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Coupe du monde de rugby 2023 - Wayne Barnes : "Personne n’a le droit de menacer ma famille"

  • Wayne Barnes s'est longuement confié sur sa vie d'arbitre et les liens avec son autre profession, avocat.
    Wayne Barnes s'est longuement confié sur sa vie d'arbitre et les liens avec son autre profession, avocat. Icon Sport - Icon Sport
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Dans l’histoire, aucun autre arbitre au monde n’a dirigé plus de matchs internationaux que Wayne Barnes (44 ans), plus de cent tests au compteur et aujourd’hui à l’aube de sa cinquième Coupe du monde. Pour nous, le "british referee" raconte non sans humour les bons et les mauvais moments de son quotidien d’arbitre, revient sur l’épisode de "la prise débranchée" du Vélodrome, parle des "canards" français, du "Bronco test" et même de l’en-avant entre Damien Traille et Frédéric Michalak, en 2007 à Cardiff…

Comment avez-vous commencé l’arbitrage ? Et surtout, pourquoi ?

Je viens d’un petit coin de l’Ouest de l’Angleterre, la forêt de Dean, où le rugby est très implanté. Ce n’est pas bien loin de Gloucester, vous voyez ? J’ai donc démarré le rugby tout petit, aux abords de 8 ans. Après ça, j’ai continué quelques années puis j’ai souffert d’une blessure assez sérieuse. On m’a alors interdit tout contact pendant quelques temps.

Et ?

Un ami de mon père, qui était arbitre de rugby, m’a demandé si l’arbitrage pouvait m’intéresser en attendant de reprendre mon sport. […] J’ai commencé comme ça, à peine sorti de l’adolescence : on me donnait 7 ou 8 euros pour le déplacement, une bière après le match et je trouvais ça merveilleux. Dans la foulée, je suis entré à l’université pour étudier le droit (il est avocat, N.D.L.R.) : le samedi, j’arbitrais et le dimanche, je jouais au rugby avec mes potes de fac.

Avez-vous vite évolué, dans la hiérarchie de l’arbitrage anglais ?

À 21 ans, on m’a placé parmi les cinquante meilleurs arbitres d’Angleterre. La RFU m’a alors demandé d’arrêter de jouer au rugby, histoire de ne pas trop m’exposer aux blessures. Mes coéquipiers de la fac, eux, m’ont dit : "Vas y, Wayne ! Ce n’est pas grave ! Tente ta chance !" Je n’ai jamais su comment je devais le prendre ! (rires) On ne choisit pas d’être arbitre, en fait : les autres te font comprendre quelle est l’activité où tu es le meilleur à leurs yeux…

Quel poste jouiez-vous ?

J’étais un troisième-ligne qui ne savait pas plaquer… Toujours est-il que tout a été très vite, après ça. J’ai arbitré mon premier match international en 2006. J’avais à peine 25 ans et je trouvais ça extraordinaire : être au cœur du stade pour les hymnes, entendre la puissance des chocs… Arbitrer, en fait, c’est le deuxième meilleur job, sur un terrain de rugby.

Avez-vous toujours eu de l’autorité sur les autres ?

Je ne sais pas… Dans la vraie vie, je suis avocat et donc habitué à être impopulaire. Mais sur un terrain, je ne pense pas être démesurément autoritaire. Je suis plutôt quelqu’un qui est là pour éviter les conflits. Je suis un facilitateur, quoi.

Les passerelles entre vos deux métiers sont-elles nombreuses ?

Ce sont deux jobs à grosses responsabilités. En tant qu’avocat, il m’arrive d’annoncer à mes clients qu’ils iront en prison et au rugby, mes décisions ont des répercussions importantes sur des milliers de gens… Mais j’essaie toujours d’être le plus diplomate et le plus poli possible, lorsque j’annonce de mauvaises nouvelles.

Avez-vous une routine d’entraînement ?

Oui : des litres de café et deux enfants en bas âge ! (rires) Non, plus sérieusement, je ne suis pas quelqu’un aimant beaucoup transpirer. Mais j’y suis obligé. On s’entraîne donc à Twickenham, les lundi et mardi, avec les autres arbitres anglais : il y a du vélo, de la course, de la natation et un peu de musculation, pour être certain de pouvoir résister à tout contact accidentel, sur un terrain. Mais certains de mes collègues sont de vrais athlètes, vous savez : Christophe Ridley, qui arbitrera cette année plusieurs matchs du Mondial, fait le test du Bronco (enchaînements de courses fractionnées, N.D.L.R.) en 4 minutes et 20 secondes, ce qui est aussi bien que Beauden Barrett ou Antoine Dupont !

Et vous ?

Moi, j’ai 44 ans… Quand je fais 5 minutes au Bronco, je suis content ! À mes débuts, nos préparateurs physiques disaient qu’il était aussi important que l’on fasse des tractions. Mais cela ne m’a jamais trop servi, sur un terrain… J’ai laissé tomber…

Avez-vous des amis, dans le monde du rugby professionnel ?

