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Coupe du monde de rugby 2023 - Angleterre - Afrique du Sud : depuis la finale 2019, tant d’eau a coulé sous les ponts

Par Jérôme Prévôt
  • Anglais et Sud-Africains vont se retrouver en demi-finale, après s'être affrontés en finale il y a quatre ans.
    Anglais et Sud-Africains vont se retrouver en demi-finale, après s'être affrontés en finale il y a quatre ans. PA Images / Icon Sport
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Dire que cette affiche entre l'Angleterre et l'Afrique du Sud était la finale du Mondial 2019. Depuis, beaucoup d’événements ont surgi pour aboutir à cette demie improbable entre une équipe qui mâitrise tout ou presque et une autre qui semble naviguer à vue.

On est loin, très loin de la finale 2019 qui opposait les mêmes équipes. Depuis quatre ans beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et désormais, les deux équipes n’habitent plus au même étage. C’est du moins l’impression de tous les observateurs avant cet Afrique du Sud - Angleterre de samedi qui, a déjà désigné son favori.

Les Sud-Africains avancent en majesté, ils ont marqué quatre essais au Stade de France en étant dominés en termes de possession et de territoire. Quatre essais pour sept entrées dans la zone de marque, un ratio monstrueux qui dit beaucoup de choses sur l’efficacité de ce commando devenu expert dans l’art de la dépossession, l’ancien mantra de Fabien Galthié.

Erasmus, "Deus ex Machina"

Ces Springboks ressemblent à une armée de brillants soldats commandés par deux généraux surdoués. Véritable "deus ex machina", Rassie Erasmus et son acolyte Jacques Nienaber semblent capables de toutes les audaces. Les signaux lumineux émis depuis les tribunes, sept avants sur le banc des remplaçants, un vétéran sous-côté rappelé parce qu’il peut jouer aussi bien talonneur que troisième ligne (Deon Fourie) et un ouvreur convalescent (Handré Pollard) qui arrive en cours de route pour remplacer un talonneur blessé (Malcolm Marx) et la charnière de 2019 (De Klerk-Pollard) tenue en réserve pour un rendez-vous aussi colossal que celui du Stade de France. On ne peut qu’être admiratif de ce Rassie Erasmus, au nom de savant de la Renaissance, pour la façon dont il renouvelle l’approche de son sport, un peu comme le firent l’Australien Rod McQueen avec l’Australie dans les années 90 ou le mythique duo Allen-Saxton avec les All Blacks dans les années 60. On aime bien l’idée qu’un coach joue les Géo Trouvetout en coulisses, ça nous change des systèmes et des "plans de jeu" répétés et martelés à l’excès.

Doué pour le rugby pur, il brille aussi dans la communication, le maniement des réseaux sociaux et l’art de transformer les conférences de presse en happening. Scène ahurissante, mardi, il a sorti un papier de sa poche et a carrément donné la composition… de l’équipe d’Angleterre, un pronostic bien sûr, mais qui a ravi l’assistance qui craint par-dessus tout les ronronnements de propos convenus. Ceux qui ont enduré des conférences soporifiques nous comprendront aisément. On a bien senti qu’Erasmus amorçait une guerre psychologique avec Borthwick au sujet du poste d’arrière du XV de la Rose. Le "petit" Marcus Smith (1, 75 m, blessé de surcroît) ou le grand Freddie Steward (1, 96 m) pour faire mieux que Bielle-Biarrey, Fickou ou Woki sous les chandelles ?

Pour peu, Erasmus aurait pris la décision lui-même pour faire gagner du temps à tout le monde. Il faudrait donc être aveugle pour ne pas voir que les Springboks sont sur un nuage.

Quand Damian Willemse prend la confiance

Un moment précis du quart de finale a sidéré tous les observateurs : quand l’arrière des Stormers, Damian Willemse a réceptionné un coup de pied d’occupation des Français via un arrêt de volée et qu’au lieu de dégager en touche, il a demandé… une mêlée. Un choix rarissime, qui a obligé ses avants à reculer de 40 mètres, ce qu’ils ont fait de bon cœur, pour montrer aux Français qu’ils étaient prêts à en découdre dans l’épreuve de force à n’importe quel moment. Difficile de faire montre de davantage de confiance en soi.

