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Coupe du monde de rugby 2023 - Edoardo Gori : "Les Italiens aujourd'hui se sentent capables de battre tout le monde"

Par Quentin Put
  • Edoardo Gori, 69 sélections avec l'Italie, va prendre sa retraite à l'issue de la saison.
    Edoardo Gori, 69 sélections avec l'Italie, va prendre sa retraite à l'issue de la saison. - Bpi / Icon Sport
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Celui qui a animé pendant une décennie le jeu de la sélection italienne livre son analyse sur la génération actuelle, qui a changé de mentalité, le sélectionneur Kieran Crowley, et les différences avec ce qu'il a vécu sous les couleurs azzurre. L'actuel joueur de Colomiers annonce aussi qu'il vit sa dernière saison.

Qu'avez-vous pensé de l'Italie en ce début de Coupe du monde ?

C'est pas mal, c'était sérieux. Ils ont manqué quelques petits trucs mais j'aime bien ce qu'ils font depuis qu'il y a Kieran Crowley à la tête de la sélection. Ils jouent, ils tentent et ils mettent en difficulté les autres équipes. Et ça peut être n'importe quelle équipe. Ils arrivent toujours à exister, quel que soit l'adversaire. C'est intéressant par rapport à l'époque où je jouais, quand on ne faisait que des mêlées et des mauls... C'est beaucoup plus agréable de voir un jeu comme ça. Je pense que ça va faire grandir tout un mouvement. Tu n'as pas envie de regarder des matchs qui ne comportent que des mauls et des mêlées. Tu as envie de regarder jouer au rugby.

Estimez-vous que ce qui a manqué à votre époque, c'est de l'ambition dans le jeu ?

Ça n'est pas tellement une question d'ambition dans le jeu, mais on était tellement forts en mêlée... On avait un paquet d'avants très costaud qui nous permettait de rivaliser avec tout le monde. Et c'était une telle force qu'on s'appuyait beaucoup dessus. Mais on ne faisait rien d'autre, du coup on était vraiment faible sur le reste, on n'était jamais dangereux. Oui, on prenait des pénalités en mêlée, mais quand il fallait jouer, on n'était pas capable de le faire. La priorité était toujours de faire déjouer nos adversaires, de détruire le jeu adverse. Et ça n'est pas agréable à faire.

Le sélectionneur Kieran Crowley a fait le pari de faire confiance aux mêmes hommes. Dans le choix des hommes du moins, il est conservateur...

Très conservateur ! Même à Trévise (ils se sont côtoyé de 2016 à 2019, N.D.L.R.), il a son XV et fait toujours jouer les mêmes. Ça marche parce que ça donne de la confiance, beaucoup de confiance, à ceux qui jouent. Ceux qui ne jouent pas en ont un peu moins.

L'éclosion au niveau international de plusieurs joueurs semble lui donner raison...

Pour l'Italie c'est une bonne chose, car notre pays ne compte pas 10 millions de joueurs. Il y a 20, 30 joueurs performants, et ceux-là doivent bénéficier d'une confiance suffisante pour être capable de battre tout le monde. Bien sûr, quand des joueurs se blessent, ça se complique. Mais quelque part ça a du bon.

C'est un constat et un débat que l'on peut appliquer à la France. Après les années 2010 qui voyaient des changements permanents dans la composition, les Bleus sont plus stables...

C'est vrai qu'en France, c'est plus difficile car il y a vraiment du monde. Un joueur joue très bien de septembre à mars, tu le prends pour le Tournoi des 6 Nations. A contrario, quand un cadre ne joue pas trop pour cause de blessure, il ne joue pas... Dans ces cas-là l'équipe change beaucoup et c'est dur de trouver un fil rouge. Là, la France fait jouer les mêmes joueurs. En tout cas, pour les matchs importants, ça ne bouge pas.

L'Italie est-elle donc au meilleur de sa forme dans cette Coupe du monde ?

Sur le Tournoi en tout cas, malgré la dernière place, c'était sérieux. Lors des deux derniers matchs, Ange (Capuozzo) nous a manqués. Car avec lui, on pouvait battre l'Ecosse et le pays de Galles. Il nous manquait ce facteur X, ce petit truc pour faire la différence. Lui la fait tout le temps, contre n'importe qui. Je pense qu'on va être très dangereux. On peut faire peur à tout le monde, même s'il y a beaucoup de différence, on le sait.

