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Coupe du monde de rugby 2023 - Dans le nid des Aigles du Pacifique : reportage avec le Tonga

Par Simon Valzer
  • Dans le nid des Aigles du Pacifique
    Dans le nid des Aigles du Pacifique
Publié le
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À la veille de leur choc contre les champions du monde sud-africains, les Tonguiens nous ont ouvert leurs portes le temps d’une journée. L’occasion de découvrir le quotidien de ces hommes qui, derrière leur étiquette de guerriers polynésiens, sont des individus sensibles et pudiques. Immersion.

Il est environ 9 h 45 quand on arrive, samedi dernier, à l’hôtel Mercure Vieux Port Centre de Marseille. C’est là que les "Ikale Tahi" (littéralement "Aigles du Pacifique") ont élu domicile pour la semaine en vue de leur match contre les champions du monde en titre, les Springboks, prévu le lendemain soir au Vélodrome. Après avoir gravi quelques étages, on arrive à celui réservé au XV du Tonga. Là, on repère assez rapidement Toutai Kefu, aujourd’hui sélectionneur. Toujours aussi imposant du haut de son mètre quatre-vingt-douze, l’ancien numéro 8 des Wallabies (60 sélections de 1997 à 2003), ne dépareille pas au milieu de ses joueurs et seuls quelques cheveux blancs trahissent ses quarante-neuf printemps. L’ancien colosse des Queensland Reds savoure son expresso autant que la vie : "C’est magnifique ici. Et nous venons de passer six jours à Nice. C’était splendide…"

Pourtant, sur le papier, ses Aigles connaissent un Mondial douloureux. La faute notamment à un tirage défavorable qui les a envoyés dans la poule de la mort aux côtés de l’Afrique du Sud, l’Irlande et l’écosse. Résultat, cent quatre points sur les deux premiers matchs (Irlande et écosse), et une troisième défaite contre les Boks. De lourds revers qui montrent encore l’écart séparant le petit archipel polynésien des nations majeures, et ce malgré le renfort des stars mondiales que sont les Piutau, Ahki, Tameifuna, Fifita ou Fekitoa. Bien que frustré, "Kef’" préfère faire contre mauvaise fortune bon cœur. En terminant son café, il jette un œil à sa montre et nous lance : "Désolé je dois y aller, c’est l’heure de notre lotu !" De notre quoi ?

Un "lotu" pour lancer la journée

Dans la minute qui suit, l’ensemble du groupe tonguien se masse dans une petite salle de réunion, et ferme la porte. Quelques minutes plus tard, de puissants et mélodiques chants polyphoniques résonnent. Une demi-heure plus tard, la colonie rouge quitte la salle et Kefu reprend son explication : "Cette cérémonie du lotu fait partie de notre foi et de notre quotidien. Il y a deux choses très importantes pour les Tonguiens : la famille, et la foi. Nous avons tous des religions différentes mais croyons tous en Jésus Christ. On a tous grandi en allant à l’église tous les dimanches. Chaque journée commence par cette cérémonie du lotu où l’on chante et l’on prie, mais pas seulement. À chaque fois, quelqu’un se lève et partage une histoire. Elle n’est pas forcément tirée de la Bible, elle peut être personnelle. Ce peut être une anecdote qui parle de courage, de résilience, de persistance. Elle peut avoir un rapport avec le rugby, ou pas. Parfois, il s’agit d’une personne qui a envie de dire quelque chose qu’elle a sur le cœur. Certains peuvent ainsi montrer une certaine forme de vulnérabilité, mais ce n’est pas grave. Le but est de partager. On fait ça tous les matins et c’est ce qui lance notre journée." Émotifs, ces robustes Tonguiens ? Vous allez le voir…

George Moala, le grand frère

Aux alentours de 10 h 45, la colonie polynésienne prend le bus le Vélodrome, où elle doit effectuer son captain’s run à 11 h 30. Une séance somme toute classique où les coéquipiers de Ben Tameifuna révisent avec application touches, lancements, circulations offensive et défensive pendant que les hors groupe font du physique dans l’en-but. En toute fin de séance, on remarque tout de même deux choses : la première, c’est que chaque joueur se livre à un bon quart d’heure de "bonus" pour réviser ses gammes, comme Pita Ahki et Charles Piutau qui décortiquent leur technique de passe. La seconde, ce sont les petites attentions que les joueurs chevronnés ont pour les jeunes, à l’image du centre George Moala qui conseille les jeunes trois-quarts sur la technique de l’arrachage, ou encore un jeune pilier sur son attitude au contact : "Cette transmission est tellement précieuse, nous confiera plus tard Toutai Kefu. Et je peux vous dire qu’elle dépasse largement le cadre de la technique, des skills et du rugby. C’est une transmission humaine, qui fait grandir nos jeunes joueurs. C’est comme ça que les anciens leur montrent comment un groupe doit fonctionner : avec des joueurs expérimentés qui prennent soin des jeunes, qui prendront soin de leur successeurs à leur tour. Plus on partage, plus on se comprend et mieux on joue au rugby. Ces joueurs montrent l’exemple et montrent au plus jeune comment on se comporte en professionnel."

