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200 ans d'histoire (35/52) : l’Angleterre découvre l’Élite

  • En 1987, le pays fondateur du rugby, l’angleterre jadis si conservatrice, fait le grand saut. Elle lance une compétition d’élite à douze. Une vraie révolution dans une nation qui avait toujours combattu l’idée même d’un championnat.
    En 1987, le pays fondateur du rugby, l’angleterre jadis si conservatrice, fait le grand saut. Elle lance une compétition d’élite à douze. Une vraie révolution dans une nation qui avait toujours combattu l’idée même d’un championnat. Midi Olympique
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En 1987, le pays fondateur du rugby, l’Angleterre jadis si conservatrice, fait le grand saut. Elle lance une compétition d’élite à douze. Une vraie révolution dans une nation qui avait toujours combattu l’idée même d’un championnat.

On mentirait si on disait que cela fit la une des journaux. Mais en ce temps-là, les médias français (dont le nôtre) parlaient peu du rugby britannique hors du prisme du Tournoi. En 1987, on apprit un peu incidemment un événement pourtant historique, presque un séisme : la RFU annonça la création d’un championnat d’élite en Angleterre avec une première division réduite à douze clubs, et donc un premier champion national promis pour 1988.

Le débat d’une compétition resserrée existait déjà en France, où les choses avançaient lentement. Voir l’Angleterre se convertir aussi brusquement à l’élitisme relevait donc de la science-fiction ou d’un mirage. Depuis des années, on se plaisait à raconter que la nation qui avait inventé notre jeu n’avait pas de championnat. Une affirmation qui nous sidérait toujours mais qui correspondait à la stricte vérité. Oui, pas de championnat. Uniquement des matchs amicaux entre clubs, basés sur la tradition. Les Harlequins jouaient contre les Wasps à telle date qui avaient quelques semaines plus tard rendez-vous avec Leicester.
Des championnats régionaux avaient bien existé de-ci, de-là dans certains comtés, mais la RFU les avait toujours combattus au nom de l’amateurisme.

Leur raisonnement était simple : la création d’une compétition en bonne et due forme comme en football aurait abouti inévitablement au paiement des joueurs, le professionnalisme et donc l’horreur pour les dirigeants anglais. D’ailleurs, c’est cette question qui avait abouti au schisme de 1895 et à la création du rugby à treize, Rugby League en anglais.

La fédération anglaise tolérait juste un championnat inter-comtés, des sélections régionales (Midlands, Cornouailles…) qui s’affrontaient par zones géographiques, mais cela ne concernait que quelques dates, encore loin de l’élitisme. Les clubs restaient loin du haut niveau. Pour l’Angleterre, il y avait donc un prix à payer : en dépit d’une masse impressionnante de joueurs, le pays était englué dans une médiocrité sportive, de plus en plus visible à partir des années 60. Les joueurs semblaient pratiquer le rugby comme un jeu sans grande ambition.

Les dirigeants de la RFU ne pouvaient pas ne pas le voir, mais ils ne pouvaient pas écarter cent ans d’histoire d’un revers de la main. Au début des années 1970, ils instillèrent peu à peu des formes de classement au mérite (Merit Tables), estimation un peu laborieuse où l’on observait le pourcentage de victoires des clubs face à des adversaires supposés de leur niveau. Un journal, le Sunday Telegraph avait de sa propre initiative créé son propre classement qui servait de référence (comme le Western Mail au pays de Galles).

Leicester, premier champion

En 1972, première grosse avancée, la création d’une Coupe d’Angleterre à élimination directe. Il y avait enfin un trophée obéissant à une logique sportive. Quelle innovation ! Puis en 1984, la RFU intensifia ses « merit tables » en leur donnant une dimension nationale, avant de franchir le dernier pas en 1987 avec la naissance de la Courage League Division One, le fameux premier championnat de l’histoire. Avec le nom d’un sponsor en plus ! Courage était une marque de bière, pas vraiment un produit diététique. Le premier match eut lieu le 5 septembre, Nottingham battit Orell 21 à 12 et le titre fut décerné à la dernière journée, le 4 avril 1988 quand Leicester battit Waterloo 39 à 15 devant 7 000 personnes à Weldford Road. Les Tigres entraient dans l’histoire.
Le championnat fut vécu comme un succès, même s’il n’avait compté que onze journées car il n’y avait pas encore de matchs aller-retour et les équipes avaient elles-mêmes composé leur calendrier ; mais certaines affiches ne purent être organisées, Leicester fut sacré champion avec seulement dix matchs.