Il faut y croire, le rêver 

Même contre les Bleus et les Blacks ?

Mais dans un match tu ne sais jamais, sur quatre-vingts minutes. Si tu joues très bien tandis que les mecs en face ne sont pas en confiance, ou prennent un carton rouge, tu peux gagner contre n'importe qui. Au haut niveau aujourd'hui, c'est le cas. Après il faut qu'on joue à la perfection, qu'on ne manque rien, et que les autres ne soient pas en réussite. Mais on peut gagner. Les garçons dans leur tête commencent à le comprendre et tu abordes les matchs différemment.

Vous revenez souvent à ce changement de mentalité entre votre génération et celle-ci. Qu'en est-il vraiment ?

Je me rappelle très bien que quand on jouait contre l'Angleterre, on savait qu'on allait perdre. Et du coup, il nous était impossible de gagner dans ces conditions. Mentalement, au fond de toi tu sais que tu ne vas pas gagner. Eux, ils sont en train de changer ce facteur-là. Et c'est là que tu deviens dangereux car tu peux faire mal à n'importe qui.

On a beaucoup évoqué le duel entre la France et la Nouvelle-Zélande, qui ouvrait la Coupe du monde, et offrait aux yeux du monde un choc au sommet du rugby international. Mais l'Italie n'est-elle pas capable de créer la surprise ?

Même contre la Nouvelle-Zélande. C'est une période difficile pour eux. Ce ne sont pas les All Blacks d'il y a quatre ans, qui étaient tellement forts sur le terrain et dans la tête. Là, ils commencent à douter, avec le pire match de leur histoire juste avant la Coupe du monde (contre l'Afrique du Sud), ils ont perdu le match d'ouverture... Ces mauvais résultats jouent dans la tête. Certes, on n'a jamais gagné contre eux dans l'histoire mais les joueurs se sentent capables de battre tout le monde. Et ça fait la différence.

Quel est votre pronostic pour le France-Italie qui marquera la fin de la phase de poules ?

Ça va être dur. J'estime que la France va gagner, mais au terme d'un match serré et difficile.

Quel regard portez-vous sur cette équipe de France ?

C'est une équipe complète, qui s'envoie, se fait mal dans les plaquages, dans les ballons portés... Ils font tout pour arriver à gagner la Coupe du monde. C'est une belle équipe et pour l'instant, c'est celle qui m'a le plus impressionné. À la mi-temps, j'ai cru qu'ils allaient exploser. La stratégie des Blacks était de tout jouer et j'ai senti les Bleus exténués en fin de première période. Au lieu de ça, ils sont revenus et ont bien tapé (rires).

Le dernier match entre l'Italie et la Nouvelle-Zélande dans le cadre de la Coupe du monde, c'était au Japon. Il n'avait pas eu lieu, ce qui avait provoqué votre élimination de la phase de poules. Est-ce que ce mauvais souvenir sert de motivation ?

C'est vrai, ça ne s'est pas joué. C'était un scandale. Je ne me fais pas de soucis, on va tout envoyer. On sait que les niveaux sont différents. Il ne faut pas se croire plus beaux qu'on ne l'est. Mais on peut leur faire peur et gagner. Il faut y croire, le rêver.

L'autre jour, j'ai rêvé que j'étais en stage avec eux !

Dans le football, il y a une forte rivalité des Italiens envers les Français. Est-ce que c'est le cas dans le rugby ?

Non, dans le rugby ce n'est pas le cas. En fait, je pense que les Italiens détestent les Français en général (il éclate de rire). C'est bizarre ! Depuis que je suis en France, je me rends compte qu'il y a une vision complètement différente. Nous – parce que je suis italien – avons l'impression que vous faites les beaux, vous êtes hautains et n'êtes pas en compétition avec l'Italie. Ici, on adore l'Italie, on dit que c'est un pays magnifique. Un peu à la manière des Italiens au sujet de la Grèce, pays très beau mais peut-être moins développé. Je ne sais pas si les Grecs nous détestent (il rit) mais l'Italien déteste le Français.

Vous avez pris part aux Coupes du monde 2011 et 2015 (huit matchs, deux essais). Avec quel regard appréhendez-vous cette nouvelle édition, depuis la télévision ?

