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Coupe du monde de rugby 2023 - France - Nouvelle Zélande : "Pour battre les All Blacks, ce XV de France n’a pas besoin d’un exploit, il faut juste qu’il joue bien son rugby" déclare Fabien Pelous

Par Léo FAURE
  • "Le haka les transforme en All Blacks"
    "Le haka les transforme en All Blacks" Agence FEP
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Présent en 2007 lors du premier Mondial en France, Fabien Pelous, l’homme le plus capé de l’histoire du XV de France (118 sélections) évoque avec bonheur ce match d’ouverture promis merveilleux, la puissance des Springboks, la sérénité religieuse des Bleus et l’attelage tonique Woki-Flament en deuxième ligne.

Jouer les All Blacks en ouverture de "sa" Coupe du monde : bonne ou mauvaise idée ?

Déjà, la décision de proposer cet affrontement en ouverture ne nous incombait pas, je crois. Je trouve cela bien malgré tout, c’est un match événementiel. Dans l’esprit des Français, les All Blacks représentent quelque chose d’important. C’est bien pour entrer sans attendre dans la compétition. Et puis, disons-le clairement, l’enjeu sportif semble assez moindre. Ce n’est pas couperet. Sans faire injure aux autres équipes de la poule, je serai très étonné que la France et la Nouvelle-Zélande ne soient pas au rendez-vous des quarts de finale. Donc finir premier ou deuxième, je ne suis sûr que cela change grand-chose quand on peut penser qu’il faudra croiser l’Irlande ou l’Afrique du Sud. Difficile de choisir entre la peste et le choléra, pour reprendre l’expression.

S’il n’est pas décisif sportivement, peut-il influer dans les têtes des joueurs pour la suite de la compétition ?

Là encore, je ne suis pas sûr. L’exemple de 2011 nous le montre : en poule, nous avions été nettement battus par la Nouvelle-Zélande et en finale, l’histoire avait été différente. Je veux bien croire qu’il puisse y avoir des ascendants psychologiques mais chaque match a son histoire, son aventure.

Qu’en attendez-vous de ce match alors : du contenu plus qu’un résultat ?

Je n’ai pas dit cela. Gagner, toujours mieux. Il y a beaucoup d’attentes autour de ce match. Si on perd, il y aura une petite cassure au niveau de ces attentes. En revanche, battre les All Blacks au premier match, pour le grand public qui connaît peut-être un peu moins le rugby, ce serait marquant et très incitatif pour suivre ces Bleus pour la suite de la compétition.

Les All Blacks viennent de prendre une rouste face aux Springboks : bonne ou mauvaise nouvelle pour nos Bleus ?

Je ne sais pas dans quelle mesure les Néo-Zélandais sont arrivés tôt en Angleterre. Étaient-ils fatigués par leur voyage ou sujets au décalage horaire ? Pour l’avoir vécu, quand vous vous réveillez à 2 heures au milieu de la nuit, vous êtes nettement moins en forme l’après-midi pour le match (il sourit). Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’il y ait un écart aussi grand entre les deux équipes. Les Springboks m’ont semblé dominer trop largement pour que ce soit l’écart réel.

Physiquement, il a semblé y avoir un monde…

Il faut aussi voir les stades de préparation physique. On peut penser que la Nouvelle-Zélande a plutôt ciblé la deuxième partie de la compétition, avec une qualification pour les quarts de finale qui ne semble pas directement menacée. L’Afrique du Sud ? Elle est favorite de sa poule, c’est sûr, mais elle devra affronter l’Irlande, l’Écosse, qui ne me paraît pas si loin, et même le Tonga, qui semble arriver armé. Ce n’est pas la même histoire. Les Springboks ne peuvent pas avoir négligé leur phase de poule. Ils l’ont certainement intégré dans la planification de leur préparation physique.

Les Bleus sont-ils favoris de ce match face aux All Blacks ?

(Il souffle) Je crois, oui. Depuis deux ou trois ans, la France maîtrise ce qu’elle fait. Elle ne remporte pas tous les matchs mais elle en gagne tout de même beaucoup ! Cette génération peut légitimement revendiquer de vouloir battre les All Blacks sans que ce soit un exploit. Ce n’était pas le cas des générations précédentes, à commencer par la mienne.

Et sont-ils favoris de la compétition ?

