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200 ans d'histoire (33/52) : Les Cavaliers secouent la planète

Par Jérôme Prévot
  • Andy Dalton était le capitaine de ces All Blacks pirates.
    Andy Dalton était le capitaine de ces All Blacks pirates.
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Il y a trente ans, les All Backs se lançaient dans une tournée pirate dans une Afrique du Sud mise au ban des nations. Cette aventure fit vaciller les principes de l’amateurisme et le pouvoir des fédérations.

Le printemps 1986 fut le théâtre de l’une des plus énormes secousses de l’histoire. Une équipe néo-zélandaise partit faire une tournée en Afrique du Sud, malgré le boycott du pays à cause de l’apartheid. En principe, les All Blacks auraient dû partir en Afrique du Sud en 1985, mais cette tournée fut annulée au dernier moment après un recours en justice de deux avocats d’Auckland, ce qui avait énervé les joueurs.

Les deux nations phares de l’hémisphère Sud allaient quand même se retrouver l’année suivante. Sauf qu’en 1986, cette équipe néo-zélandaise ne porte pas l’écusson officiel des All Blacks. Elle a fière allure puisqu’à deux exceptions près, elle est la réplique de la sélection qui aurait dû partir un an plus tôt. Dans ses rangs, des cadors comme le talonneur et capitaine Andy Dalton, les deuxième ligne Andy Hadden et Gary Whetton, les numéros 8 Murray Mexted ou Wayne Shelford, l’avant-aile Jock Hobbes, l’ouvreur Grant Fox. Ils sont managés par deux "monuments" des années 60, Colin Meads et Ian Kirkpatrick.

Seuls deux internationaux ont déclaré forfait : John Kirwan, le jeune ailier qui s’était engagé en Italie, et le demi de mêlée David Kirk, resté fidèle à ses convictions (mais on dit qu’un tampon sud-africain sur son visa prouve qu’il a hésité jusqu’au dernier moment). Cette proportion écrasante démontre bien à quel point les joueurs étaient prêts à défier les pouvoirs établis et même l’opinion publique.

Le clin d’œil cynique des Springboks à leurs procureurs

L’affaire des Cavaliers se double d’une facette financière qui finit de jeter le trouble. C’est le clin d’œil cynique des Springboks à leurs procureurs. Le boycott a transformé leur pays en "zone grise" du rugby international. Puisque le rugby officiel et amateur ne veut pas d’eux, les Sud-Africains décident de semer la zizanie en "invitant" de grands joueurs… pas pour rien. On murmure que les Néo-Zélandais ont reçu l’équivalent de 440 000 francs sur un compte bloqué à Hong Kong. À la manœuvre, Louis Luyt, président du Transvaal, et Robert Denton, le directeur de l’Ellis Park de Johannesbourg.

Les All Blacks en ont marre de chausser les crampons pour des queues de cerise. Ces matchs, ils iront les jouer. Qui pourrait les en empêcher d’ailleurs ? "À titre individuel, je ne vois aucune raison pour que les All Blacks ne puissent pas se rendre en Afrique du Sud. Nous n’approuvons pas cette attitude mais nous n’y pouvons rien", commente le Premier ministre néo-zélandais David Lange. Les joueurs prennent l’avion par petits groupes ou en solo. Le sulfureux Andy Haden se fraie un chemin au milieu de manifestants hostiles. Tout le monde se retrouve à Johannesbourg. Meads, Kirkpatrick et Dalton lancent la tournée par un communiqué de presse où ils se baptisent eux-mêmes "Cavaliers" pour éviter tout surnom désobligeant.

Pour la première fois, une équipe internationale se prend en main sans la tutelle des Fédérations. Les joueurs sont invités avec leur famille dans des palaces, ils arborent à l’entraînement les logos des grands équipementiers. L’Afrique du Sud ne manque pas de richesses, de grands stades, de belles entreprises et de puissantes chaînes de télévision, d’ailleurs les matchs des Cavaliers sont sponsorisés par deux partenaires privés : Toyota et les Pages Jaunes de l’annuaire. Les douze matchs se déroulent dans des stades pleins qui laissent 13 millions de francs dans les caisses de la Fédération sud-africaine. La SARFU accorde même une cape officielle aux quatre tests-matchs. Les Boks en gagnent trois et ne cèdent le quatrième que d’un point. Le centre Dannie Gerber, l’ouvreur-capitaine Naas Botha et le talonneur Uli Schmidt font un festival. Le pied de nez des Sud-Africains est complet.

Tout le monde comprend qu’après cette expérience baroque, le rugby ne sera plus jamais le même. Le pouvoir des Fédérations vacille parce que le professionnalisme est devenu inéluctable. Ni l’International Board, ni la Fédération néo-zélandaise n’oseront vraiment sanctionner les All Blacks dissidents. Les autorités préfèrent rester molles car elles savent qu’une réaction sévère pourrait tout faire exploser. Les joueurs exclus pourraient très bien lancer un circuit professionnel privé, on dit même que l’Afrique du Sud a un projet de Coupe du monde bis dans ses cartons.

Les "rebelles" n’écoperont que de deux matchs de suspension. Un an plus tard, dix Cavaliers seront sélectionnés pour la première Coupe du monde. L’enquête lancée pour déterminer si les joueurs ont vraiment touché de l’argent n’aboutira jamais.

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