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Coupe du monde de rugby 2023 - Exclusif. Gaël Fickou : "Avant, il y avait des clans en équipe de France"

  • Coupe du monde de rugby 2023 - Gaël Fickou est le joueur le plus capé du groupe actuel du XV de France
    Coupe du monde de rugby 2023 - Gaël Fickou est le joueur le plus capé du groupe actuel du XV de France Icon Sport - Icon Sport
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Gaël Fickou - Le centre du XV de France est le patron de la défense tricolore et un incontournable du mandat Galthié, depuis trois ans. Alors qu’il dispute la troisième Coupe du monde de sa carrière, Gaël Fickou se livre, évoque son enfance à la Cité Berthe, parle de ses projets personnels, de la "machine" Galthié et de cette équipe de France tranchant tellement avec ce qu’il avait connu auparavant…

Vous racontez votre enfance dans un livre intitulé "Derrière l’Armure" *. À quoi ressemblait alors votre vie, dans le Var ?

À la vie d’un gamin de La Seyne, un gamin de la cité Berthe… Celle-ci avait été créée dans les années 60 pour accueillir les immigrés du chantier naval de Toulon : des Italiens, des Sénégalais, des Maliens, des Portugais ou des Marocains… Ces tours de seize étages ont depuis été détruites : il y avait trop de voyous, trop de trafic…

À ce point ?

Je me souviens des réveils à 5 heures du matin quand la police, dans les étages, faisait exploser les portes à la recherche de dealers ; des types qui se tiraient dessus, aussi, en bas de chez moi… Ce sont des choses que les enfants ne devraient pas voir. Mais je ne suis jamais tombé dans le côté obscur…

Grâce à qui ? Ou quoi ?

Je dois tout à l’éducation de mes parents et à la volonté de ma mère, Annie. Je me faisais d’ailleurs beaucoup chambrer par mes potes, à l’époque…

Pourquoi ?

À 19 heures, il fallait que je sois rentré et que je finisse mes haricots verts quand des gamins de 5 ans traînaient en bas, tout seuls, jusqu’à minuit. Quand je raconte ça, les gens hallucinent mais c’était ça, le quotidien de la cité. C’était la guerre, un vrai délire et malgré tout, on y était heureux : là-bas, toutes les portes étaient toujours ouvertes, on allait chez les uns et chez les autres… […] Lors de la dernière Coupe du monde au Japon, j’ai d’ailleurs reçu un jour sur Instagram un message d’un collègue de la cité Berthe que je n’avais pas vu depuis quinze ans : à l’époque, il habitait au troisième étage et moi au cinquième. Il me contactait pour m’inviter dans la gigantesque boîte de nuit dont il était devenu le propriétaire, au Japon. […] Tu peux venir d’un milieu social compliqué et t’en sortir. Rien n’est jamais figé, dans la vie.

"Danty sera notre pierre angulaire contre les Boks".

Dans la Troisième Mi-Temps post #RSAvIRE, nos journalistes abordent le potentiel quart des Bleus contre l'Afrique du Sud et parlent du rôle fondamental de Danty. pic.twitter.com/KVyDc8SenA

— RUGBYRAMA (@RugbyramaFR) September 28, 2023

Pensez-vous tous les jours à la Coupe du monde ?

Oui ! Mon rêve, c’est de devenir un jour champion du monde. C’est le rêve de tout sportif professionnel. Le fait que l’évènement prenne place en France ajoute du sel à l’histoire : on a le pouvoir de faire quelque chose de grandiose. Il faut y croire.

Vous avez déjà participé à deux Coupes du monde, en 2015 au Royaume-Uni et en 2019, au Japon. Quels souvenirs la première d’entre elles vous laisse-t-elle ?

Je n’y ai pris aucun plaisir. Pour en avoir discuté avec certains de mes coéquipiers de l’époque, je sais qu’ils ont ressenti la même chose : on ne gagnait pas, on jouait mal et on était beaucoup critiqués…

Avez-vous vraiment cru, le jour du quart de finale du Mondial face aux All Blacks (62-13), que vous pourriez remporter ce match ?

(il soupire) Je ne sais pas… À ce moment-là, même les coachs (Philippe Saint-André, Yannick Bru et Patrice Lagisquet, N.D.L.R.) n’avaient pas un discours de rébellion. Ils nous disaient juste : "Ça va être difficile, ils sont très forts ; ils jouent comme ci, ça…" C’était très compliqué…

Après cette rencontre, Pascal Papé avait vidé son sac, disant aux journalistes que le Top 14 et le rugby français ne préparaient pas au niveau international…

Je m’en souviens, oui. Le déclic est arrivé peu après, lorsque Bernard (Laporte) a pris la présidence. Il a changé beaucoup de choses, renforcé la relation avec les clubs pros, offert au XV de France un staff plus complet, plus compétent… Il a fait bouger les lignes…

En quel sens ?

