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Coupe du monde rugby 2023 - Un premier match qui promet un dernier choix ardu

Par Vincent Bissonnet
  • Louis Bielle-Biarrey après son premier essai en Ecosse.
    Louis Bielle-Biarrey après son premier essai en Ecosse. Patrick Derewiany - Midi olympique - Patrick Derewiany - Midi olympique
Publié le Mis à jour
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À Edimbourg, une équipe de France très expérimentale et rajeunie a martyrisé l’Ecosse avant de flancher sur la fin. L’émulation demandée aux nouveaux venus et aux revenants a globalement fonctionné. La sélection finale promet d’être ardue. Et c’est tant mieux.

En passant de l’autre côté du Mur d’Hadrien vendredi dernier, le XV de France a franchi une frontière spatiotemporelle. À Édimbourg, les premiers jours d’août avaient des airs de février : samedi, au pied du château, la température excédait péniblement la barre des 10 degrés, la cathédrale de Murrayfield, joliment garnie, a vibré comme à ses plus belles heures et le XV du Chardon était prêt à piquer de ses épines les plus urticantes, les Fagerson, Jones, Van der Merwe et Russell – plus affûté que jamais, soit dit en passant. En ce jour de Galles-Angleterre et d’Irlande-Italie, l’Écosse-France préparatoire avait une fière allure d’affiche du Tournoi des 6 Nations. À quelques différences près. Une vingtaine d'exceptions, de taille et de poids, nommées Dupont, Alldritt, Ntamack, Marchand… Pour le galop d’essai inaugural à la Coupe du monde, Fabien Galthié avait, en toute logique, décidé d’accorder majoritairement sa confiance à des petits nouveaux ou à des revenants. Pour voir et savoir.

Résultat ? Il a vu et, s’il n’a pas vaincu, il n’est pas reparti déçu. Comme si le simple fait d’enfiler la tunique tricolore conférait une force surnaturelle, les Bleus du jour ont livré un premier acte digne de leurs illustres partenaires. Pendant quarante minutes, les 56 000 supporters locaux n’ont eu de cesse de se pincer pour s’assurer de la véracité de ce qui se tramait sous leurs yeux : leurs champions, ceux-là mêmes qui ambitionnent de s’extirper d’une poule comprenant l’Afrique du Sud et l’Irlande au Mondial, recevaient une leçon de maîtrise et d’efficacité de la part d’une formation expérimentale affichant 12 sélections de moyenne. À la 12e minute justement, la bande inscrivait ainsi une merveille d’essai de 60 mètres, avec Brice Dulin à l’initiative, le duo Gailleton-Bielle-Biarrey à la baguette et Baptiste Couilloud à la conclusion. Ramos, Fickou, Penaud et Dupont ne l’auraient pas jouée autrement… À force d’exploits retentissants et étonnants, les troupes de Galthié ont fini par banaliser l’extraordinaire. Quoi qu’il en soit, les premiers pas des intrépides du jour, dans l’antre de la cinquième nation mondiale, tenaient bel et bien du tour de force, mentalement et rugbystiquement parlant. Le deuxième essai inscrit par Louis Bielle-Biarrey, avec une facilité déconcertante, confinait même à l’insolence. « On a senti des joueurs totalement libérés, totalement dans l’action. Ils se sont montrés ambitieux », soulignait Fabien Galthié au coup de sifflet final. Émilien Gailleton, acteur de la performance, s’en étonnait à demi-mot : « On a joué proprement, avec lucidité. On a survolé le jeu en première période. »

« Un maître mot : le nous passe avant le je »

