France - Afrique du Sud - " Requiem for a dream" : au bout du suspense, comment la France a dit adieu à son rêve
C’est une désillusion majuscule, une claque sans précédent que nous avons tous essuyée dimanche soir, au Stade de France. Dans quel état déplorable le rugby français va-t-il demain se réveiller ?
Tout ça pour ça, mon bon peuple… Tout ça pour terminer fessés, fourbus et au même niveau de compétition que les équipes de France en haillons ayant précédé, en 2015 et 2019, la bande à Galthié. Par « tout ça », on entend d’abord la débauche d’énergie investie dans ce match de barjots et qui eut, au moins en première période, la beauté du diable. Mais on entend aussi les millions d’euros investis par la FFR et son principal mécène Mohed Altrad dans un staff de quasiment trente individus, ce commandement de pointures qu’on ne rémunère pas avec une poignée de mains, une tape dans le dos et des flocons d’avoine.
Aussi, cette convention renforcée avec la Ligue et les clubs pros, lesquels ont depuis quatre ans accepté mille sacrifices pour offrir aux internationaux français un confort de travail qui n’avait jamais existé auparavant. Passé cette cruelle défaite, cette claque majuscule, les divers pourvoyeurs d’internationaux continueront-ils de supporter l’effort de guerre qui leur semblait nécessaire pour un Mondial à la piaule, quand l’effort en question leur imposa souvent de jouer en Top 14 ou en Champions Cup sans leurs salariés les mieux rémunérés ? On est en droit d’en douter…
Jamais donc, avant l’ère Galthié, une équipe de France n’avait évolué dans un contexte aussi favorable et, en observant le champ de ruines auquel nous abandonne aujourd’hui ce voyage en classe business, on en vient à se demander si le Coq n’est finalement plus à l’aise lorsqu’il chante les pieds dans la merde. Doit-on, pour autant, tout brûler ? Et la désillusion doit-elle faire revenir dès demain le rugby français au système archaïque qui l’enferma dix ans durant dans une brave médiocrité ? D’évidence, non. Car ce match magnifique, inoubliable, peut-être plus beau encore que celui l’ayant précédé la veille entre l’Irlande et la Nouvelle-Zélande, ne s’est joué à rien, peuchère…
On peine à le croire, on peine à l'écrire, les Bleus sont éliminés de leur Coupe du monde en quart de finale. Pour un point.#RWC2023 #FRAvRSA pic.twitter.com/foZbfedtiN
— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) October 15, 2023
À qui la faute, alors ?
À l’heure d’un premier bilan dressé sous les gifles de l’émotion, il n’est donc pas question de jeter ces gens qu’on a tant aimés au bûcher. Il ne s’agit pas, non plus, d’offrir en pâture aux tribunaux populaires des coupables, des responsables ou des hérétiques, appelez-les comme vous voudrez. Mais puisque tout s’est terminé dans un torrent de larmes et un bain de sang, interrogeons-nous : où diable ces hommes-là se sont-ils trompés ? Où donc a pu merder cette aventure que l’on nous avait promise épique, sublime, inoubliable ? Et à bien des égards, celle-ci ne prit-elle pas un mauvais tour dès ses prémices, à savoir au fil de la préparation estivale ? De fait, le staff des Bleus nous avait vendus que le pack tricolore, le plus lourd de la compétition, devait suer sang et eaux, passer par un affinage en règle pour répondre au volume, à l’intensité que proposerait nécessairement cette Coupe du monde. De match à plus de trente minutes de temps de jeu effectif (la routine du ventre mou du Top 14, en définitive), il n’y eut pourtant guère en phase préliminaire et, passé la désillusion sud-africaine, on se demande simplement si le fait d’avoir poussé les plus forts tonnages du groupe français jusqu’au point de rupture (Paul Willemse, Julien Marchand, Jonathan Danty, Romain Taofifenua et Cyril Baille ont tous flanché au moins une fois ces dernières semaines) était vraiment le juste choix. On se demande si dans le combat de chiens auquel se résume inexorablement le rugby, il n’eut pas été préférable de pouvoir compter sur des hommes assis sur leurs certitudes, dont une supériorité naturelle sur les autres quintaux de la planète.
Le pire, c’est pour tout de suite
Mais le pire ? C’est pour tout de suite. Le pire, c’est de tenter, en fait, de dissimuler des envies de meurtre en entendant cette phrase, la phrase la plus con du monde : « Détends-toi, ce n’est que du rugby…» Que du rugby ? Mais que voulez-vous dire, nom de Dieu ? Qu’il existe, à l’instant T, douleurs plus immondes que celle que nous sommes en train de vivre ? Parce que là, en observant du haut de notre promontoire ces Tricolores assis, défaits, détruits sur la pelouse du Stade de France, je ne vois rien de pire que ce coup de sifflet final semblable à un uppercut, rien de plus horrible que ce grand coup de schlass qui me perce le cœur et, en un même mouvement, celui des 80 000 gonzes assis à mes côtés et des quelques millions d’autres ayant réduit en charpie la toile grise de leur futon… Une évidence, enfin, me saute à la gorge : les lunettes de Galthié ne furent finalement conçues que pour dissimuler des larmes…
Puisque ce n’est pour vous « que du rugby », il vous faudrait ainsi considérer le vide auquel nous sommes aujourd’hui tous abandonnés, fouiller nos entrailles et voir comme elles vrillent, se tordent, sous le joug de cette émotion si brutale qu’on ne sait pas vraiment si l’on s’en relèvera un jour. C’est physique, putain. Et c’est à vos yeux irrationnel, absurde, démesuré ? Probablement. Et après ? Allez faire comprendre à un môme de 10 ans que le père Noël s’est cette année malencontreusement trompé, que sa console de jeux arrivera à n’en pas douter l’année prochaine et que « dans la vie, il faut savoir attendre ». Allez nous faire entendre qu’en 2027, soit dans quatre foutues années, Antoine Dupont et ses gonzes n’auront pour la plupart que 30 ans et qu’en ce sens, l’espoir d’un premier titre mondial demeure. Et si ce n’est pour vous « que du rugby », c’est pour nous quelques secondes d’une indicible violence… C’est tout un pan de vie qui soudainement s’effondre…
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