En 2015, beaucoup d’étrangers occupaient les postes clés en clubs : il y avait Morne Steyn au Stade français, Johnny Sexton au Racing, Luke McAllister à Toulouse ou Brock James à Clermont… Les bons joueurs français n’avaient en l’état la moindre chance.

Coupe du monde de rugby - Gaël Fickou lors de la Coupe du monde 2015
Coupe du monde de rugby - Gaël Fickou lors de la Coupe du monde 2015 Dave Winter / Icon Sport - Dave Winter / Icon Sport

Appréhendez-vous l’après-carrière ?

Non. J’ai des sociétés, quelques restos… Je ne serai pas obligé de rester dans le rugby pour vivre.

Vous êtes-vous préparé aux deux mois d’enfermement que vous êtes en train à vivre avec les Bleus, avant le Mondial ?

Oui et non. Au début de ma carrière, les déplacements, je trouvais ça trop cool. Après quelques années, les avions, les aéroports, les hôtels et le reste sont devenus une contrainte. Ça peut donc parfois me saouler, de n’être jamais chez moi. Mais ai-je vraiment le droit de me plaindre ? Qu’on le veuille ou non, on vit une vie de rêve : beaucoup de gens aimeraient par exemple passer quinze jours à Monaco pour préparer une Coupe du monde.

Avec qui partagez-vous votre chambre, en équipe de France ?

Pendant des années, j’étais avec Louis Picamoles. Mais je fais aujourd’hui partie des quelques anciens ayant le privilège d’être tout seul. Antoine (Dupont) est capitaine, donc également seul en chambre. Quant à Uini (Atonio), il est trop costaud pour cohabiter avec qui que ce soit.

Vous êtes, avec 83 sélections, le joueur le plus capé de l’équipe de France actuelle. Vous souvenez-vous de la toute première ?

Oui. C’était en 2013, j’avais remplacé Mathieu Bastareaud pour disputer les cinq dernières minutes d’un France-Écosse (23-16). Je me rends compte, d’ailleurs, que beaucoup de joueurs avec lesquels j’évoluais à l’époque sont aujourd’hui devenus mes coachs, que ce soit William Servat en équipe de France, Dimitri Szarzewski depuis deux ans en club ou Frédéric Michalak, dans quelques semaines.

Votre ami Teddy Thomas disait récemment dans une interview avoir eu beaucoup de mal à vivre avec les attentes que les gens avaient placées en lui, au début de sa carrière. Avez-vous connu la même chose ?

Difficile à dire… Teddy a des qualités que personne n’a, sur la planète rugby. Il prend le ballon, va au bout et je serais incapable de faire la même chose. Mais je suis peut-être plus équilibré, plus complet.

Et pour revenir à notre question ?

Les gens ne comprennent pas, parfois, qu’un espoir comme moi ait pu stagner dans sa carrière. Et puis, il y aura toujours un mec qui ne peut pas te blairer et écrira toujours à ton sujet : "Fickou, il ne vaut rien". Il ne faut pas vivre pour les autres. Il faut être bien dans sa peau, bien dans ses baskets. C’est la base.

XV de France - Gaël Fickou et Teddy Thomas sont de grands amis dans la vie
XV de France - Gaël Fickou et Teddy Thomas sont de grands amis dans la vie Icon Sport - Icon Sport

Ne lisez-vous pas tout ce qui s’écrit sur vous ?

Je ne lis rien, non. Je regarde juste Rugbyrama pour me tenir au courant des résultats, des classements… J’ai besoin d’une soupape de sécurité, en fait. Quand je ne suis pas au club ou en équipe de France, je coupe. Je ne regarde même pas les matchs.

Avez-vous des rituels, avant un match de rugby ?

Oui, beaucoup. Depuis des années, j’ai toujours le même tee-shirt, le même caleçon et les mêmes chaussettes. D’ailleurs, ils ont tous un peu morflé… Ces vieux trucs constituent mon armure, le lien entre le joueur que j’étais et celui que je suis aujourd’hui.

Pourquoi pensez-vous avoir été bien préparés à cette Coupe du monde ?

