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Coupe du monde 2023 - Eddie Jones (Australie) : "L'Australie a besoin de nouveaux héros"

  • Eddie Jones, le sélectionneur australien, a récemment demandé à son "vieil ami" Steve Hansen de rejoindre le staff des Wallabies.
    Eddie Jones, le sélectionneur australien, a récemment demandé à son "vieil ami" Steve Hansen de rejoindre le staff des Wallabies. - PA Images / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Ce matin d’été, Eddie Jones (63 ans) nous avait donné rendez-vous au bord de la piscine Molitor, ce diamant de l’Ouest parisien où les Wallabies ont pris leurs quartiers avant d’affronter les Bleus. Avec sa faconde habituelle, le sélectionneur australien a alors balayé tous les sujets d’actualité, la non-sélection de Michaël Hooper, le capitanat de Will Skelton, le dossier Kerr-Barlow, le cas Mercer ou le « kicking game » du XV de France… C’est à vous, mate* !

Vous avez quitté l’Australie en guerre ouverte avec les journalistes de votre pays, que vous avez même invités à se donner « quelques uppercuts ». Que s’est-il passé ?

Un trop-plein, sans doute… Les Wallabies ont probablement la plus jeune équipe de cette Coupe du monde ; une équipe prometteuse, enthousiaste, talentueuse mais qui se fait systématiquement dénigrer. Je me devais de défendre les joueurs.

Le droit à la critique est néanmoins fondamental…

Et le droit de se défendre aussi. Je ne pouvais pas leur laisser dire des inepties sans riposter. Je fais ce métier depuis très longtemps (il entraîne au plus haut niveau depuis 1998, N.DL.R.) et je pense en savoir autant qu’eux sur la préparation d’une équipe. Et puis, dire que je n’ai pas informé certains joueurs de leur non-sélection est une absurdité : parce que je sais quelle est ma responsabilité dans ce genre de situation. (il soupire) Maintenant, si un joueur refuse de prendre mon appel parce qu’il sait qu’il n’est pas sélectionné révèle aussi beaucoup de choses sur sa personnalité…

À ce sujet, vous avez fait un choix très fort en laissant l’emblématique flanker Michaël Hooper hors du groupe. Pour quelle raison, au juste ?

Déjà, sa blessure au mollet n’était pas totalement résorbée. Et puis, on doit aujourd’hui aller de l’avant et donner le pouvoir à cette nouvelle génération. Elle a besoin de nouveaux leaders ; je suis là pour déceler lesquels.

Pourquoi avoir choisi le Rochelais Will Skelton pour être le nouveau capitaine australien ?

Will est un gagnant. Il a par le passé remporté des trophées avec les Saracens et en gagne aujourd’hui avec La Rochelle. Il n’y a pas de hasard. Et puis, il connaît l’environnement français, la culture locale et nous aidera à vivre du mieux possible cette aventure loin de nos terres. Je crois aussi que Will Skelton a un côté rassembleur que les gens ignorent. Il peut être le ciment de notre jeune équipe.

Will Skelton est-il unique dans le circuit international ?

Oui, même si toutes les équipes s’appuient aujourd’hui sur un numéro 5 au physique approchant, sans toutefois être identique. [...] Le XV de France a Paul Willemse et Romain Taofifenua, la Nouvelle-Zélande Brodie Retallick ou Scott Barrett, les Springboks Eben Etzebeth ou RG Snyman… Posséder, à droite de sa mêlée, un deuxième-ligne de ce gabarit est une arme.

J’ai été dans l’obligation de détruire l’équipe en place pour en créer une nouvelle

Le demi de mêlée du Stade rochelais Tawera Kerr-Barlow, pourtant capé avec les All Blacks, aurait pu être sélectionné avec l’Australie depuis que les règles d’éligibilité de World Rugby ont changé. Pourquoi avez-vous choisi de vous passer de ses services pour la Coupe du monde ?

Kerr-Barlow est un super joueur. Mais il est Néo-Zélandais jusqu’au bout des ongles. Il est Kiwi par tous ses aspects et il me semblait difficile d’amener un joueur comme lui dans une si courte aventure. Et puis, la fédération australienne n’a jamais ouvert la porte à cette possibilité, alors…

Pensez-vous encore que vos Wallabies, battus par les Springboks, les All Blacks et les Pumas lors du Rugby Championship, peuvent gagner la Coupe du monde ?

Oui. Nous ne sommes qu’aux prémices de notre histoire. Quand j’ai été nommé sélectionneur (en janvier dernier, N.D.L.R.), j’ai été dans l’obligation de détruire l’équipe en place pour en créer une nouvelle.