Oui. Je suis très proche de Romain Poite (ancien arbitre, aujourd’hui membre du staff du RCT, N.D.L.R.), par exemple. […] Il y a quelques années, mon épouse (Polly) s’est également battue contre un cancer du sein et lorsque la bataille s’est enfin terminée, on a décidé de soutenir la recherche. Un jour, j’ai donc organisé un match de rugby entre le club de mon village et mes copains de Londres, l’équipe avec laquelle j’étais supposé jouer cette rencontre. Vu que nous étions quelque peu vieillissants et que je craignais la rouste, j’ai demandé de l’aide à quelques amis du rugby : ce jour-là, nos coachs s’appelaient donc Eddie Jones et Warren Gatland, on avait Phil Vickery (ancien pilier du XV de la Rose, N.D.L.R.) et Ken Owens (capitaine du pays de Galles, N.D.L.R.) en première ligne et Ugo Monye (ancien ailier international, N.D.L.R.) au fond du terrain. On a gagné, je crois ! (rires)

Combien de matchs avez-vous arbitré dans votre carrière ?

Plus de mille, je crois… J’ai arbitré 21 matchs de Coupe du monde, quand les onze autres officiels qui dirigeront l’épreuve en France en ont arbitré 24 à eux-tous. J’ai aussi dirigé plus de 150 matchs de Champions Cup, près de de 250 matchs de Premiership (championnat d’Angleterre, N.D.L.R.). Mais il n’y a pas un seul match où je n’ai pas appris quelque chose.

Avez-vous déjà eu peur, sur un terrain de rugby ?

J’ai parfois eu peur pour les joueurs, après certains plaquages… La semaine dernière, j’étais par exemple à Bayonne pour Irlande-Samoa et c’était parfois sauvage, au niveau de l’engagement. Je me suis dit : "Merde, ces gars-là sont de sacrés athlètes…" Mais je n’ai jamais eu peur pour moi, non.

Quid de la pression ?

J’ai déjà été maintes fois soumis à beaucoup de pression. Lors du dernier France - Afrique du Sud, à Marseille, le bruit du Vélodrome était tellement assourdissant que j’étais parfois intimidé. Les psychologues le disent souvent : personne ne vit bien le fait d’être en désaccord avec un groupe, qui plus est un groupe de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il faut donc avoir une forte personnalité pour prendre une décision quand tout un stade hurle et t’assure que tu te trompes. On m’a intimidé, c’est le jeu ; mais physiquement, on ne m’a jamais manqué de respect.

Et verbalement ?

Ah ça… J’ai quelques bases de français mais longtemps, j’ai cru que les supporters de chez vous me traitaient en tribunes de "canard". Je me suis beaucoup demandé pourquoi, au départ. Puis un jour, un joueur français m’a pris par le bras et m’a dit : "Ils ne t’appellent pas "canard", Wayne… Ils te traitent juste de "connard" !" J’ai beaucoup ri, ce jour-là. […] En fait, le Français m’a parfois joué quelques mauvais tours.

Du genre ?

Le jour où j’ai compris que mon accent du Gloucestershire transformait le "merci beaucoup" en "merci, beau cul", je me suis demandé ce que les gens avaient bien pu penser de mes manières, dans les rues de Paris…

Vous parliez du France - Afrique du Sud de novembre 2022. Pourquoi, ce soir-là, n’avez-vous pas demandé la vidéo sur l’essai litigieux de Sipili Falatea, en toute fin de match ?

L’arbitre vidéo, il n’est pas assis sur un canapé à fumer des clopes et boire du whisky : il bosse en permanence, nous parle continuellement durant le match. Cet essai, je l’ai d’abord accordé parce qu’il ne me semblait pas que le joueur (Falatea, N.D.L.R.) avait rampé. J’ai néanmoins demandé au TMO de vérifier. Mais sur le coup, il ne m’a pas répondu. Je lui ai répété : "Peux-tu m’entendre, Brian ?" On m’a alors dit que quelqu’un avait débranché une prise et que la liaison entre le TMO et moi étaient coupée : il pouvait m’entendre, moi pas.

Alors ?

Ça a duré, duré… Mais on ne pouvait attendre plus longtemps. On ne peut arrêter un match pendant cinq minutes. C’est improductif. Les gens s’agacent. On veut tous qu’il y ait du rythme, du spectacle. Après un certain temps, on est donc resté sur la décision terrain : essai français.

C’est marrant…

Oui… Mais pendant la Coupe du monde, j’espère qu’on vérifiera bien toutes les prises… (rires)

Plus généralement, est-il difficile de juger les plaquages hauts ? Cet aspect du jeu ne vous met-il une pression démesurée sur les épaules ?