Parce que Fabien (Galthié) calcule tout, pense à tout… Franchement, ce mec est une machine. Des fois, je me dis : "Mais comment peut-il penser à un truc comme ça ?" On croit parfois que les bons résultats du XV de France sont dus au hasard. Mais rien n’est dû au hasard, en fait…

À ce point ?

Lors du dernier Tournoi, il savait que l’on serait moyens contre l’Italie, trop justes en Irlande mais que l’on serait au top pour le match en Angleterre. C’est la raison pour laquelle il a souhaité quatre matchs de préparation cet été, avant la Coupe du monde : pour que l’on monte peu à peu en puissance. […] Et puis, il sait être très proche de nous. Il m’appelle souvent pour me poser des questions, pour avoir mon avis sur telle chose, telle autre…

Il a pourtant longtemps eu la réputation d’être un coach plutôt distant vis-à-vis de ses joueurs…

Je sais. C’est ce que j’avais d’ailleurs entendu avant de le côtoyer au quotidien. Moi, j’ai pourtant un super feeling avec lui. Humainement, je n’ai rien à lui reprocher : il est franc, droit, me dit clairement quand j’ai raté mon match mais sait aussi me féliciter dans le cas contraire…

Il y a eu certains débats sur le jeu des Bleus, lors du dernier Tournoi des 6 Nations. Avez-vous eu besoin de crever quelques abcès après la défaite en Irlande (32-19) ?

Non. Nous n’étions simplement pas encore assez "fit" (affûtés, N.D.L.R.) à Dublin. On a eu des retards au placement, des retards au soutien… Mais à la Coupe du monde et après deux mois de préparation, cette différence physique n’existe plus.

Tournoi des 6 Nations 2022 - Les Bleus ont réalisé le grand chelem en 2022
Tournoi des 6 Nations 2022 - Les Bleus ont réalisé le grand chelem en 2022 Icon Sport - Icon Sport

Quelle est la force de cette équipe de France ?

On a créé une famille. Je n’avais jamais ressenti ça avant, même en club.

Cela a-t-il toujours été le cas, en équipe de France ?

Pas vraiment, non… Avant, il y avait les clans de Toulousains, de Clermontois, de Parisiens… C’était spécial, quoi…

Avez-vous des regrets, dans votre carrière ?

Je n’ai aucun regret mais j’aimerais dans le futur gagner plus de titres en club. Je sais que j’ai le talent personnel pour soulever des grandes coupes puisque je l’ai déjà fait avec l’équipe nationale. En fait, je ne suis peut-être pas toujours tombé au bon moment, au bon endroit… Je suis parfois arrivé dans des équipes en reconstruction : les années où j’y étais (2012-2018), Toulouse ne gagnait par exemple pas beaucoup. (il marque une pause) Mais je reste serein, par rapport à tout ça : il y a des mecs extraordinaires, comme Francesco Totti (ancien footballeur de la Roma, N.DL.R.) par exemple, qui n’ont jamais rien gagné avec leur club.

Ne vous êtes-vous jamais dit, ces dernières années : "Je m’éclaterais dans cette équipe de Toulouse" ?

Plein de gars de là-bas m’ont dit récemment : "Pourquoi tu ne reviens pas ?" Toulouse, c’est une super ville, un super club mais j’avais fait mon temps, là-bas. Aujourd’hui, je m’éclate à Paris.

* "Derrière l’Armure", Editions Solar

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Les commentaires (8)
LeGersois Il y a 7 mois Le 30/09/2023 à 17:35

Il a raison sur ce que fait Galthié. C'est un immense coach....Sans doute parce qu'il a été un immense joueur.
Je me souviens de l'équipe de France avant... Il y a un univers entre ce qu'elle était et ce qu'elle est aujourd'hui.

Maintenant, ne souhaitons jamais le retour de Laporte et de sa bande. Qu'ils restent loin de notre sport désormais. Tout le monde ne s'en portera que mieux.
Ce qu'il a fait est inacceptable... Et ce qu'il a fait vivre à Guy Novès, un immense monsieur de l'ovalie, est inadmissible.

Lebasquedu72 Il y a 7 mois Le 30/09/2023 à 00:05

Même si Laporte a un côté voyou on ne peut pas nier qu'il a apporté beaucoup au rugby français en général et au XV de France en particulier...

Rudby19 Il y a 7 mois Le 28/09/2023 à 18:38

Beaucoup de joueurs pensent comme Gaël Fickou et même le staff, le déclic et le retour de l'équipe de France correspond à l'arrivée de Bernard Laporte à la présidence. Gael Fickou explique très bien pourquoi. Il faut espérer que Laporte revienne vite.