Abonnés

Top 14 - Alun Wyn Jones (Pays de Galles) : "Mon instinct m’a poussé vers Toulon"

Par Mathias Merlo
  • Alun Wyn Jones sous le maillot toulonnais
    Alun Wyn Jones sous le maillot toulonnais Icon Sport - Icon Sport
Publié le
Partager :

Un mois après son arrivée, le deuxième ligne s’est confié, avec franchise et humilité, sur sa nouvelle aventure "excitante" dans le Var. Il a profité également de cette entrevue, à quelques jours du début de la Coupe du monde, pour livrer un regard lucide sur la situation du rugby gallois.

Avant toute chose, comment vous sentez-vous au RCT ?

Je suis juste heureux ! Franchement, j’avais l’envie et la curiosité de vivre une aventure différente. Je ne pensais pas, surtout à cette période de ma vie, avoir l’opportunité de vivre ça. C’est plus qu’un choix personnel, c’est avant tout un choix familial. Avec ma femme, mes enfants, nous sommes vraiment heureux d’avoir pris cette décision. Le week-end dernier, j’ai eu la chance de porter le maillot de Toulon à Mayol… (Il coupe) À ce stade de ma carrière, je ne pensais pas pouvoir vivre une aventure aussi différente de ce que j’ai pu connaître auparavant. C’était spécial, et toute ma famille a ressenti cela. Même si le coup d’envoi a été donné très tardivement (rires), et qu’il semble difficile de se procurer autant de places que l’on veut dans ce stade ! On n’a pas trop l’habitude ! D’ailleurs, je pense que ma femme a été plus en difficulté que moi sur le terrain : s’occuper de trois enfants dans les gradins, c’est du boulot.

Pourquoi avoir choisi Toulon plus qu’un autre club ?

Avant tout, je ne m’imaginais pas quitter la sélection galloise comme cela. J’ai eu une discussion avec le staff de l’équipe nationale, et j’ai senti que c’était le moment de voir autre chose. Rapidement, Toulon a initié des contacts avec mon agent. Vous avez raison, d’autres clubs sont venus mais… il y a ce club, ce cadre de vie ! J’ai rapidement compris que mon instinct m’a poussé vers Toulon, et son rugby d’avants. En réfléchissant, ma famille aussi a opté pour cette destination. En même temps, nous habitons probablement la plus belle région de France (rires). En parlant de ça avec vous, j’ai le sentiment que le choix de Toulon est naturel. La décision n’a pas été difficile à prendre, juste, j’arrive à un stade de ma carrière où il est important de se poser cette question : "Pourquoi vais-je tout donner pour ce maillot, et pas celui d’un autre club ?" C’est dur à expliquer, mais Toulon était le bon choix. Je l’ai senti dans mon cœur. Même si le fait de se retrouver joker Coupe du monde est une sensation étrange. Dans quatre mois, on devra à nouveau réfléchir.

Comment les dirigeants varois vous ont-ils convaincu de venir seulement pour cette pige ?

Pierre (Mignoni, NDLR) m’a un peu défié (rires). Toulon a perdu beaucoup d’internationaux, mais l’ambition du club reste intacte. Puis, il y a les installations et les supporters. Ça aussi, c’est très utile pour motiver un homme comme moi ! Il y a deux saisons en une seule, et je me dois de laisser Toulon le plus haut possible avec mes partenaires. Dès notre première conversation, j’ai senti une énorme motivation dans mon corps et une excitation différente de ce que j’ai pu connaître dernièrement. J’avais aussi envie de me frotter au Top 14, et d’aller jouer dans des stades et des endroits que je n’avais pas eu l’occasion de découvrir plus tôt dans ma carrière. On m’a dit qu’on allait faire beaucoup de bus et d’avion. Ça aussi, c’est génial de voir autant de paysages (rires). Il y a aussi la langue à maîtriser, et ça m’a fait bizarre sur mon premier match d’entendre un arbitre communiquer dans votre langue. Je me sens comme un étudiant du jeu, je le serai probablement toujours d’ailleurs, et je suis en train de m’enrichir. L’apprentissage contre Lyon a été difficile, mais la progression a été croissante contre Bayonne. Je me sens déjà mieux grâce notamment à l’appui de mes partenaires. Aujourd’hui, je me sens chanceux d’être un joueur de Toulon.

