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Coupe du monde de rugby 2023 - France - Afrique du Sud : Apocalypse now, les Bleus sont-ils suffisamment armés ?

Par Marc Duzan
  • Uini Atonio face aux Boks en novembre 2022.
    Uini Atonio face aux Boks en novembre 2022. Icon Sport - Icon Sport
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Ce dimanche soir, le XV de France pénétrera dans une zone de turbulences qu’il n’a jamais connu jusqu’alors. Est-il suffisamment armé pour y survivre ?

Des pas qui résonnent dans le tunnel, nos cœurs qui battent à tout rompre et l’ombre des Springboks qui se détache d’abord à la lueur de la lune, puis dans un brasier de fin du monde. Ça y est : les champions du monde sont en ville et à l’évidence, leur seule présence s’accompagne chez nous tous d’une peur irraisonnée, d’une crainte qui n’existe pas, ou moins, lorsque le XV de France s’attaque à d’autres cadors du circuit international. "Les Sud-Africains ont toujours été violents, nous disait récemment Imanol Harinordoquy. Ils sont au maximum de l’intensité que l’on est en droit de mettre sur un terrain de rugby." Et à ce titre, on a tous gardé à l’esprit la dernière fois où la bande à Galthié avait croisé la route des titans de Rassie Erasmus et de son "Dimitri Medvedev" en sélection, le marmoréen Jacques Nienaber : c’était à l’automne 2022, au stade Vélodrome de Marseille et ce soir-là, les Bleus avaient ainsi gagné, sur le fil et au gré d’un improbable fait de jeu (l’essai litigieux de Sipili Falatea) un match qu’ils auraient probablement dû perdre dix fois tant les Springboks, pendant plus d’une heure et malgré un carton rouge, avaient secoué, malmené et torturé ce XV de France qui termina d’ailleurs le crash-test en question lesté de deux blessés graves, Cyril Baille et son entrecuisse ouverte sur les entrailles, Jonathan Danty et le plancher orbitaire défoncé par un coup de tronche d’un autre temps…

Les sanglantes légendes sud-africaines

On s’était dit, alors, qu’il faudrait aux Bleus être cent fois plus forts, le jour où ils croiseraient à nouveau la route des Sud-Africains. On s’était demandé, aussi, s’il resterait à l’équipe de France des hommes debout, vivants, si par bonheur elle parvenait à vaincre cette Afrique du Sud qui, après avoir passé trente points aux All Blacks cet été, n’a perdu le choc de cette première phase de Coupe du monde (face à l’Irlande) pour la seule et unique raison d’avoir choisi de disputer le sommet en question sans un buteur digne de ce nom…

Les Springboks sont donc en ville et avec eux, le cortège funèbre, tissé dans l’étoffe des plus vieux mythes du pays, qui flanque généralement leurs bottes de sept lieues. La plus célèbre de ces légendes ? Elle ressuscite à l’envi l’étrange aventure d’Andy MacDonald, pilier des Boks dans les années 60 et qui, menant un soir d’été son troupeau vers les plateaux du High Veld, croisa le chemin d’un lion de 180 kg. Dans le combat qui l’opposa à la bête, MacDonald perdit une oreille, deux doigts et plus tard, son corps fut bel et bien recouvert de quatre cents points de suture. Mais il parvint aussi à prendre la vie du fauve et à sauver la sienne. Un autre des mythes qui jalonne le rugby sud-africain atteste que Tiaan Strauss, numéro 8 des Springboks dans les Nineties, avait quant à lui élaboré une drôle de façon de travailler sa défense : "Je montais à l’arrière de la moto d’un voisin. On suivait les troupeaux de gnous, j’en visais un et lui plongeais dans les pattes pour le faire tomber. Les fermiers me payaient pour ça. Ma méthode leur revenait moins cher que celle d’endormir les bêtes avec des sédatifs." Ô misère…

Les Springboks sont en ville et, la ceinture de champions du monde toujours fermement vissée à la taille, ils ont d’ores et déjà promis l’enfer aux Coqs français, desquels Erasmus regrette la propension à "simuler" l’attentat, dès lors que l’adversaire appuie un poil trop son plaquage. Dans le sillage du bon Rassie, la presse sud-africaine fait même ses gorges chaudes du dossier médical d’Antoine Dupont : ici et là, on place ainsi le capitaine tricolore en franche opposition avec le bréviaire du module "Santé du joueur" édicté par World Rugby, on ironise sur la situation d’un joueur autorisé à combattre trois semaines seulement après avoir été opéré d’une fracture de la pommette et, cultivant aussi un délicieux paradoxe, on jette finalement un voile pudique sur la non-conformité du sport sud-africain vis-à-vis du code mondial de l’antidopage. C’est que la guerre est lancée, bonne mère. Et chez nous, on brûle aujourd’hui de savoir si ces Tricolores convaincants contre les All Blacks lors du match d’ouverture, étincelants vendredi soir face à l’Italie et assis sur un bilan éloquent (80 % de victoires depuis trois ans) sont en capacité de répondre ou non à ce rugby d’apocalypse que s’apprête à déverser sur eux l’Afrique du Sud ; ce rugby "qui sort de l’écran pour nous rentrer dans la gueule", disait naguère Pierre Mac Orlan.

