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XV de France - "Devoir de mémoire" avec Cameron Woki, un reportage exclusif Midi Olympique

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Au printemps dernier, le deuxième ligne du XV de France Cameron Woki, seul joueur français à avoir été titularisé sur les quatre matchs de la phase de poule, est retourné sur les bancs de l’école, à la rencontre d’une classe de CE1 de l’école primaire Henri-Wallon de Villiers-le-Bel. D’autres auraient refusé. Lui, non. La raison ? Le devoir de mémoire et Son désir de partager et de transmettre son vécu. Celui qui a grandi entre Pantin et Bobigny, un environnement similaire situé à quelques encablures de là, n’a pas hésité une seconde à l’idée de consacrer un peu de son temps à ces gamins qui grandissent dans un milieu défavorisé et dont l’institutrice n’est autre que son premier entraîneur, lorsqu’il a débuté le rugby à l’AC Bobigny 93…

La rétro 2023

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"Ah oui, avec plaisir." Voilà comment Cameron Woki a réagi lorsque lui a été proposée l’idée de donner un peu de son temps pour des gamins vivant dans un milieu difficile. "En plus, si c’est Fanny l’institutrice, c’est encore mieux. Je ne peux pas dire non", a-t-il ajouté. Fanny Griselin fut son premier entraîneur de rugby (lire ci-contre). Le deuxième ligne des Bleus avait alors 8 ans et vivait avec ses parents, son frère Marvin et sa sœur Victorine à Bobigny dans le "9-3". "J’ai quand même pas mal galéré lorsque j’étais jeune, je crois savoir ce que ces petits vivent dans la cité et si je peux leur donner un peu d’espoir, tant mieux. S’ils peuvent s’identifier à moi et se dire que, eux aussi, ils peuvent croire en leurs rêves, ma journée sera alors réussie."

Vendredi 26 mai 2023. Un doux soleil de printemps inonde Villiers-le-Bel, ville d’environ 30 000 habitants située dans la banlieue nord de la région parisienne. Ici, le taux de pauvreté flirte avec les 35 %. Dans le ciel, les avions se succèdent. Les pistes de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle sont proches. En provenance de Paris, le quartier de Puits-la-Marlière, un grand ensemble datant des années 60 aux façades défraîchies et aux fenêtres tapissées de linge séchant au vent, se dresse à l’entrée de la ville. Pour dénicher l’école primaire Henri Wallon, le GPS est impératif. Elle est une véritable enclave au cœur de ce quartier, tristement connu depuis les émeutes de 2007. D’un côté, la cité ; de l’autre des champs à perte de vue. Comme pour mieux illustrer la fracture. Malgré un emploi du temps chargé, à quelques jours d’un barrage de Top 14 contre le Stade français, le Racingman a débarqué peu après l’heure du déjeuner. Ponctuel et souriant. D’abord, il a enveloppé de ses bras longs comme des tentacules celle qui lui a donné le goût du rugby, devenue institutrice, conservant un fort lien pour la balle ovale jusqu’à construire son projet pédagogique autour de la Coupe du monde. Un pari dans une banlieue où le football est roi.

Dans la salle de classe aux murs jaunes délavés, les tenues des gamins témoignent. L’un a le maillot du PSG. L’autre, celui du Real Madrid. Aucun polo de rugby. Ils sont une grosse vingtaine à attendre Cameron Woki sans vraiment savoir qui est-il vraiment. Pourtant, à son entrée, un bruissement résonne. L’excitation est palpable. Comme si la simple visite d’un sportif professionnel leur offrait un instant de répit dans un quotidien parfois morose. Dans leurs yeux, le bonheur s’installe confortablement, l’international français, lui, peine à plier ses 196 centimètres sur une chaise de CE1. "C’est une chance et un plaisir pour moi d’être avec vous, leur confie-t-il d’emblée d’une voix douce. Je suis vraiment heureux d’être là. J’aime ces moments de partage, de transmission." Un propos qui n’est pas sans rappeler le devoir de mémoire cher au sélectionneur du XV de France Fabien Galthié. Et d’ajouter : "J’ai grandi dans le même environnement que vous, dans une cité à Bobigny, puis à Pantin. On ne vient pas du même quartier, mais c’était le même genre d’endroit. Quand je vous regarde, je me revois quelques années en arrière. Et lorsque j’étais à votre place, je n’ai jamais eu cette chance de pouvoir rencontrer ou côtoyer un sportif de haut niveau. Voilà pourquoi je suis là aujourd’hui."

