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Coupe du monde de rugby 2023 - Exclusif. "À l’international, la France ne pèse plus", peste Florian Grill

Par Léo FAURE
  • "À l’international,  la France ne pèse plus" "À l’international,  la France ne pèse plus"
    "À l’international, la France ne pèse plus" Abaca / Icon Sport - Abaca / Icon Sport
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Florian Grill - Président de la FFR. Profitant de la Coupe du monde, il écume les réunions pour tenter de redonner au rugby tricolore son influence sur l’échiquier mondial. Il évoque également les positions de la France sur les dossiers chauds du moment et, bien sûr, le quart de finale qui se profile pour le XV de France.

Le président de la FFR que vous êtes doit vivre cette Coupe du monde comme un enchantement…

C’est exactement le mot qui convient. Les valeurs de notre sport n’ont jamais été aussi bien mises en avant. Ce qu’il m’importe de dire, c’est que ce qu’on voit dans les stades de la Coupe du monde existe aussi au niveau local. Ces ambiances, ces moments de convivialité, le public peut aussi les retrouver dans nos 1 950 clubs, au quotidien.

Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de cette phase de poules, quelle serait-elle ?

Les enfants au milieu du terrain, avec leurs papas, à la fin des matchs. C’est contraire aux règles de World Rugby, qui a finalement accordé une tolérance et je trouve cela très bien. Ces enfants qui courent au milieu des joueurs, c’est la bonne image que doit envoyer notre sport. Je pense aussi à ces joueurs qui ne quittent pas les stades après les matchs, au public qui reste aussi en tribunes, à ces Marseillaises chantées dans tous les stades, à la victoire des Portugais en clôture. J’ai mille images qui me font briller mes yeux. Je pense aux Roumains, en visite dans un hôpital et qui, plutôt que de signer des autographes aux enfants, ont demandé des dédicaces aux enfants avec ces mots : "les stars, c’est vous !". Voilà. Ces images disent tout du rugby, de comment ce sport aide à construire de belles personnes. Je suis aussi impressionné par la résilience de nos Bleus. Les Marchand, Dupont, Jelonch… Leur combativité pour revenir en forme et en jeu montre leur attachement à ce groupe et son esprit. Sur la manière de persévérer et de se battre pour un groupe, cela passe des messages positifs dans le public.

L’ancien capitaine des Pumas Agustin Pichot livre ses impressions sur la première phase de la Coupe du monde et s’interroge sur une politique internationale qui, selon lui, met un terme brutal au développement des nations émergentes…

Ses propos > https://t.co/5RCBOox16Y pic.twitter.com/jW4rr60zWz

— Midi Olympique (@midi_olympique) October 12, 2023

Que changerait une élimination des Bleus ce dimanche, pour les lendemains de votre fédération ?

La France s’est prise de passion depuis un mois pour nos Bleus. Ils sont très suivis depuis longtemps mais ces dernières semaines, on a senti une montée en puissance. Désormais, c’est toute la France qui pousse derrière eux. En ce sens, cette Coupe du monde est déjà une réussite. Mais je veux aussi leur enlever de cette pression : ils jouent pour eux. Ils s’entraînent depuis quatre ans pour vivre ce moment et il leur appartient. Qu’ils le jouent pour eux, pas pour sauver la patrie ou la fédération. Les joueurs et le staff méritent de vivre ce moment pleinement.

Cela ne répond pas à la question des impacts d’une éventuelle défaite, sur les finances ou le gain de licenciés espérés. Les avez-vous quantifiés ?

Nous ne l’avons pas quantifié de façon aussi formelle. Il y a aura un petit impact financier, mais ce n’est pas un enjeu central. Sur les licenciés, nous connaissons déjà une hausse de 10 %. Est-ce qu’une défaite dimanche altérerait cette dynamique ? Je ne crois pas. Les bons messages sont déjà passés sur le rôle éducatif et sociétal du rugby. Je rappelle qu’en France, notre sport est le 2e en termes de médiatisation mais seulement le 10e du point de vue du nombre de licenciés. C’est notre paradoxe et cette équation que doit résoudre notre fédération.

Et sur le plan de l’enthousiasme, de façon moins pragmatique, craignez-vous une élimination précoce ?

ça serait évidemment très triste mais cela ne changerait rien au rugby. Cela resterait dans la logique de la vie d’un sport, avec un vainqueur et un vaincu. Ce qui a été construit perdurera.

Quelle relation entretenez-vous avec le sélectionneur ?

J’ai une profonde admiration pour le travail accompli avec cette équipe. J’ai appris à découvrir à Fabien depuis quelques semaines et je suis impressionné par son approche scientifique, sa maîtrise des datas dans tous les aspects, sa volonté de tout suivre et tout maîtriser. Humainement, il a réussi à créer un groupe qui fait bloc. C’est très fort et je crois qu’on n’a jamais vu ça pour un XV de France en Coupe du monde.