Pour quelle raison ?

Parce qu’il fallait changer le sens de l’histoire. Parce que nous avions jusque-là un record de défaites ahurissant et sortions de huit années très médiocres… J’ai donc fait ce qu’avait fait Fabien Galthié trois ans plus tôt, lorsqu’il a été nommé sélectionneur. Il a détruit l’ossature en place, lancé de jeunes joueurs et développé un nouveau « french style ». De notre côté, nous sommes simplement en train d’essayer d’ériger un nouveau style de rugby australien.

Justement, sur quel type de jeu vous appuierez-vous afin d’avoir les meilleurs résultats possibles, cet automne ?

Nous sommes en train de bâtir l’équipe la plus complète possible. Il me semblait que les Wallabies manquaient de densité et de force dans le combat d’avants. J’ai essayé de résorber le problème en sélectionnant des joueurs aux profils différents.

Globalement, à quel jeu doit-on s’attendre tout au long de cette Coupe du monde ?

Ce sera rapide, spectaculaire et nerveux jusqu’aux quarts de finale. Et puis… (il frappe son poing contre la table) on reviendra à un rugby plus brutal, plus austère, plus fermé… On reviendra au rugby qui colle aux grands matchs…

Les Springboks ont fait forte impression en écrasant le pays de Galles, le week-end dernier (16-52). Ce pack sud-africain est-il réellement prenable ?

Oui. Les Springboks sont très forts mais comme les Anglais, les Irlandais ou les Argentins, ils jouent ensemble depuis très, très longtemps… À quel point peuvent-ils encore s’améliorer jusqu’au Mondial ? Je m’interroge... L’Australie et la France sont a contrario de très jeunes équipes possédant des marges de progression considérables. Et puis, les Français pourront compter derrière eux sur une énergie, une fièvre que ce pays n’a peut-être jamais connue autour du rugby.

Les Bleus ne font plus de cadeaux

Dans quel état le rugby australien est-il actuellement ? Est-il encore puissant, populaire ?

Le rugby australien est dans un état horrible. C’est pourquoi j’ai la responsabilité immédiate de créer une nouvelle équipe et de la faire gagner. En clair, nous avons besoin de nouveaux héros, de rugbymen capables d’incarner cette équipe et ce sport. C’est à ce prix-là que les gens reviendront au stade, en Australie.

Cette équipe australienne est-elle différente du XV de la Rose dont vous étiez en charge, jusqu’à la fin d’année dernière ?

Évidemment. L’Angleterre était en fin de cycle quand nous sommes aujourd’hui, en Australie, aux prémices d’un nouveau.

Durant la Coupe du monde, vos Wallabies seront dans le même groupe que le pays de Galles et les Fidji. Laquelle de ces deux équipes incarne-t-elle la plus grande menace, à vos yeux ?

Ni l’une ni l’autre !

Ah bon ?

Je suis bien trop expérimenté pour ne pas me méfier du premier match face aux Géorgiens (le 9 septembre à Lille, N.D .L.R.). Cette équipe a battu les Gallois en novembre (12-13) et fait des progrès considérables ces quatre dernières années. J’imagine qu’elle nous proposera d’ailleurs quelque chose d’assez spécial, dans le combat d’avants…

Après 2003, Eddie Jones va connaître sa deuxième Coupe du monde à la tête de l'Australie
Après 2003, Eddie Jones va connaître sa deuxième Coupe du monde à la tête de l'Australie

Les joueurs australiens sont relativement méconnus. Lequel d’entre eux pourrait être la révélation de cette Coupe du monde ?

Il y en a quelques-uns. Notre flanker Tom Hooper (1,99m et 120 kg) a un potentiel incroyable, que ce soit balle en mains ou en défense. Il avait été très bon contre les Springboks en Rugby Championship avant de terminer la rencontre suivante, face aux All Blacks, avec vingt plaquages. Et puis, Mark Nawaqanitawase (ailier, 1,92m et 100 kg) est également un super joueur : il excelle dans le un contre un et sous les ballons hauts. (il sourit) Vous verrez bien, dimanche, si vous êtes d’accord avec moi…

Avez-vous regardé le dernier France-Fidji ?

J’étais à Nantes, oui.

Que pensez-vous de cette équipe de France ?