Ce qui est intéressant avec le système du "bunker", c’est qu’il nous permet de prendre une décision sans devoir revisionner une image à quinze reprises, puisque cette décision initiale peut ensuite être modifiée par les arbitres regroupés dans le bunker. En clair, on ne prend plus les rencontres internationales en otage. […] Ralentir les matchs par ces visionnages qui n’en finissaient plus était nocif pour le rugby. Et puis, plus les minutes passaient et plus il était difficile pour l’arbitre, seul au milieu du terrain, d’encaisser la pression de la foule…

Vous étiez un très jeune arbitre, quand vous avez dirigé le quart de finale de Coupe du monde entre la France et la Nouvelle-Zélande, en 2007. A-t-il été difficile de reconnaître, plus tard, que vous aviez fait une erreur sur le dernier essai tricolore, marqué ce soir-là par Yannick Jauzion à Cardiff ?

Ce n’était pas très difficile, non… Une minute après avoir accordé l’essai et alors que je me trouvais encore dans l’en-but des All Blacks, je me suis en effet aperçu sur grand écran qu’il y avait en-avant entre Damien Traille et Frédéric Michalak… J’avais 28 ans, c’était ma première Coupe du monde… Et puis…

Quoi ?

Les gens admettent volontiers qu’Antoine Dupont puisse taper un coup de pied directement en touche ou que Owen Farrell rate une pénalité. Mais ils ont parfois du mal à comprendre qu’un arbitre puisse se tromper. Nous avons pourtant près de 300 décisions à prendre dans un match : il y a quinze mêlées, 25 touches et 250 regroupements… Ce n’est pas toujours facile… Il est pourtant admis que les joueurs ont le droit de se tromper, pas nous.

Vous êtes désormais plutôt célèbre dans notre petit monde. Les gens vous reconnaissent-ils parfois, dans la rue ?

Ce que j’aime, à Londres ou Paris, c’est que ces villes sont si grandes que je peux facilement y disparaître. Mais il m’arrive d’être reconnu, oui. L’autre jour, au bureau, j’ai croisé un type dans les couloirs du building ; un Français qui passait quelques jours à Londres pour le business. Sur mon passage, je l’ai vu se figer, froncer les sourcils et lancer : "Wayne Barnes ? Mais que faîtes-vous ici ?" Je lui ai répondu : "Je suis avocat ! Et ceci est mon bureau !" Il m’a dit : "Ah bon ? Je croyais que vous étiez arbitre !" […] Les gens sont plutôt sympas, en règle générale. Il y a quelques mois, dans l’avion, un autre Français, supporter de Biarritz, est même venu s’asseoir à côté de moi et m’a dit : "On peut parler rugby, monsieur Barnes ?" J’ai posé mon livre et on a parlé rugby. C’était chouette.

Les gens sont-ils déplaisants, parfois ?

Disons que l’arbitrage est la seule profession au sujet de laquelle les gens ont tous une opinion. Cet hiver, je buvais un café à Londres. J’étais tranquille à ma table et là, un homme s’est approché de moi et m’a dit : "Wayne, c’est toi qui arbitrais les Harlequins hier ?" J’ai acquiescé. "T’as été merdique, sache le", m’a-t-il lancé. (il éclate de rire) Merci beaucoup, monsieur ! Belle journée à vous aussi ! […] Franchement, je ne connais aucun autre job au monde où les gens viennent te dire que tu es nul dans ton boulot alors que tu es juste en train de prendre un café.

Voici quelques mois, vous avez eu quelques problèmes avec les réseaux sociaux. Pouvez-vous nous expliquer ?

Cette situation fut surtout difficile pour ma famille. Car je peux accepter que les gens me disent à longueur de journée quel affreux personnage je suis ; je suis grand et je sais me défendre. Mais je ne supporte pas, en revanche, que l’on envoie des messages odieux à mon épouse, Polly, sur les réseaux sociaux : il y a eu des insultes, des menaces envers mes enfants, des agressions sexuelles sur le plan verbal… C’est inacceptable et j’ai aussitôt envoyé tous ces messages à la police britannique. Personne n’a le droit de menacer ma famille. Et je n’ai jamais eu besoin que l’on m’insulte pour savoir si je m’étais trompé ou pas.

D’accord.

Vous savez, je me mets beaucoup de pression avant un match. Pendant les hymnes, je regarde les tribunes et je ressens bien ce que tout ça signifie pour les gens, les joueurs, les coachs… Alors, je veux faire les choses du mieux possible. Je veux que les joueurs me fassent confiance. Je veux qu’il y ait du spectacle, que les gens prennent du plaisir, soient heureux. Surtout, je veux que personne ne parle de moi après le match. Ça voudra dire que j’ai fait du bon boulot.

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Les commentaires (7)
EmmanuelC Il y a 7 mois Le 11/09/2023 à 15:02

Merci au Midol pour cette interview. Cela rappelle que les arbitres sont aussi des gens biens

jeanantoine Il y a 7 mois Le 06/09/2023 à 11:06

Très beau article , on découvre un personnage qui ressemble a nos arbitres du Top 14 .
Très belle philosophie du rugby.

Joël Il y a 7 mois Le 05/09/2023 à 16:15

Très bon interview ; du coup, je trouve le bonhomme beaucoup plus sympathique, même s'il reste Anglais !... It's a joke !