La suite des événements a rétabli la logique dans des proportions regrettables pour les visiteurs. Avec un mois de préparation supplémentaire dans les jambes et un vécu collectif tout autre en leur faveur, Finn Russell et compagnie ont fini par ramener de la raison dans l’irrationnel. À la réflexion, voir une équipe de France « C » – sur le papier, entendons-nous bien… – renverser le XV du Chardon « premium » sur ses terres aurait tenu de l’indécence ou presque. En compétiteurs élevés à bonne école, les beaux perdants du jour ne pouvaient se contenter de cet honorable statut. Yoan Tanga, lèvres pincées, n’en démordait pas dans les coursives de Murrayfield: « On a pris du plaisir, on a marqué de beaux essais, on a fait une première période de rêve mais ça n’a servi à rien. »
Si ça peut vous rassurer cher Yoan, c’est loin, très loin de n’avoir servi à rien. La vision du tableau d’affichage avait, il est vrai, de quoi provoquer un pincement au cœur en quittant le stade mais l’essentiel était ailleurs. La vérité aussi : « Quand on joue une telle rencontre, c’est qu’on recherche un contexte de compétition, replaçait le sélectionneur. C’est ce qu’on est venu chercher ici à Édimbourg, face à cette équipe d’Écosse. Dans l’analyse du match et dans le vécu collectif du staff et des joueurs, tout est intéressant à analyser, à revoir. Surtout à vivre. Chaque match international est une expérience collective. » Et le supremo de rabâcher, au risque de se répéter : «Depuis quatre ans, je vous dis que l’émulation est bénéfique à l’équipe de France. » On est forcé de le croire. Et ce, même dans le contexte si particulier que des millions de sélectionneurs en tongs connaissent… Avec le couperet de la liste finale à l’horizon du 21 août, les coéquipiers d’aujourd’hui peuvent autant être des partenaires que des concurrents. Telle est la règle du jeu. Et le principe de ce froid calcul : 42-9 = 33. «On le savait dans un coin de notre tête, certains jouaient leur place pour le Mondial, soufflait après coup Yoan Tanga. Mais il y a un maître mot au sein de la sélection : le nous passe avant le je. » La promesse, si jolie à l’oreille, pourrait tenir du serment d’hypocrites si elle n’était pas suivie dans les actes. Au regard du visage affiché en Écosse, les enjeux personnels et la cause nationale convergent visiblement dans un même sens. Le conflit d’intérêts est évité : tout le monde veut prendre sa place, mais pas n’importe comment.

La prophétie de Townsend

À Édimbourg, le XV de France a effectué un nouveau petit pas en avant dans son épopée au long cours et a obtenu la confirmation de ce que l’on constate régulièrement sans jamais s’en lasser : à Marcoussis, même la doublure du remplaçant – ou du finisseur, selon la terminologie voulue – est un joueur de très haut niveau. Au point que le processus de sélection des 33 élus va atteindre un stade de complexité inédit. Peut-on aujourd’hui concevoir de se passer de l’électrique Louis Bielle-Biarrey pour le Mondial ? Comment trancher entre le convaincant Émilien Gailleton, meilleur marqueur du Top 14, et Arthur Vincent, exemplaire à Montpellier comme en Bleu ? Paul Boudehent et Yoan Tanga, arrivés avec l’étiquette de joueurs de complément, n’ont-ils pas des qualités rares à même d’apporter une plus-value notable à ce collectif ? Et ne serait-ce pas une injustice, in fine, qu’Antoine Hastoy, buteur en or de La Rochelle, héros de la dernière finale de Champions Cup, assiste à l’événement depuis son canapé ? Des interrogations, en veux-tu en voilà. Le détour écossais a probablement apporté autant de réponses qu’il ne soulève de questions. Les performances relativement mitigées, sans pour autant être décevantes, des Dulin, Moefana et Couilloud, pour ne citer qu’eux, sont au passage venus entretenir un peu plus le flou autour de l’identité des « jokers Coupe du monde ». Comprenez par là, la dizaine de privilégiés amenés à accompagner les cadres connus et reconnus.

Alors, boss, prêt pour quelques nuits blanches d’ici le 21 ? « Pourquoi aurais-je mal à la tête ?, en souriait Fabien Galthié. Au contraire, cela nous met en joie. Nous sommes très heureux quand les joueurs sont performants, malheureux dans le cas contraire. » Croisé une bière à la main et un large sourire aux lèvres dans les coursives de Murrayfield, le plus Français des Écossais, Gregor Townsend, peinait à contenir sa jalousie face à l’abondance de biens dont dispose son alter ego : « Quand je vois que vos deux révélations derrière auraient dû jouer le Mondial des moins de 20 ans, c’est ahurissant. Ils ont été épatants. Vous avez un réservoir de joueurs unique. La France a tout pour vivre des années dorées à l’avenir. » Merci Mister Townsend pour la bienveillante prophétie. Mais pour commencer, trois mois suffiraient allègrement à nous combler.

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