La chose qui m’impressionne le plus à propos du XV de France est sa discipline. C’est aussi ça, le nouveau style français dont je vous parlais en préambule. Les Bleus ne font plus de cadeaux : ils harcèlent les porteurs de balles adverses, mettent une pression terrible sur chaque ruck et utilisent à bon escient la longueur de coup de pied de Dupont, Ramos ou Jaminet.

Ces matchs de préparation sont-ils utiles ? Et peut-on vraiment cacher son jeu avant une grande compétition ?

Je ne crois pas en ce genre de concept… (il grimace) Personne ne cache son jeu… C’est impossible… J’irai même plus loin : samedi dernier, le XV de France n’a pas affronté les Fidji : il a simplement répété les grandes lignes de son jeu dans un stade plein.

On vous dit proche de Fabien Galthié. Est-ce vrai ?

Oui, nous sommes deux bons collègues. Nous avons d’ailleurs pris un café ensemble, en mars dernier, juste avant France-Galles.

France - Nouvelle-Zélande ressemblera à une partie de tennis à Roland Garros

Que vous êtes-vous raconté, ce jour-là ?

Fabien est comme tous les grands coachs : il ne parle jamais de sa propre équipe ! (rires) Mais nous avons beaucoup échangé sur l’évolution du rugby en général…

Comment imaginez-vous le match d’ouverture entre la France et la Nouvelle-Zélande, le 8 septembre prochain ?

Ces deux équipes sont celles qui tapent le plus au pied, au niveau international : les Bleus usent en moyenne du pied long trente fois dans une rencontre et les All Blacks, quand Richie Mo’unga (Crusaders, N.D.L.R.) est titulaire à l’ouverture, frappent tout autant. Celui qui négociera le mieux cette partie de tennis en soixante coups remportera donc la rencontre.

On vous suit...

Cela ressemblera, en fait, à une partie de tennis à Roland Garros où les deux adversaires se répondront d’abord depuis le fond du court avant de surprendre l’autre par un amorti près du filet. Mais qui de la France ou de la Nouvelle-Zélande réussira-t-elle le plus d’amortis ?

Pourquoi avez-vous choisi de prendre avec vous Pierre-Henry Broncan, l’ancien manager du Castres olympique ?

Pierre est un passionné, un coach intelligent… Et puis, j’avais besoin à mes côtés de quelqu’un qui puisse m’aider à comprendre la culture de la France, un pays où nous nous apprêtons à passer deux mois. Par le passé, j’avais déjà eu une très bonne expérience avec Marc Dal Maso, qui avait fait de la mêlée japonaise (Eddie Jones fut sélectionneur du Japon de 2012 à 2015, N.D.L.R.) un édifice pour le moins conquérant.

L'ancien manager du Castres Olympique fait partie du staff australien pour la Coupe du monde en France
L'ancien manager du Castres Olympique fait partie du staff australien pour la Coupe du monde en France

Pourquoi n’avez-vous pas rappelé Dal Maso, cette année ?

La façon dont il bâtit une mêlée demande du temps. Et du temps, nous n’en avons pas… Je vous rappelle que je n’avais que six mois pour présenter en Coupe du monde une équipe compétitive…

Steve Hansen, l’ancien coach des All Blacks, rejoindra votre staff dans les prochaines semaines. Comment avez-vous réussi cet énorme coup ?

Steve est un vieux copain. Il viendra d’abord, et sans toucher un seul centime de la part de la fédération australienne, pour nous observer puis nous donnera ensuite quelques bons tuyaux, au fur et à mesure de la compétition...

À l’époque où vous étiez le sélectionneur du XV de la Rose, vous avez toujours boudé le numéro 8 du MHR Zach Mercer, qui brillait pourtant en Top 14. Pourquoi ?

Certains joueurs sont de très bons joueurs de clubs. […] En championnat, tu peux briller en étant un troisième-ligne avant tout doué pour attaquer ; mais en test international, tu dois avoir les mains d’Ardie Savea (le numéro 8 des All Blacks, N.DL.R.) mais aussi un énorme abattage défensif . L’un ne peut aller sans l’autre.

Que ferez-vous après la Coupe du monde, Eddie ?

Je serai encore sous contrat avec la fédération australienne mais est-ce que je pourrai continuer si nous n’avons pas de bons résultats pendant la Coupe du monde ? Je n’en sais rien…

(*en français, « camarade ». C’est ainsi qu’Eddie Jones appelle le plus souvent ses interlocuteurs.)

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Les commentaires (1)
Gcone1 Il y a 8 mois Le 22/08/2023 à 23:18

Par conséquent, il doit se l'appliquer à lui-même ! Bye-Bye !