Le "bomb squad" de Rassie

À l’heure des braves, mille questions se bousculent ainsi dans nos têtes. La doublette composée de Thibaud Flament et Cameron Woki est-elle assez robuste pour survivre à l’agression perpétuelle à laquelle elle est promise demain ? De son côté, Antoine Dupont ne craindra-t-il pas d’y laisser l’autre partie du visage, au moment où il se jettera dans les jambes d’Eben Etzebeth ou Jasper Wiese ? Et puis, la grosse caisse de Julien Marchand ne manquera-t-elle pas démesurément au groupe France, quand il s’agira de répondre à l’heure de jeu aux contre-rucks du "bomb squad" sud-africain ? Et enfin, Matthieu Jalibert, si facile face à des oppositions moins féroces, trouvera-t-il en lui les ressources nécessaires pour repousser Damian De Allende, lorsque ce trois-quarts centre pesant trois Jo Maso déboulera sur lui ? On ne sait pas. On demande et on s’accroche, en fait, à l’idée que le pic de forme des Bleus a été calculé pour tomber précisément ce week-end ; au refrain que la "rush défense" sud-africaine a ses carences, dès lors qu’on l’attaque dans les couloirs ; ou à l’espoir que Grégory Alldritt, le char d’assaut de cette équipe de France, puisse dimanche soir drainer l’entièreté des Tricolores dans son sillage meurtrier…

On n’est pas fataliste. On a simplement vu, comme vous, les Springboks secouer les Irlandais en tous sens, il y a dix jours. On ne vend pas non plus la peur. On se dit juste qu’en sortant Handré Pollard du formol, les champions du monde renoueront avec le culte de la force qui leur sied tant, depuis 2019. Mais "le tirage au sort a fait son boulot, disait de son côté Fabien Galthié. À nous de faire le nôtre". Parce que tout ne peut déjà s’arrêter, n’est-ce pas ? Parce qu’on ne saurait terminer cette odyssée jonchée de trente-cinq victoires en quarante-trois matchs la gueule fracassée contre un platane et au même stade de la compétition que lors des deux éditions précédentes, pas vrai ? C’est que ce quart de finale, qu’on imagine figé dans la glace et plutôt frugal en termes de batifolages, se jouera nécessairement en son terme sur une babiole, un fait de jeu, une insignifiance. Le pire ? C’est que la broutille en question aura le pouvoir - dans ce cas de figure tragique et que l’on n’ose encore imaginer sous nos latitudes - de transformer subitement les héros en salauds et déclencher à l’intérieur de nos frontières une chasse aux sorcières qui ne se justifierait probablement pas, au vu de ces quatre années de joie pure. Dès lors ? Protégez-nous, protégez-vous de tout ça, garçons. Et touchez l’infini, les petits… L’au-delà attendra…

* L’apocalypse, maintenant

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Les commentaires (3)
Kerneckk Il y a 6 mois Le 15/10/2023 à 13:26

Bel article, très bien écrit, merci Marc Duzan!
Et ce soir, je serai fébrilement devant ma télé en espérant que notre XV de France sera au niveau où il faudra qu'il soit pour battre les SudAfs.
Et surtout, qu'il sera aussi habité au delà du sport, parce que sa mission est de mettre raccord sa mission avec son destin.
J'ai peur pour ce soir, mais j'ai confiance aussi dans l'immense qualité de nos joueurs et de son staff.
Allez les Bleus!!!

Bokke2023 Il y a 6 mois Le 15/10/2023 à 15:17

Traiter Nienaber de Medvedev, vues les positions récentes de ce dernier dans le contexte actuel, c'est d'un goût plus que très douteux !!! Un peu insultant même.
Les Boks sont amputés de cadres plus qu'incontournables (Marx, Mapimpi et dans une moindre mesure Pollard et Am), Libbock en 10 en est un symptôme flagrant. On a de l'autre côté une belle EdF, en confiance, devant son public (et les bookmakers sont formels) donc un article facile. Si la France perdait l'article dit d'ores et déjà ils étaient trop gros, si la France gagnait l'EdF est la meilleure des meilleurs (oubliant comme beaucoup dans les différents forum il reste un gros de gros qui a fait sa démonstration hier soir).
Allez mes Boks donnez donc raison à ce journaliste, nous sommes terrifiants... et donc redoutables. Bokke, bokke, bokke !

JiaimeP Il y a 6 mois Le 15/10/2023 à 12:15

La chanson d'intro du film Apocalypse Now c'est "this is the end" des Doors. Eh ben oui ce sera vrai pour la moitié des joueurs