C’est la classe populaire qui vient à Mayol, et c’est important de le savoir.

Avez-vous pensé à prendre votre retraite avant cette opportunité ?

On me la pose de plus en plus souvent celle-là (rires), que je gagne ou que je perde, elle revient de plus en plus. Je n’y ai pas pensé, et j’ai préféré me concentrer, durant cette période, sur ma famille. C’était le plus important. Mais, dans mon esprit, j’avais un plan, et ce plan n’était pas d’arrêter maintenant.

Comment jugez-vous vos premiers pas ?

La chaleur a été dure à supporter ! Il a fallu que je prenne le rythme face à Perpignan et Lyon. Pour la première fois de ma vie, on a décalé un match pour la chaleur. Au pays de Galles, on fait ça pour le froid… Vous êtes un drôle de pays (rires) ! J’étais déçu de mon match à Lyon, et je veux que les gens le lisent. Je n’ai pas été super bon, et bien évidemment, il y a ce qui s’est passé avec Jean-Marc (Doussain, victime d’une luxation de la rotule du genou droit sur un plaquage du Gallois NDLR). Ce n’est pas une situation évidente à gérer. Je lui ai envoyé un message le lendemain, et je tiens à lui souhaiter, à nouveau, le meilleur rétablissement possible. Je pense que j’ai voulu trop en faire sur cette rencontre. On commet des erreurs, même avec l’âge, mais je suis satisfait de l’apport que j’ai pu avoir pour l’équipe contre Bayonne. Mais dimanche, contre Bordeaux, les compteurs seront remis à zéro.

Alun Wyn Jones a rejoint la rade toulonnaise
Alun Wyn Jones a rejoint la rade toulonnaise

Quelle est votre attitude dans le vestiaire ? Beaucoup de joueurs ont évoqué votre charisme naturel…

Je suis bien intégré. Les gens disent que je n’ai jamais quitté mon pays de Galles, mais avec les tournées des Lions et les Coupes du monde, on en oublie que je passe de longs mois loin de ma famille. Certes, il n’y a pas cette barrière de la langue, mais je me plais à croire que je connais déjà le vocabulaire du rugby en français : mêlée, maul, touche (il répète en français). Clairement, tous les changements sont intimidants, mais les gars m’ont mis à l’aise. Rapidement, j’ai voulu comprendre avec qui je jouais et pour qui je jouais. Ici, je joue pour des ouvriers. C’est la classe populaire qui vient à Mayol, et c’est important de le savoir. Ça donne des responsabilités. Dans ce vestiaire, j’ai le sentiment qu’on me traite comme n’importe quel autre joueur. C’est ce que je veux. Pour les mecs qui vous ont parlé de mon aura, c’est un peu gênant à vrai dire (sourire)… Je ne le remarque pas, et heureusement ! Je ne comprends pas encore toutes les conversations, donc j’ai peut-être manqué des trucs. Ici, je veux que les gens me jugent sur ma contribution actuelle, et pas pour ce que j’ai pu faire par le passé. En peu de temps, je veux laisser une trace à Toulon pour les supporters bien sûr, mais surtout pour les jeunes gars qui porteront ce maillot à l’avenir.

Comment gérez-vous ce rôle de joker Coupe du monde ?

J’ai le sentiment qu’on me colle une étiquette (rires). Je suis juste un nouveau joueur de Toulon, même si c’est pour du court terme. Je suis là jusqu’à mi-novembre, et on verra ce qu’il se passera après. Je fais mon travail avec sérieux, comme je l’ai toujours fait. J’ai envie de prouver. C’est un peu comme n’importe quel travail dans la vie courante où vous êtes là pour quelques mois. Il faut donner le maximum. Je veux remplir mon rôle du mieux que je peux.