C'est bizarre, mais ça fait déjà cinq ans que je ne suis plus avec l'équipe. Je n'avais pas participé à la dernière Coupe du monde au Japon. Quelque part, je me suis habitué. Mais c'est particulier quand même. L'autre jour, j'ai rêvé que j'étais en stage avec eux ! C'est inconscient. Il faut dire que la Coupe du monde, c'est beau. Surtout en France, l'atmosphère est très sympa, il y a une très bonne ambiance.

Vous n'aviez plus aucun espoir d'être retenu...

Non. Depuis que je suis en France, je n'ai jamais eu de contacts, ils ne m'ont jamais appelé. Je le savais et c'est normal.

Si je pouvais, je jouerais toute ma vie au rugby

En juin prochain, vous serez en fin de contrat, et âgé de 34 ans. Est-ce le temps de raccrocher les crampons ?

Oui. Je dois voir comment les choses se goupillent mais je pense à l'après. La restauration m'intéresse, et je suis en train de passer mon CAP. La cuisine m'a toujours passionné et j'espère me lancer là-dedans, avec un restaurant italien en France, peut-être dans le Pays basque.. Mes études en école de commerce peuvent m'aider à monter quelque chose.

On sait que vous êtes gêné par une blessure à l'épaule ces dernières années. Est-ce que cela a joué dans votre décision ?

Oui, sans blessure... J'adore le rugby. Si je pouvais, je jouerais toute ma vie au rugby. C'est un style de vie unique que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Il y a des contraintes, c'est sûr, avec les blessures notamment. Au niveau psychologique aussi, tu es sous pression tout le temps, avec un niveau de performances exigé. Tu ne peux pas te permettre de faire une semaine moins bien car d'un jour à l'autre tu es viré. C'est un boulot avec beaucoup de contraintes mais c'est celui que j'aime le plus. Je l'aurais fait toute ma vie. Je crois que c'est un beau moment de ma vie pour penser à des projets différents.

Gori : "Je sais que ce sont les derniers moments, que ça passe très vite donc j'essaie de faire le maximum à l'entraînement, en match"
Gori : "Je sais que ce sont les derniers moments, que ça passe très vite donc j'essaie de faire le maximum à l'entraînement, en match"

Dans quel état d'esprit vivez-vous cette dernière saison ?

J'essaie de profiter de chaque moment avec l'équipe, chaque entraînement. Je sais que ce sont les derniers moments, que ça passe très vite donc j'essaie de faire le maximum à l'entraînement, en match... Même à la salle de musculation, ce matin, j'ai essayé de profiter ! Mon état d'esprit est de donner tout ce que je peux, notamment aux jeunes, à Ugo (Séguéla), à Mathis (Galthié), parce que je sais que ce sont mes dernières cartouches.

Votre entraîneur Julien Sarraute le rappelle souvent, vous avez toujours été dans la transmission...

Moi j'adore ça ! J'aime bien la compétition mais quand elle est saine, entre copains. C'est comme ça que tout le monde s'améliore. Plus on s'aide, plus on est performant collectivement et individuellement. J'ai toujours pensé comme ça.

Justement, est-ce qu'une carrière en tant qu'éducateur ou entraîneur vous intéresserait ?

Je n'ai pas fait la formation en parallèle de ma carrière de joueur parce que d'après moi il faut aussi savoir se détacher du rugby. Revenir au stade un jour me tente beaucoup, surtout pour m'occuper des jeunes. Toutes mes compétences dans la vie sont liées au rugby donc j'aimerais bien les partager. Mais avant ça, j'aimerais évoluer dans d'autres domaines, grandir dans autre chose.

Vous êtes hors-jeu !

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Les commentaires (5)
stef92 Il y a 6 mois Le 28/09/2023 à 16:13

Amusant de lire la même suffisance que celle qu'il décrit...

garsbenvitlierre Il y a 6 mois Le 28/09/2023 à 00:22

Ils peuvent battre n'importe qui,mais ils se font battre par tout le monde au 6 nations.

envoituresimone Il y a 6 mois Le 27/09/2023 à 15:43

Je ne crois pas que les blacks encaissent une seconde défaite en match de poule ou alors ils seront obligés de rentrer à la nage sur leur île.