax, un duel fratricide riche en péripéties

Par Jérôme PRÉVÔT
  • André Boniface et Pierre Albaladéjo posent ensemble avant la finale d’un championnat départemental qui était aussi celui de la France. Mont-de-Marsan et Dax se sont retrouvés à Bordeaux dans une ambiance de carnaval pour un match qui ne fut pas un sommet de jeu. La crispation était trop forte entre les deux cités rivales. On n’a plus jamais vu deux clubs d’un même département s’expliquer en finale depuis. Photo DR
    André Boniface et Pierre Albaladéjo posent ensemble avant la finale d’un championnat départemental qui était aussi celui de la France. Mont-de-Marsan et Dax se sont retrouvés à Bordeaux dans une ambiance de carnaval pour un match qui ne fut pas un sommet de jeu. La crispation était trop forte entre les deux cités rivales. On n’a plus jamais vu deux clubs d’un même département s’expliquer en finale depuis. Photo DR
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Mont-de-Marsan - Dax aujourd’hui c’est du Pro D2. En 1963, ce fut la grande finale du rugby français. Un duel fratricide à haute pression qui déboucha sur une sorte de "non-match" pourtant riche en péripéties.

C’est arrivé trois fois dans le siècle*. À force de récits enfiévrés, on a le sentiment d’avoir vécu la dernière, deux clubs d’un même département qui se retrouvent en finale du championnat de France. En 1963, Mont-de-Marsan et Dax se sont expliqués à Bordeaux, dans un duel qui disait tout du rugby de l’époque. Ces deux villes moyennes sans grandes industries étaient les poumons de notre élite : Dax par son pack réputé rude, Mont-de-Marsan par ses lignes arrières créatives (on verra bien sûr que les duels se font parfois à fronts renversés). Chez les "Jaune et Noir", les vedettes s'appelaient André et Guy Bonfiface et à leur droite, en bout de ligne Christian Darrouy, un vrai lévrier. Chez les Rouge et Blanc, les têtes d'affiche avaient pour nom Pierre Albaladejo, le grand buteur international de l'époque (il tapait de la pointe). Il faisait la paire avec Jean-Claude Lasserre, 13 sélections. Les autres internationaux s'appelaient Marcel Cassiède (deuxième ligne) ou Bernard Dutin (flanker). La première ligne Bérilhe-Béro-Lasserre (Christian) jouissait d'une grosse réputation. 

La  rivalité des deux clubs était alors paroxystique. Dax était entraîné par Jean Desclaux, dit "Toto", un ancien troisième ligne qui assumait que le rugby se gagnait d'abord devant, en jouant la carte de  l'intimidation si nécessaire. Il était lui-même du genre rude, avare d'entretiens avec la presse. Dans la décennie suivante, il serait "homme de terrain" du XV de France. 

Le coach de  Mont-de-Marsan s'appelait Fernand Cazenave, ancien ailier international, qui partageait évidemment son pouvoir avec le charismatique André Boniface, totem du french flair, terme forgé la même année d'ailleurs. Cazenave aussi serait en charge des Bleux dix ou quinze ans plus tard. 

A l'époque, les Landes faisaient figure de vrai vivier du rugby français. "On croisait des internationaux à tous les coins de rue, comme des médaillés olympiques à New York" aimait à dire Denis Lalanne, notre ancien confrère. Lors du Tournoi 1963, tous les points du XV de France avaient été inscrits par des Landais. De la Chalosse à l'Océan Atlantique, le ballon ovale avait trouvé un Jardin d'Eden. Ce département rural était une fabrique de champions à ciel ouvert. 

Mais de ce rendez-vous fratricide, on conserve l’écho de l’atmosphère carnavalesque qu’il provoqua dans les rues de Bordeaux. Les Dacquois étaient plutôt venus en train, et les Montois plus proches, avaient pris leur voiture. Un supporter rencontré par hasard, nous avait parlé de cette longue procession de véhicules progressant vers le nord : "En plus, à cette époque, les voitures étaient souvent noires. Ça correspondait grosso modo aux couleurs du club."