Effectivement, la France était plus réputée pour ses Coupes du monde chaotiques…

On a tous en tête des Coupes du monde où chacun tirait dans son sens et cette fois, il n’y a pas eu de mauvaise compétition en interne. J’y vois la patte d’un grand manager. Il doit gérer de très fortes individualités et il réussit la prouesse de créer un contexte où le groupe surpasse ces individualités. C’est très fort.

La semaine dernière a été riche en réunions du côté de World Rugby : y avez-vous assisté ?

Disons qu’il y a un mélange de réunions officielles et de plein d’autres réunions, plus officieuses…

World Rugby avance sur la refonte des calendriers.
L’objectif : aligner (enfin) les calendriers internationaux de l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud et les alléger, afin de favoriser le repos des joueurs \ud83d\udc47https://t.co/ADxy6WseRh

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) October 10, 2023

C’est une habitude du monde du rugby…

Voilà. C’est beaucoup de "small talks" comme disent les anglo-saxons, des discussions parallèles. Pour les neuf réunions officielles, Jean-Marc Lhermet, Brigitte Jugla et Abdelatif Benazzi représentaient la France. Ensuite, pour les autres échanges plus informels, nous sommes un petit bureau très actif.

Quel message voulez-vous porter ?

Expliquer la singularité du modèle français mais surtout sa réussite, avec un mélange de rugby de clubs professionnels, représentés par la LNR et le rugby fédéral, qui va des équipes de France au monde amateur. Ce modèle ne doit pas faire peur et d’autres devraient même s’en inspirer : c’est le message que nous souhaitons faire passer. Nous le faisons d’une seule voix : FFR et LNR ensemble.

Quelles sont vos relations actuelles avec la Ligue ?

Très bonnes, justement. J’y mettais deux préalables : d’abord, que la LNR n’augmente pas son salary cap.

Pourquoi ?

Sinon, il étouffera les fédérations étrangères en même temps qu’il étouffera le rugby dans nos villes moyennes, nos bastions. Si on augmente, on écrase tout le monde et on brise l’équilibre mondial du rugby. Soyons honnêtes : nous sommes déjà en situation très dominante, presque de non-concurrence. Les autres fédérations regardent cela d’un œil très inquiet. Les gens de la LNR à qui je parle comprennent bien cette situation et cette défiance à leur égard. Il ne faut pas que notre rugby français vive au-dessus de ses moyens, et surtout pas qu’il asphyxie la concurrence. Ce serait néfaste pour tout le monde.

Quel était l’autre préalable à votre position commune avec la LNR ?

Que le modèle des Jiffs soit maintenu à tout prix. C’est déterminant. Le succès actuel du rugby français réside ici. Ce fut une décision remarquable pour notre rugby. Il ne faut pas y toucher.

L’ouverture des Coupes du monde à 24 nations est sur la table : quelle est la position de la France ?

La France dit "pourquoi pas" mais à plusieurs conditions : la première, c’est l’accompagnement des nations émergentes.

Et l’autre ?

Elle touche à la santé des pratiquants. Pour l’instant, les débats tournent uniquement autour des jours de repos des joueurs. Pour moi, ce n’est pas l’alpha et l’omega. Je veux trois choses préalables à la validation par la France de ce projet de Coupe du monde à 24 : l’abaissement de la hauteur réglementaire de la ligne de plaquage ; l’application stricte des règles de protection des joueurs par les arbitres - ce n’est aujourd’hui pas toujours le cas ; l’application stricte des sanctions par les commissions - là encore, ce n’est pas toujours le cas. Ces sujets doivent être sur la table autant que les jours de repos et je regrette que la voix de la France ne soit pas assez entendue à l’international. L’évolution du rugby, ce n’est pas que du business.

Revenons aux nations émergentes : l’édition en cours de la Coupe du monde a exposé aux yeux du monde un plateau très hétérogène…

J’ai trop de respect pour ces "petites" nations pour prendre ça à la légère. Elles ont tout simplement besoin qu’on les aide.

En leur ouvrant l’accès au Tournoi des 6 Nations ?

Je suis contre l’ouverture du Tournoi.

Vraiment ?

Le 6 nations, c’est un mythe auquel on ne touche qu’avec des gants blancs et une grande précaution. J’entends aussi qu’on pense à intégrer l’Afrique du Sud ? Ce serait un non-sens géographique, écologique, économique. Le Tournoi, il ne faut pas y toucher.

Les petites nations réclament pourtant plus de matchs contre les nations majeures…

Il y a d’autres manières d’y parvenir. Par exemple, il faudra des systèmes de montées et descentes dans la future Ligue des nations. Mais ne touchons pas au Tournoi des 6 Nations. Et ces nations n’ont pas seulement besoin d’une aide sportive…

Quoi d’autre ?