Habillé en tenue traditionnelle tonguienne, le capitaine et pilier droit Ben Tamiefuna est salué par le Premier ministre tonguien en personne pour recevoir son maillot de match qui lui a été donné par un ancien international, l’arrière Vungatoko Lilo, très ému au moment de s’adresser au groupe. En haut à droite, l’ex-Wallabies Toutai Kefu est devenu sélectionneur des Ikale Tahi. Photo DR
Habillé en tenue traditionnelle tonguienne, le capitaine et pilier droit Ben Tamiefuna est salué par le Premier ministre tonguien en personne pour recevoir son maillot de match qui lui a été donné par un ancien international, l’arrière Vungatoko Lilo, très ému au moment de s’adresser au groupe. En haut à droite, l’ex-Wallabies Toutai Kefu est devenu sélectionneur des Ikale Tahi. Photo DR

Comme ils ne passent que peu de temps ensemble par rapport aux nations majeures, les Tonguiens doivent créer des liens en un temps record : "Nous sommes certes un tout petit pays donc presque tout le monde se connaît", explique le deuxième ligne Steve Mafi, qui fait partie des leaders de vie du groupe. "Mais quand on est ensemble, tout est motif à la compétition et à la rigolade : on crée quatre groupes qui se tirent la bourre toute la semaine sur des épreuves que l’on improvise au jour le jour : concours de jongles avec des balles de tennis, lancers à trois points de basket, baby-foot, tout ce que l’on a sous la main y passe !" se marre l’Oyonnaxien.

Les larmes de Vungatoko Lilo

Vers 17 heures, le hall de l’hôtel Mercure s’anime. Les unes après les autres, les familles des joueurs arrivent. Malakai Fekitoa est le premier à avoir cette chance, et accueille son épouse espagnole accompagnée de ses deux jeunes enfants, de sa mère et de sa belle-famille. Charles Piutau en fait de même. Les joueurs sortent des chambres parfaitement apprêtés : douchés, rasés de près et parfumés, ils portent tous la jupe traditionnelle tonguienne, le tupenu. Certains portent par-dessus le ta’ovala, une épaisse natte tressée tenue par une ceinture appelée kafa. Une tenue formelle pour une cérémonie qui l’est tout autant, celle de la remise des maillots programmée à 18 heures : "C’est un moment très important pour nous, insiste Kefu. Cette fois, on a décidé d’inviter toutes les familles des joueurs. On veut vraiment marquer le coup à chaque test match. On chante notre hymne, on prie et ensuite on remet les maillots. Les joueurs doivent se souvenir de ces moments, qu’ils se rendent compte de l’importance de porter ce maillot." "On a toujours la visite d’un ancien international aussi", ajoute le deuxième ligne Steve Mafi. Pour le premier match, c’était le Sione Kalamafoni, passé par Gloucester, Leicester et aujourd’hui à Vannes. À la veille d’affronter les Boks, c’est l’ancien arrière Vungatoko Lilo qui aura cet honneur. Un homme bien connu dans le championnat français puisqu’il a évolué à Bordeaux, Tarbes et Montauban avant de se retirer du monde professionnel. Voilà deux ans qu’il évolue au centre avec Montech, formation de Régionale 1 non loin de Montauban. Il est accompagné d’un autre invité de marque : le Premier ministre des Tonga en personne, qui remettra avec lui les maillots.

Dans le nid des Aigles du Pacifique
Dans le nid des Aigles du Pacifique

Le choix de Lilo n’est pas dû au hasard : il était titulaire à l’arrière quand, à la Coupe du monde 2007, les Tonga avaient failli faire tomber l’Afrique du Sud (30-25) en poule et se qualifier. Pour le rappeler, un clip compilant nombre de ses "highlights" est projeté au mur. Puis Lilo est appelé à prendre la parole. Un exercice qui, d’emblée, le trouble au plus haut point. Gorge serrée, timbre de voix et menton tremblants, le grand gaillard (1,93 m, 107 kg) n’en mène pas large. Il est tellement pris par l’émotion qu’il peine à articuler deux phrases à la suite, et de grosses larmes qu’il essuie pudiquement commencent à rouler sur ses joues. Comme il s’exprime intégralement en tonguien, on ne comprend pas un traître mot de ce qu’il dit.

Les joueurs, eux, boivent littéralement ses paroles. Devant l’émotion de son aïeul, Vaea Fifita baisse les yeux par pudeur, tandis que Paula Ngauamo fait trembler frénétiquement ses genoux comme s’il voulait jouer le match dans la foulée. Après douze bonnes minutes, Lilo finit par s’asseoir sous les applaudissements nourris de l’assistance. "Je leur ai tout simplement parlé de la chance qu’ils avaient d’être là, de jouer pour cette équipe que j’ai toujours aduler. Et le fait de parler m’a fait remonter de nombreux souvenirs qui m’ont terriblement ému", nous confiera après l’ancien Montalbanais. Comme quoi, il y a bien des cœurs sensibles qui battent derrière ces montagnes de muscles…

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