 L’avant-match reste pour nous un objet de fascination. Combien de personnes y avait-il sur la pelouse ? Cinq cents ? Mille ? La télévision avait pris l’antenne très tôt avec une réalisation minimale et Roger Couderc en voix off qui meuble un très long plan fixe. Le héraut de l’ORTF essaie de décrire le grand pandémonium qui s’agite devant lui. Des supporters des deux camps qui dansent la gigue ou qui se baladent sur des échasses. À côté des protocoles hypercorsetés d’aujourd’hui, la scène nous fait envie. Les supporters des deux camps avaient joyeusement débordé toutes les barrières et tous les cordons de policiers débonnaires. Ils composaient une scène pittoresque, au son d’énormes pétards et des cuivres des bandas qui sillonnaient le gazon. On vit même surgir un "toro de fuego" vomissant une gerbe d’étincelles dans le ciel encore clément. Le noir et blanc rendait la distinction difficile entre les fans des Rouge et Blanc et des Jaune et Noir. Les casquettes, les bérets et les chapeaux de paille, les banderoles improvisaient un spectacle digne d’un jour des fous du Moyen-Âge. Qui avait confectionné cette énorme poupée de chiffon ? Qui a gardé ces banderoles ornées de caricatures (Boni en picador, Alabaladejo en taureau) ? Subsiste-t-il encore les tracts imprimés par les Dacquois montrant André Boniface écrasé par un rouleau compresseur censé représenter le pack de l’USD ?

"C’est un match qui sent la poudre, au sens comme au figuré. Jamais de ma vie dans une finale je n’ai vu une ambiance aussi formidable", s’exclame le commentateur qu’on sent médusé par un tel charivari. Puis des fusées montent au ciel pour éclater dans un improbable feu d’artifice diurne. Les pouvoirs publics d’aujourd’hui s’étrangleraient à coup sûr. Mais à 14 h 55, sous la pression amicale de trois ou quatre officiels en costume-pochette (qui étaient-ils ?), les farceurs landais se déportent assez facilement sur le bord de la touche pour laisser les deux équipes émerger des vestiaires.

Les deux clubs avaient déjà perdu cinq finales (deux pour Dax, trois pour Mont-de-Marsan), c’est dire si la pression était immense. Denis Lalanne notre ancien confrère avait évoqué une "quinzaine irrespirable" dans les deux villes avec son lot d’intox, de rodomontades, de lettres anonymes, de querelles de bistrots et de façades peinturlurées dans la nuit… Cette quinzaine échappa presque totalement aux joueurs pour revenir au folklore et au chauvinisme, et à des siècles d’antagonisme entre Dax et Mont-de-Marsan. 

Les deux équipes étaient allées s’isoler pour échapper à cette furia. On vit les Montois à Salles (sud de la Gironde), dans une petite auberge. Les Dacquois avaient choisi Arcachon : "Oui, ils avaient pris froid", confie André Boniface. Pierre Albaladejo confirme : "Nous sommes partis là-bas pour se sortir de la pression des supporters qui était incroyable. Et puis, près de l’océan, il faisait plus frais. J’ai passé la nuit aux côtés du docteur Pinsolle. J’avais de la fièvre. Le matin Toto Desclaux me demandait si je pouvais jouer. Je ne savais que répondre." Avec 38 ou 39 degrés, l’ouvreur serait finalement sur le terrain.

Dans le long couloir du stade municipal plein d’humidité, André Boniface et Pierre Albaladéjo s’étaient retrouvés côte à côte. Le Montois remarqua la pâleur de son adversaire et ami : "- Tu n’es pas bien ?" ; "- J’ai une angine."

Un énorme jeu de dupes

Cette finale fut aussi inoubliable aussi pour de mauvaises raisons. Ce fut en fait un énorme jeu de dupes. "Si je vous réponds en égoïste, je dirais que ce ne fut pas mon meilleur souvenir. La demi-finale face à Lourdes à Lyon, avait été sensationnelle. Elle aurait largement mérité d’être le dernier acte. Cette finale, on voulait la gagner pour nos supporters. On ne voulait surtout pas se faire contrer. Alors on a mis en place une tactique qui a fonctionné. On n’a quasiment pas attaqué, on a joué tout au pied. Et notre stratégie a porté ses fruits."

