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200 ans de légendes (33/52) : La Rochelle, le club qui dit non au capitaine des Blacks

Par Jérôme Prévot
  • En fin d’année 1977, les joueurs de La Rochelle votent contre la venue de Graham Mourie, capitaine des All Blacks.
    En fin d’année 1977, les joueurs de La Rochelle votent contre la venue de Graham Mourie, capitaine des All Blacks. Hugo Pfeiffer / Icon Sport
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En fin d’année 1977, les joueurs de La Rochelle votent contre la venue de Graham Mourie, capitaine des All Blacks. Un geste extraordinaire que les jeunes auront du mal à comprendre.

Mouillons-nous un peu. Ceci est à notre sens l‘histoire la plus émouvante de notre série sur le bicentenaire du rugby. Une équipe qui se réunit pour voter à main levée le refus du renfort d’un des meilleurs joueurs du monde. Ce sont les joueurs du Stade rochelais qui ont écrit ce chapitre délicieusement suranné. En novembre 1977, sous la tribune d’honneur du stade Marcel-Deflandre, après un entraînement, réunis en conclave, ils ont dit non à la venue de Graham Mourie, troisième ligne et capitaine des All Blacks. Il sortait d’une tournée européenne et voulait rester en France au moins pour quelques mois.

A priori, Mourie n’avait rien d’un mercenaire, contrairement à d’autres All Blacks qui, signe des temps, commençaient à monnayer leurs talents en Europe pour la fin de la saison nordiste. Mais il avait envie de vivre une expérience originale. "Il était fermier, ingénieur agronome de formation, et il se voyait bien faire un stage à l’école industrielle laitière de Surgères", nous avait confié, en 2017, Jean-Michel Blaizeau, historien du club rochelais, quand nous avions consacré une page entière à cette affaire. Au départ, Graham Mourie avait parlé de son projet "français" à Francis Deltéral, un journaliste avec qui il s’était lié. Puis l’information était tombée dans l’oreille d’Yvan Caris, architecte haut en couleurs, très proche du Stade rochelais. C’est lui qui avait parlé à Mourie du club maritime et de l’école de Surgères. Il avait en plus offert un stage dans son cabinet à la fiancée de Mourie, étudiante en architecture. Mais le problème c’était que Caris n’était mandaté par personne et n’était pas dirigeant du club à ce moment-là. La venue de Mourie vint percuter l’esprit austère et protectionniste du Stade rochelais de l’époque. En 1977, le club ne courait pas après les grands noms, tirant une grande fierté de ne jouer qu’avec des gars formés sur place et la pépinière était assez riche pour assurer une place dans l’élite.

Jacky Adole, le garant d’un certain état d’esprit

L’entraîneur Jacky Adole défendait bien sûr cette vision des choses et il mit l’affaire aux voix, dans un magnifique moment d’autogestion Il s’en explique dans son ouvrage, "Mon sac de rugby" : "Le président M. Tassin organisa une réunion du comité directeur et me demanda d’organiser celle des joueurs dans le plus grand respect possible de la démocratie… Je ne me voyais pas, pour fruit de tous nos efforts communs, sacrifier des joueurs comme Bébert Dieu, Dagusé ou Palvadeau après une demi-douzaine de saisons passées ensemble, pour revenir ensuite les solliciter sans scrupule après le départ de Graham Mourie."

Le pilier droit Alain Lescalmel nous confia : "C’est ce qui me semble le plus extraordinaire avec le recul. Qu’on nous ait demandé notre avis… Maintenant, on trouve ça aberrant mais c’était tout un contexte. Notre vote n’était pas sportif mais social. On nous parlait tellement de la formation et du soutien des joueurs… La génération 1954 arrivait en équipe première et quelques-uns n’avaient pas encore de boulot. Nous trouvions ça anormal par rapport à ce qu’on proposait à Graham Mourie et à sa compagne."

La messe était dite, Graham Mourie ne viendrait pas. Yvan Caris en fut très amer. En ville, les supporters étaient divisés. Les débats avaient été intenses. Ce rejet fut salué comme un acte héroïque par la presse, drapée dans la défense des valeurs du terroir. "Chapeau !" titra Georges Pastre dans Midi Olympique : "Le Stade rochelais, assez courageux pour se priver d’une telle aubaine, veut surtout préserver un état d’esprit. Sans doute est-il le dernier bastion qui résiste à la désagrégation générale mais c’est beau !" Denis Lalanne, de son côté, s’était déchaîné dans les colonnes de L’Équipe : "La France, terre d’asile, est devenue une sorte de Baléares des congés payés du rugby. Le problème, pour les clubs de dignité, n’a jamais été de chercher des renforts de l’autre côté des océans mais de garder ses enfants au bercail. Il ferait beau de voir qu’un avant-aile rochelais soit prié de laisser sa place, surtout pour une saison, le temps d’une passade."

Finalement, Mourie prit la direction de Paris et du Puc, attiré par le président Gérard Krotoff, estomaqué par cette histoire. Jacky Adole fut étonné de la résonance médiatique de l’affaire, même s’il reçut des témoignages de soutien : "J’ai rencontré Graham Mourie lors de la troisième mi-temps d’un match Puc - La Rochelle. Quelqu’un me présenta comme le fossoyeur de son dessein rochelais. Le capitaine des All Blacks en rit et nous nous quittâmes sur une bonne poignée de main."

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Les commentaires (1)
Gcone1 Il y a 8 mois Le 20/08/2023 à 10:53

Le club promettait beaucoup, en therme de jeu. Jusqu'à éviction de Garba puis Collazo. Ensuite, avec OGara, on est passé au jeu primaire/bulldozer sauce Munster ! Dommage !