Allez-vous réellement quitter Toulon en novembre prochain ?

Le rugby est comme il est, et je connaissais les règles avant ma venue à Toulon. Je n’y pense pas davantage depuis mon arrivée. Je prends jour par jour. Je vais partir à la date où mon contrat actuel me le dit. Jusqu’à ce que je sache, aux dernières nouvelles, il s’arrête à la mi-novembre. Il faut se référer à ça.

C’est la Coupe du monde la plus ouverte de l’histoire

Vous répétez souvent : "Ce que j’ai fait avant ne compte pas." Est-ce votre mentalité du quotidien ?

Exactement. Je gagne le respect de mes partenaires sur le terrain, pas en entrant dans un vestiaire. Bien sûr, ils savent ce que j’ai réalisé, les plus jeunes m’ont probablement vu à la télévision (rires)… Mais, je veux que les mecs se fassent leur propre idée de qui je suis. Je pense être resté un mec simple et accessible. Vous savez, le destin est parfois drôle. Jamais je ne m’imaginais venir jouer ici, pour ce maillot. J’ai toujours joué avec des couleurs Noir et Rouge, ici je sais qu’on dit Rouge et Noir (rires). Je suis conscient des attentes autour de moi, et je n’ai qu’une obsession : je veux rendre sur le terrain la confiance accordée par le club et mes équipiers. Il n’y a rien d’autre qui me préoccupe. Toulon m’a beaucoup donné, c’est le moment de rendre.

À Toulon, les stars étrangères ont souvent été critiquées de "mercenaire". Est-ce que vous avez entendu des critiques autour de votre arrivée, notamment sur votre âge et l’aspect financier ?

Je ne suis pas un mec qui écoute tout ce qui se dit. Mais, je vous remercie de me le faire savoir. (Il réfléchit) Ce que je trouve drôle, c’est que j’ai déjà eu l’opportunité, il y a des années, de venir jouer en France. Je n’ai pas répondu favorablement pour différentes raisons. Si j’étais venu dix ans avant, est-ce qu’il y aurait eu des critiques sur mon niveau et âge ? Je ne suis pas sûr.

Peut-être moins, mais vous auriez eu les critiques portant sur le côté mercenaire…

Si les gens pensent que je suis ici pour l’argent… Les gens peuvent toujours dire que je suis ici pour une raison ou une autre. Je vous réponds honnêtement : je suis ici parce qu’il y a un énorme défi, et que je fais vivre une expérience unique à ma famille. Après, bien sûr, je suis payé pour jouer au rugby, comme je l’ai toujours été depuis que je suis professionnel. Je ne cours pas après l’argent, mais après des expériences et des défis. Je n’avais plus beaucoup de temps pour conjuguer les deux. J’espère que les gens comprendront et respecteront cette idée.

Pensez-vous à votre vie après le rugby ?

Non, je suis un joueur de rugby. Je ne m’inquiète pas de ce que sera l’après. J’ai déjà beaucoup de chance d’être sur les terrains à un âge aussi avancé.

La Coupe du monde va débuter. Quel est votre favori ?

Je ne peux pas répondre à cette question (rires). C’est la Coupe du monde la plus ouverte de l’histoire. Il suffit de regarder les résultats du week-end dernier. C’est surprenant. La compétition sera très intéressante à suivre. Bien sûr, il y a les nations que l’on retrouve toujours : l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, la France, l’Irlande. Mais attention aux équipes du Pacifique ! Les Fidji, les Samoa, les Tonga ont récupéré des joueurs grâce à une nouvelle règle. Du jour au lendemain, de bons joueurs sont devenus sélectionnables. Je pense également qu’il ne faut pas trop enterrer des nations comme l’Australie ou l’Angleterre. Les gens ont tort de les mettre de côté. Des équipes qui sont un peu en dehors des radars iront loin. La Coupe du monde, ça se joue uniquement sur le terrain. Il y aura aussi des surprises, en phase de poules et sur les matchs à élimination. Après, vous savez pour qui mon cœur balance (rires).