La RFU avait pris cette décision historique après une période particulièrement inconsistante traversée par XV de la Rose. C’était vraiment le moment de faire quelque chose. La création de ce nouveau championnat suivit un tournoi des Cinq Nations assez lamentable et une première Coupe du monde qui vit l’Angleterre toucher le fond. En quart de finale, elle avait été battue 16 à 3 à Brisbane par des Gallois eux-mêmes très faibles. Ce choc n’avait de mondial que le nom.
On a souvent décrit ce match comme le point zéro du rugby anglais. La coïncidence était trop énorme. La nouvelle compétition surgit donc à point. "Ce fut la décision la plus importante depuis la création de la fédération en 1871", commenta John Burgess, le nouveau président de l’institution vénérable, convertie tant bien que mal à la modernité.

Un modèle qui persiste vaille que vaille

Trente-cinq ans après, le championnat anglais perdure malgré les soubresauts. Son format général est resté fidèle à la poule unique, mais il a subi quelques modifications parfois contradictoires. Entre 1993 et 1996, il s’est joué dans une formule encore plus resserrée avec dix équipes, pour être compatible avec l’introduction des matchs aller-retour puis on est revenu à douze. En 1998-99, on est passé à quatorze pour combler les trous laissés par le boycott de la Coupe d ‘Europe par les clubs anglais. On est repassé à douze en 1999.

En 2003, une phase finale fut créée pour lui donner une résonance médiatique et donc un titre décerné comme en France à l’issue d’une grande finale à Twickenham.

Il y a toujours eu en théorie un système de promotion et de relégation avec une deuxième division organisée également en poule unique. Mais à plusieurs reprises, il n’y a pas eu de descente en 1996 (retour à douze), en 2001 (non montée d’un club pour des raisons d’installation). En 2021, il n’y a pas eu non plus de descente à cause de l’épidémie de Covid, les autorités ont même décidé un moratoire de trois ans sans relégation. En 2021-2022, le championnat s’est joué à treize pour réintégrer les puissants Saracens, relégués pour avoir triché avec le plafond salarial, en 2020. Enfin en 2022-2023, deux clubs ont fait faillite en cours de saison : les Wasps et Worcester, ce qui donne actuellement un championnat à onze.

Si l’on prend du recul, on se rend compte que le rugby d’élite anglais a toujours tendu vers la création d’une ligue fermée ou quasi fermée. À partir des années 2000, les clubs relégués ont reçu une subvention pour amortir leur chute. Tout a été fait pour les faire remonter très vite (Newcastle, London Irish, Harlequins…). Le rugby anglais s’est organisé comme s’il n’y avait que treize ou quatorze clubs capables de goûter au très haut niveau d’autant plus que l’élite ne partage pas ses revenus avec la deuxième division. Mais depuis quelques années, ses clubs souffrent de la comparaison avec les clubs français dont les droits télévisés ont « explosé ».

Un succès immédiat

Difficile de ne pas souscrire à l’idée que la création du championnat anglais d’élite fut un grand succès. En quelques mois le climat changea totalement dans le rugby en Angleterre. Chaque club vit ses affluences augmenter, les télés furent demandeuses d’images. Mais surtout, dans les années qui suivirent, le XV de la Rose connut une spectaculaire montée de niveau. Dès 1988, il frôla la victoire au Parc des Princes, il battit ensuite les Wallabies, puis il battit les Bleus en 1989 après sept ans de disette et la série dura jusqu’en 1995. Le XV de la Rose empocha ensuite les grands chelems 1991 et 1992 et joua la finale de la Coupe du monde 1991.
Avant même l’arrivée du professionnalisme, l’Angleterre avait retrouvé une position dominante en permettant à ses meilleurs joueurs de regarder vers le haut.

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