Un véritable "grand frère"

Pour ce rendez-vous, Souhaib, Catherine, Hamza, Nayla, Ferdinand ou encore Rayan ont préparé une interview guidés par leur maîtresse. Chacun d’eux a la charge d’une question (lire par ailleurs). Il y a les timides et les bavards, les érudits et ceux qui ne maîtrisent pas encore parfaitement la langue française. Woki s’adapte. Comme sur un terrain, selon le poste auquel il est aligné. À chaque interrogation, il prend soin d’utiliser une sémantique accessible. Les échanges se font naturels et simples. Woki se mue en grand frère, distille quelques conseils. À la question de Rayan : "Comment fais-tu pour être très fort au rugby", sa réponse a des vertus pédagogiques : "Je m’entraîne beaucoup, j’écoute mes entraîneurs. Comme vous, pour apprendre, vous devez écouter votre maîtresse. Et si vous n’y arrivez pas la première fois, il faut recommencer et s’entraîner encore plus." Il développe : "Tout passe par le travail. Je me souviens de ces journées interminables lorsque je m’entraînais à Massy, que je rentrais chez moi à Bobigny tard le soir et que je devais parfois encore faire mes devoirs et me lever tôt le lendemain matin pour aller à l’école. Ça n’a pas été facile, ni pour moi, ni pour mes parents. Pour eux, l’école était prioritaire. Je n’avais pas le droit de lâcher. Au rugby d’ailleurs, on m’a expliqué que sans l’école, je ne pourrais pas réussir. Ni dans la vie, ni dans le sport." Message transmis. Le natif de Saint-Denis est comme un poisson dans l’eau. Il jongle avec les questions, n’hésitant pas à manier l’humour ou à se transformer en maître d’école. À la question de Wail qui l’interroge sur la difficulté à se retrouver sous un amas de joueurs, il souffle sous le sceau de la confidence : "Parfois, ça fait mal car s’il y a plusieurs joueurs sur moi, ça représente beaucoup de poids. En fait, j’essaie de respirer, de garder mon calme et d’attendre que les joueurs couchés sur moi s’en aillent. Seulement, parfois certains joueurs aiment bien me faire des chatouilles." Et Wail de rétorquer, sourire aux lèvres : "Oh ce sont des tricheurs." Et quand Ketsia lui demande en quelle année il a débuté le rugby, il en profite pour lui proposer une soustraction. "2023 moins 2010, ça fait combien ?" La réponse n’est pas collégiale, mais "treize" est entendu ici ou là. Satisfaction de l’institutrice, félicitée par Woki dans un large sourire.

Un "W" avec les doigts s’il marque un essai

Durant plus d’une heure, et avant une initiation à la balle ovale dans la cour de récréation, l’international français a vraiment joué le jeu et a promis de "rester en contact". Jusqu’à relever le défi proposé par cette classe de leur faire un petit coucou en direct à la télévision. Spontanément, Cameron leur a proposé de faire un "W" avec ses doigts face à une caméra s’il venait à marquer un essai lors de la Coupe du monde. Le "W" de Woki mais aussi d’Henri Wallon, du nom de l’école. Acclamation générale, proposition validée. À l’heure du départ, Cameron Woki n’a pas masqué son émotion. Comme si ce "flash-back" avait ravivé des souvenirs d’enfance enfouis au plus profond de lui. Les étreintes des enfants agrippés à ses jambes trop longues ou les multiples demandes de bisous pour ses joues devenues trop étroites n’ont fait que renforcer son sentiment. Woki a injecté une dose de bonheur à des gamins en quête de modèle de réussite. Mission accomplie. Enfin presque. Avant de reprendre la route, il lâche : "Il faut absolument que je marque un essai dans cette Coupe du monde pour leur faire une dédicace à la télévision."

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Les commentaires (3)
Celte29 Il y a 4 mois Le 26/12/2023 à 16:49

Des lieux défavorisés ?
Ils ont pourtant des stades , des piscines, des cinémas , des centre aérés , des terrains de basket des skate parcs payés par ceux qui paient des impôts .
Les gamins en milieu rural n'ont rien de tout cela. Quand j'étais gamin à cet âge il n'y avait pas de loisir dès 5 ans je travaillais au champs après l'école et tous les week-ends et toutes les vacances.
Devoir de mémoire de quoi ?
Du Wokisme ?

Ninja31 Il y a 4 mois Le 27/12/2023 à 00:36

Bien parlé .

pasali Il y a 6 mois Le 05/10/2023 à 20:27

Vu le titre je croyais qu'il était né dans un camp de concentration, je suis rassuré de savoir que non.
Moi aussi je viens de la "cité" et ce n 'est pas l' enfer non plus il ne faut pas exagérer !