Ils sont parmi les quatre, avec la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et l’Irlande. Deux de ces équipes disparaîtront dès les quarts de finale et de l’autre côté, je m’attends à quelques surprises. Les Fidji pour la première fois en demi-finale ? Pourquoi pas. Il faut l’envisager.

Parmi nos trois concurrents "favoris", lequel vous fait le plus peur ?

J’ai peur de prendre l’Afrique du Sud en quarts. Pas pour le match en lui-même, nous sommes capables de le gagner. Mais quoiqu’il arrive, on y laisserait des plûmes et l’enchaînement serait dur. L’histoire des Coupes du monde montre que les équipes qui "surperforment" sur un match ont du mal à enchaîner. Elles le payent généralement derrière. On l’a vu à de nombreuses reprises et encore une fois il y a quatre ans, avec l’Angleterre. Après la demi-finale gagnée face aux All Blacks, ils semblaient imbattables. Ils étaient forts partout. Mais en finale, avec l’usure, l’Afrique du Sud les a fait craquer physiquement.

Au Stade de France, la Coupe du monde sera officiellement lancée par un haka : les Français doivent-ils y opposer une réponse ?

Cela appartient aux joueurs et au groupe. C’est vrai que, généralement, les Français sont assez bons pour ça…

Pour les déstabiliser ?

Pas seulement. Le haka, c’est un moment important pour eux. C’est ainsi qu’ils deviennent des All Blacks. Avant le haka, ils sont des joueurs de rugby internationaux néo-zélandais. Avec le haka, ils se transforment en All Blacks. Mais l’équipe adverse peut aussi y puiser des énergies pour se resserrer. C’est un dernier moment symbolique pour se rapprocher et sentir au plus profond de soi ce qu’on veut leur opposer. Pour renforcer ce sentiment, on peut s’afficher en bleu-blanc-rouge, chanter la Marseillaise ou se disposer en pointe. On l’a déjà fait. Mais un match d’ouverture, est-ce le bon moment pour le faire ? C’est une décision intime, elle appartient au groupe.

Le haka est-il devenu trop scénarisé et moins authentique, entre la gestuelle exacerbée au fil des années et les micros posés pour mieux exposer le "spectacle" ?

Seuls les Néo-Zélandais peuvent savoir ce que l’on ressent au moment précis d’exécuter un haka, avec tout ce que cela implique et ce que cela signifie. Cela dépasse le cadre du rugby, c’est une question de culture. Pour eux, je crois que ce moment reste fort en significations et en émotions. Après, avec les années et la professionnalisation de notre sport, il y a une dimension de spectacle, de divertissement qu’il a fallu intégrer. Mais je ne crois pas que cela dégrade ce moment dans leur ressenti.

Vous avez vécu 2007 et l’ouverture ratée face à l’Argentine : craignez-vous un scénario similaire et un trop-plein d’émotions chez les Bleus ?

Je n’ai pas de crainte. Cette équipe de France me semble hermétique au contexte, à la pression d’un public ou d’un adversaire. Elle est assez adaptable et forte pour que tout glisse sur elle. On a l’impression que ces joueurs arrivent, qu’ils récitent leur leçon avec une grosse envie, qu’ils savent mettre tout l’engagement nécessaire sans que cela soit un moment d’exception. Cette génération française n’a pas besoin de surjouer pour gagner ses matchs, elle ne cherche pas la transcendance. Avant, pour battre les All Blacks, la France était contrainte à un exploit. Pour y parvenir, il fallait aller chercher des énergies enfouies. Mais ce XV de France n’a pas besoin d’un exploit, il faut juste qu’elle joue bien son rugby. Elle peut rivaliser sans avoir besoin de se transcender. Ces joueurs français vivent ces moments avec sérénité. Ils savent ce qu’ils ont à faire. Et ils vont le faire.

En 2007, aviez-vous senti venir ce scénario catastrophe pendant la semaine ?

On se fait beaucoup de fausses idées à propos de 2007. Notre défaite, ce n’était pas face à la pression mais face à l’Argentine ! Une équipe à l’époque très forte et qui nous battait régulièrement. Le scénario de ce match d’ouverture avait été le même que celui des rencontres précédentes, contre eux. Ils savaient nous empêcher de jouer et on ne trouvait pas la clé. Ils l’ont fait encore une fois et durant cette compétition, ils nous battent à deux reprises. La deuxième fois sur un score assez large. Cela veut tout dire.

Les Bleus se présenteront diminués par les absences de Baille, Danty, Willemse, Jelonch et Ntamack. Laquelle est la plus embarrassante ?