Les pays phare, dont la France fait partie, doivent assumer leur part de responsabilité avec une logique de proximité géographique et de zone d’influence. Je crois que la France a un rôle important à jouer pour le développement du rugby en Afrique et en Europe, dans les nations qui ne disputent pas le Tournoi. Les Australiens et les Néo-Zélandais doivent s’intéresser à l’implantation du rugby en Asie. L’Argentine doit regarder et aider les autres pays d’Amérique du Sud.

N’est-ce pas le rôle de World Rugby, plutôt que celui des nations ?

World rugby n’en a pas les moyens.

Soyons sérieux : World Rugby va s’asseoir sur un joli trésor, en héritage de cette Coupe du monde 2023 en France…

Mais toutes les fédérations supposées riches sont en difficultés financières ! Toutes, y compris la France, même si cela nous touche de façon plus modérée. Le "pactole" que vous évoquez va surtout servir à boucher les trous des grandes fédérations. Ensuite, il ne restera plus grand-chose pour le développement du rugby.

Concrètement, que peut faire la France pour ces pays émergents ?

J’ai 160 CTC (conseillers techniques de clubs). Il faut leur permettre de passer dix jours en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou à Madagascar pour former des éducateurs sur place. Ce pourrait être une respiration hyper intéressante eux et pour les pays qui les accueillent, un gain considérable en compétences. On peut jumeler des Ligues régionales avec ces pays, embarquer des clubs dans ces échanges, travailler avec des associations. Il y a énormément de choses à faire.

Un apport humain de compétences, donc ?

Financier aussi. On travaille beaucoup avec l’AFD (agence française de développement). On discute aussi avec des entreprises mécènes qui ont des intérêts sur ces territoires, notamment l’Afrique. Aujourd’hui, World Rugby investit 1,5 million d’euros par an pour le développement du rugby africain. Par nos discussions, nous pourrions bientôt lever entre 5 et 10 millions d’euros pour aider le développement du rugby sur ce continent. Et c’est de l’argent qui ne manquera pas dans les caisses de la FFR, puisqu’il ne nous était de toute façon pas destiné.

Et quel gain pour le rugby français, dont vous êtes le patron ?

Nous avons besoin de retrouver de l’influence sur la scène internationale. Aujourd’hui, nous n’avons qu’un seul arbitre de champ à la Coupe du monde. Nous n’avons plus de représentant au board de World Rugby. À l’international, la voix de la France ne pèse plus. Alors, quand je vois que World Rugby n’investit que 1,5 million d’euros en Afrique, d’autres voient une défaillance, moi je vois une opportunité. Si World Rugby ne remplit pas ce rôle, la France peut le fait et retrouver ainsi de l’influence. Si nous ne le faisons pas, nous allons subir des réformes.

C’est irréel : comment la France, première puissance économique du rugby mondial, peut-elle être absente des débats internationaux ?

Il s’est passé ce qu’il s’est passé, je ne vais pas revenir sur les épisodes douloureux que notre rugby a traversés et qui ont éliminé notre représentation dans les instances. Désormais, nous traçons une vision à long terme pour entraîner les gens avec nous.

Vous serez ce vendredi au centre d’une réception organisée à l’Elysée pour les dirigeants du rugby mondial. Quel discours y tiendrez-vous ?

C’est un déjeuner avec une centaine d’invités, dont tous les présidents des fédérations qui disputaient cette Coupe du monde. Nous avons effectué cette demande au président de la République, Emmanuel Macron et il a immédiatement accepté. Cette réception à l’Elysée participe de notre stratégie de reconquête internationale.

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Les commentaires (6)
Djive-ST Il y a 6 mois Le 13/10/2023 à 23:30

Sauf que la France Afrique n'existe plus ! Et lever des fonds c'est un grand risque de les voir corrompus !

CasimirLeYeti Il y a 6 mois Le 13/10/2023 à 21:45

Enfin, un homme qui voit loin, il a compris le "soft power", les "small talks", le "boycottage", le "lobbying" , toutes ces méthodes douteuses, "borderlines" qu'utilise le monde anglo-saxon pour asseoir et assurer sa domination sur le monde ! Aidons les autres nations émergentes d'Europe, d'Afrique, faisons des matchs avec les barbarians, des équipes b ou C, des équipes espoirs voire des moins de 20... Diffusons notre compétence. Elles nous aiderons après, à WR, pour freiner le rouleau compresseur, la pompe à fric ultra-libérale qui ne soucie que de sa clique. Cf. les fédés du commonwealth et des states et l'état de leurs finances. ce sont des rapetous, ils viennent, ils braquent et ils se cassent ! C'est le long terme qui nous sauvera, on ne pourra compter que sur nous, les non-brittons.

fojema48 Il y a 6 mois Le 13/10/2023 à 19:47

Avec Macron ? Donc je n'irais pas !!!

DonBillydeParis Il y a 6 mois Le 15/10/2023 à 06:57

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