Parlez-nous du pays de Galles…

Je veux que mon pays gagne ! Vous allez me prendre pour un optimiste, mais on ne sait jamais. Ça peut arriver. Je le répète, c’est la Coupe du monde la plus ouverte de l’histoire. Les derniers matchs le prouvent. Les résultats sont complètement dingues !

Le rugby gallois a affronté tellement de soucis en dehors du terrain ces derniers mois

On a quand même la sensation d’un immense gâchis entourant le XV du Poireau. Partagez-vous cet avis ?

Je comprends cet avis extérieur. On était au top de l’Europe, et c’est forcément une déception de voir là où l’on est actuellement même si rien n’est perdu pour la Coupe du monde. Il est évident que nous n’attaquons pas la compétition comme les précédentes éditions. Je pense que nous sommes arrivés à un point de rupture. Il faut y remédier parce que le rugby gallois entre en concurrence avec énormément d’autres disciplines. Au fur et à mesure, le rugby s’est détaché du sport pur et dur. C’est devenu une industrie de divertissement. Les gens veulent plus que 80 minutes, et les places deviennent de plus en plus coûteuses. Il faut avoir une valeur de divertissement sur le terrain et en dehors… À mon sens, je pense que certaines décisions commerciales ont affecté le rugby. Je ne dirai pas lesquelles, mais les joueurs en paient les frais aujourd’hui. Attention, je ne dis pas que les personnes qui ont pris les décisions l’ont fait exprès, mais il y a eu de mauvaises décisions. C’est une réalité. Nous en payons les frais.

Êtes-vous pessimiste ou optimiste pour le futur ?

Je n’en sais rien pour être honnête. J’ai quitté ce monde il y a plusieurs mois. Depuis ma retraite internationale, des décisions ont été prises. J’aime à penser que les gens recrutés sont les bonnes personnes pour gérer ces responsabilités. J’espère qu’ils prendront les meilleures décisions et surtout, qu’ils impliqueront les joueurs qui font ce jeu qu’est le rugby. Ce point est très important à mes yeux. Maintenant, il est temps d’attendre pour pouvoir juger par la suite. On ne peut pas faire un bilan, le laps de temps est trop court.

Avez-vous des conseils pour vos ex-partenaires avant ce Mondial ?

Je n’ai aucun conseil à donner à des mecs aussi expérimentés. Je ne vais pas dire à Dan (Biggar, NDLR) comment il doit taper une pénalité (rires). Pour les plus jeunes de la sélection, je veux leur dire d’apprécier le moment et de donner le maximum. Le rugby gallois a affronté tellement de soucis en dehors du terrain ces derniers mois… Il est facile, dans ces cas, d’oublier ce que l’on aime faire. C’est leur moment, c’est celui qui doit leur permettre de retrouver le sourire. Nous sommes heureux quand nous jouons au rugby. Dans les bons et les mauvais moments, si tu restes heureux d’être un joueur, tu deviens forcément un bon joueur de rugby.

La demi-finale face à la France, en 2011, vous laisse-t-elle encore des regrets ?

Pas de regret. J’y pense encore parfois, mais je n’ai pas de regret. Ce n’est pas le bon mot. Je pense plutôt que ça reste une grosse occasion manquée pour le rugby gallois. Ce groupe était proche de faire quelque chose d’immense pour notre pays. Je n’ai pas de regret, car on a fait le match qu’il fallait, en infériorité numérique. L’équipe a été immense ce jour-là. Avec le recul, je suis fier de ce que le groupe a montré. C’était presque gagné… Mais c’est de l’histoire ancienne ! Il est temps de regarder vers le futur, et le futur, c’est cette Coupe du monde 2023.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (1)
Lynette Il y a 7 mois Le 31/08/2023 à 18:29

Un très grand joueur et un fin analyste de son sport: respect Mr Jones pour votre carrière internationale!