Et comme on trouve de tout dans cet effectif, du géocoucou Cheslin Kolbe à l’homme de fer Eben Etzebeth, l’idée a surgi en début de semaine : ces Springboks-là sont ils plus forts que ceux de 2019 ? En tout cas, on a compris que Rassie Erasmus avait décidé qu’il fallait passer un cap après la défaite de Marseille de novembre 2022 (30-26). De là date son désir de jouer avec Manie Libbok à l’ouverture, un pur talent offensif qui pèche parfois dans les tirs au but, il avait d’ailleurs commencé sa carrière internationale ce jour-là en entrant en fin de partie à la place de Jesse Kriel. Les ondes positives diffusées à haute dose par ces Springboks-là s’opposent au climat qui entoure cette équipe anglaise qui avance d’une démarche foutraque comme l’invité d’un mariage qui aurait enfilé son costume à la va-vite.

Steve Borthwick n’a pas le charisme triomphant d’Erasmus Et cette Angleterre 2023 ne dégage pas le même mélange de puissance et de sérénité que l’Afrique du Sud. Pourtant, elle a gagné cinq matchs sur cinq alors que les Sud-Africain ont perdu une fois en poule (contre l’Irlande, il est vrai). Ses détracteurs disent qu’elle a surtout terminé première à un concours de circonstances, en bénéficiant du tirage au sort précoce des poules, le XV de la Rose s’est retrouvé dans un bas du tableau objectivement moins relevé que le quatuor France, Afrique-du Sud, Nouvelle-Zélande, Irlande. Quand les poules sont apparues en décembre 2020, personne ne pouvait prévoir la descente aux enfers des Anglais à l’hiver 2022-2023 et durant l’été qui suivit. En 2020, les Anglais alors entraînés par Eddie Jones avaient gagné le Tournoi puis le Coupe automnale des Nations. Huit victoires (consécutives) en neuf matchs.

Personne n’aurait imaginé que le gourou australien serait congédié deux ans plus tard victime des limites de sa propre personnalité et de son management éruptif. Personne ne pouvait prévoir l’annus horribilis 2023 ponctuée d’une défaite humiliante à Twickenham contre la France, 53-10. En écrivant ces chiffres, on se demande si on a bien vécu ce moment, à la gloire d’une France qui ne sera même pas dans le dernier carré de cette Coupe du monde. On se demande aussi si on a bien vécu cette défaite initiale à domicile face à l’Écosse, (la deuxième consécutive), événement jugé impensable pendant trente ans.

La bâteau anglais n'a pas encore coulé

Jamais on avait vu un sélectionneur anglais démarrer un mandat dans d’aussi mauvaises conditions et poursuivre son chemin de croix au cours de l’été en perdant face au pays de Galles, à l’Irlande et… aux Fidji à Twickenham. Si l’on ajoute l’affaire des expulsions de Billy Vunipola et Owen Farrell, on comprend pourquoi la presse anglaise sortit complaisamment des articles pour expliquer que même en cas de désastre absolu, Borthwick était invirable. Les indemnités auraient été trop onéreuses pour les pauvres finances de la RFU qui avaient dû déjà assumer le licenciement d’Eddie Jones. Le genre d’information qui vous met le moral au beau fixe… Mais l’ancien deuxième ligne de Bath, d’un flegme à toute épreuve, n’a pas réagi, sinon pour dire que tout finirait par s’arranger. Il a en plus enchaîné avec un début de match catastrophique contre l’Argentine et la sévère expulsion de Tom Curry. Mais le plus incroyable, c’est que ses prédictions se sont réalisées, les Anglais sont à ce jour la seule équipe invaincue de la compétition.

Au-delà des rivalités historiques, le parcours des Anglais présente un côté positif, presque réjouissant. Il tord le cou aux grands discours sur les préparations à long terme, les programme aux petits oignons planifiés sur quatre ans à la minute près. Les Anglais se retrouvent en demie au prix d’une somme incroyable d’improvisations et de coups de barre à vue en frôlant des récifs. Erasmus provoque les événements, Borthwick s’y adapte, l’opposition de style a de la gueule.

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