À rebours des scénarios prévus, le pack montois assura l’essentiel de la tâche, alors qu’il était pourtant… réduit à sept éléments au bout d’une demi-heure. L’ailier Christian Darrouy, l’éternel complice des frères Boniface s’était claqué, condamné à faire acte de présence (il n’y avait pas de remplacement à ce moment-là). Le troisième ligne Couralet prit sa place. Darrouy explique : "Mais je suis resté à l’aile avec Couralet à mes côtés pour parer les coups de pied à suivre adverses, il y est resté aussi sur nos phases offensives car c’était un super joueur de ballons." André Boniface poursuit : "Nous jouions à sept avants, mais deux troisième ligne dacquois, Gaston Dubois et Bernard Dutin, n’avaient qu’une consigne, nous empêcher de jouer derrière", poursuit André Boniface. Le coup de poker des Montois avait marché, prêts à bondir, vers le large, ils furent un peu moins disponibles pour les tâches du cœur de trafic. C’est ainsi que Mont-de-Marsan s’imposa 9 à 6 sans marquer d’essai, un "non-match" au vu de l’image de marque du club. "Oui, nous étions très déçus, que vouez-vous ? On se sentait pourtant forts pourtant, il ne faut pas oublier qu’on les avait battus deux fois en poule. Ça nous a peut-être mis de la pression", se remémore Pierre Albaladéjo qui avoua en 2013 avoir été gêné en revoyant les images. "Moi qui ai suivi le rugby de si près jusqu’à nos jours, qui en ai vu la lente évolution, je ne pensais pas qu’il y avait une telle différence. C’est la nuit et le jour."

1963, les Landes en fusion
1963, les Landes en fusion

En termes de jeu, on qualifia la partie d’insipide, elle fut en plus interrompue dix fois par une situation surréaliste. Les organisateurs avaient tout fait pour bourrer le stade municipal jusqu’à la gueule en rajoutant des sièges sur le vélodrome. Ceux-ci bouchaient la vue des gens des tribunes qui hurlaient "Assis ! Assis ! On ne voit rien." Pour se venger certains spectateurs refusèrent de rendre les ballons bottés dans les gradins. Bonjour le chaos et la confusion. La partie ne fut pas dépourvue de péripéties pour autant, évidemment plutôt des moments foutraques que des actions de grâce telles que l’essai du demi de mêlée dacquois Jean-Claude Lasserre qui aurait dû être cent fois refusé. Sous une chandelle, c’est le Montois Tignol qui avait aplati. Parce que d’un point de vue romanesque, l’arbitre Albert Capelle joua à plein son rôle de trente et unième homme. Le pauvre apparut vite congestionné, puis cramoisi, jusqu’à une irréparable faute de goût. Le refus d’un superbe essai montois né d’une fameuse croisée entre les frères Boniface. "Nous avions fait marquer Alain Caillau, mais M. Capelle était trop loin de l’action. Dès le couloir, je lui avais dit : vous êtes en surpoids. Il m’a répondu : "oui, j’ai quelques kilos en trop"", reprend André Boniface.

Le terrible coup de Casals

Ce M. Capelle fut sans doute informé de sa bourde sur l’essai de Lasserre, trois minutes après, il céda à la tentation de la compensation. Ce fut le climax du match : un coup de poing terrible par-derrière de Pierre Casals sur son vis-à-vis André Bérilhe (les Montois disent que c’était pour défendre Alain Caillau). Le Dacquois s'effondre comme foudroyé, les bras en croix en position "Jésus" certifiée par le Vatican : "Oh, le geste ! Nous avons vu. Un Montois a eu un geste, nous avons vu son numéro, nous savons qui c'est. C'est absolument inadmissible," commente Roger Couderc qui ne peut occulter la réalité. Des millions de foyers avaient vu cette part sombre du rugby.

 "Je ne sais pas, peut-être que Bérilhe a eu un geste qui a fait croire que… J’ai été surpris parce que Cazals ne mettait jamais de coup d’habitude. Je crois qu’il avait été énervé par toutes les caricatures de la semaine", commente Chrstian Darrouy. Le directeur de jeu se contenta d’une simple pénalité. Des années après, nous fûmes émus par les propos de Christian Lasserre, pilier gauche dacquois pourtant porté sur la baston, qui déclara : "Ce marron nous a traumatisés." (Sud-Ouest, Benjamin Ferret). Le rude redresseur de torts ne s’expliquait pas pourquoi le pack de l’USD n’avait pas réagi par une bagarre générale en bonne et due forme (nom de code, Martini). Une léthargie inexplicable pour de tels combattants. Bérilhe était resté sur le terrain, mais il avait terminé le match dans un état second, jusqu’à tituber sans savoir se situer. Les images nous semblent aujourd'hui choquantes, la commotion est patente. Sa sortie ne fut pas un instant envisagée.

Il en voulut à ses coéquipiers pendant des semaines de ne pas l’avoir soutenu. À l’époque, une finale se gagnait aussi là-dessus. Pour finir de semer la confusion, un orage de fin du monde noya les dix dernières minutes. C’est sous ce ciel soudain obscurci que le demi de mêlée Pierre Lestage inscrit le drop du 9-6, la préfecture aurait le droit de recevoir le premier Bouclier, le seul à ce jour. Au terme de la journée de tous les contrastes.

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