Ntamack bien sûr, c’était notre maître à jouer. Mais on s’est fait à l’idée, c’est désormais digéré. Autrement, je pense que la perte de Danty va peser. Pour moi, il est le joueur qui doit se révéler durant cette Coupe du monde. Il est moins connu que les autres cadres du groupe, aux yeux du grand public. Pourtant, c’est un joueur central, de ceux qui vous font gagner des matchs. Sa force de pénétration est évidente mais il est aussi essentiel par sa capacité à récupérer des ballons. C’est une arme clé du rugby moderne. Pour un adversaire, jouer son un-contre-un sur Danty, c’est s’exposer à un risque élevé de perdre le ballon. Il faut mesurer à quel point c’est précieux pour une équipe.

À ce point ?

Notre match perdu dernièrement en Irlande confirme cela (32-19 lors du dernier Tournoi des 6 Nations). Danty était déjà absent et nous n’avions pas réussi à casser les longues séquences de jeu irlandaises. À ce jeu, il aurait été extrêmement précieux pour les Bleus. Et je suis persuadé qu’il sera important pour la suite de notre Coupe du monde

En deuxième ligne, la blessure de Willemse nous contraint à nous présenter avec un attelage Woki-Flament : les Bleus pourraient-ils manquer de puissance ?

J’adore cette configuration, avec des troisième ligne en deuxième ligne. Et donc cinq troisième ligne sur le terrain. Cela permet beaucoup d’activité, un abattage plus important et propose un schéma de jeu différent. Évidemment, si on décide d’attaquer au près, dans un jeu direct, il vaut mieux avoir Willemse ou "Tao" sur le terrain. Mais dans notre configuration, on peut amener l’adversaire sur un terrain de mobilité et de vitesse qui est à notre avantage. C’est une philosophie qui correspond bien à notre équipe de France : elle est très ordonnée mais quand la situation l’autorise à sortir du cadre, ses individualités font de grosses différences sur le déplacement des joueurs et du ballon.

Pas d’inquiétude quant au défi physique, donc ?

On a perdu une corde à notre arc mais notre arc fonctionne encore très bien et peut faire très mal. Il suffit de l’utiliser de la bonne façon, avec un projet de jeu qui correspond à ses forces.

On vous rétorque que pour corriger la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud a eu recours à un paquet d’avants de près d’une tonne et sept avants sur le banc de touche…

C’est louable. Il n’y a pas qu’une seule façon de jouer et de gagner, au rugby. En 2019, les Sud-Africains ont dit à tout le monde : "On va vous dominer physiquement." Ils l’ont effectivement fait. Ce qu’ils proposaient n’était pas très difficile à lire mais très difficile à défendre. Au rugby, quand tu ne résistes pas physiquement, on ne parle plus de grand-chose derrière. On ne parle même de plus rien du tout. Mais ce projet de jeu a aussi des failles. Il appartient aux adversaires de parvenir à faire bouger ces joueurs puissants, à leur imposer beaucoup de déplacements.

En rugby et plus encore en Coupe du monde, la seule vérité qui vaille n’est-elle pas l’affrontement physique ?

Quand vous reculez, mètre par mètre, tout devient compliqué. Mais d’autres façons de jouer peuvent produire les mêmes résultats. Contre ces équipes puissantes, il faut adapter les techniques de plaquage et faire tomber très vite l’attaquant adverse. Les Sud-Africains aiment jouer devant la défense, ou derrière, mais pas dedans. Ils font très peu de passes au contact, il faut donc vite les amener au sol. Ensuite, quand vous avez le ballon, charge à vous de le déplacer pour amener ces joueurs puissants dans un jeu où ils sont moins à l’aise. En rugby, il y a toujours des solutions.

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Les commentaires (2)
brandon_15 Il y a 7 mois Le 08/09/2023 à 20:40

Il ne faut pas oublier que l'équipe de France "est la meilleure du moment". Car elle ne pourra pas compter sur les joueurs éliminés par la préparation hors d'âge de Giraud. Est ce que se sera suffisant pour gagner le 1er match ? les amateurs le souhaite. Giraud s'en fou ! Il a touché le chèque...

Florence701 Il y a 7 mois Le 08/09/2023 à 16:36

Mes chéris, mon abo du 17 août tjrs pas servi le jour d'ouverture de la Coupe du Monde. Peut-être au numéro du 11 septembre. Suis-je naïf d'y croire encore ?