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Antoine Dupont, la saga : "Briseur de codes" d'un poste où il n'aimait pas jouer (6/9)

Par Nicolas Zanardi
  • Antoine Dupont lors de la finale de Top 14 face au Stade rochelais.
    Antoine Dupont lors de la finale de Top 14 face au Stade rochelais. Icon Sport - Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Antoine Dupont est le premier à admettre à ses débuts qu’il ne remplissait pas "les critères de base" d’un poste qui ne le faisait "pas rêver". Mais c’est toutefois au fil des saisons, et sans jamais dénaturer son jeu, qu’il est devenu une référence mondiale dans le rôle de demi de mêlée, qu’il a tout bonnement révolutionné avant d’en apprécier tous les aspects…

Peut-on vraiment devenir le meilleur joueur du monde, en évoluant à un poste que l’on n’apprécie pas plus que cela ? On serait presque tenté de parvenir à ce raccourci à l’heure de retracer le rapport tortueux d’Antoine Dupont avec le numéro 9, qu’il n’a véritablement endossé que contraint par son gabarit au moment de passer chez les pros, lors de son arrivée à Castres. En effet, durant ses jeunes années gersoises jusqu’à la finale du championnat de France Crabos perdue contre le Racing 92 (23-18), c’est essentiellement au poste d’ouvreur que le jeune Dupont s’est régalé, avant de se ranger devant l’évidence à sa majorité. "À la base, le poste de numéro 9 ne m’a jamais fait rêver, nous confiait-il voilà deux ans, peu après le doublé Brennus-Champions Cup réalisé avec le Stade toulousain. Je n’y jouais pas en club. Je n’y ai commencé que dans les sélections régionales et nationales, en moins de 17 ans et moins de 18 ans. Ce n’est que lorsque je suis parti à Castres que j’ai compris que, si j’espérais jouer un jour au niveau professionnel, ce serait à la mêlée. "

Un constat qui n’empêcha toutefois pas Dupont de conserver son appétence pour les courses ballon en main et le jeu des duels, sans lesquels il n’envisagerait même pas de prendre du plaisir sur un terrain de rugby. "Depuis toujours, j’ai aimé me mesurer à plus grand et plus gros que moi, j’ai toujours eu ce désir d’attaquer, de jouer mes duels. Sur le terrain, il faut avoir cet aspect animal, cette rage de dominer. Gagner un duel, c’est une situation euphorisante, ça génère une adrénaline qui rend accro. C’est une facette que tu es obligé d’avoir si tu veux être dominant, que j’avais d’ailleurs presque à l’excès. Jeune, je ne faisais pas trop de passes, je ne pensais qu’à mettre le ballon sous le bras, gagner mes duels et marquer. Cela a toujours été ma marque de fabrique." Un côté "perso", quoi… Pas vraiment compatible avec le poste de numéro 9, nous direz-vous ? Précisément. C’est en cela que ses débuts au niveau professionnel avec Castres et Christophe Urios furent parfois compliqués, qui admirait autant qu’il lui reprochait ses "duponades" et lui préférait alors Rory Kockott, davantage à l’écoute de son plan de jeu.

Toulouse, le transfert qui a tout changé

Sauf qu’à ce stade de l’histoire, le génie de Dupont aura précisément été "d’obliger" par la suite ses équipes à évoluer en fonction de ses appétences, notamment à partir de son départ pour le Stade toulousain où Ugo Mola eut l’intelligence de lui laisser les clés du camion, quand Dupont eut celle d’évoluer à son tour. "Il y a quelques années, on voyait peu de demis de mêlée porter les ballons. C’était surtout des éjecteurs, des gestionnaires, et je ne me retrouvais pas là-dedans. Lorsque je voyais un 9 qui n’avait pas fait un plaquage, parce qu’il était replacé dans le second rideau, et qui n’avait fait que des passes et des jeux au pied, je me disais que je me serais fait ch… à sa place. Je connais les situations de jeu qui me procurent du plaisir : je fais en sorte de les vivre un maximum de fois, tout en gardant à l’esprit qu’il ne faut pas que ce soit au détriment de mes coéquipiers." Lesquels le lui rendent dès qu’ils le peuvent, et notamment ses avants, qui ne manquent jamais de le suppléer lorsque leur demi de mêlée se trouve pris dans un ruck. De quoi penser que Dupont ne peut vraiment jouer son meilleur rugby qu’avec Toulouse, où tous les avants sont formatés dans cette polyvalence des rôles, ou en équipe de France dont la moitié du pack est constituée de Stadistes ? On ne serait pas loin de le penser, oui, quand bien même cela serait un peu réducteur. "Je ne suis pas toujours à la place à laquelle je devrais être, je le sais bien. Mais j’affectionne ce style de jeu et mes entraîneurs qui ne me brident pas là-dessus. Ugo Mola ne m’a jamais fait de réflexion même si, comme Fabien Galthié, il me dit de coller un peu plus au ballon parfois. Il peut m’arriver d’être un peu en retard, mais ils savent que ça fait partie de mon jeu. J’ai la chance d’avoir quasiment carte blanche."

"Ministre de l’intérieur"

Il faut dire, ici, que les retards ne Dupont ne doivent pas toujours à une implication dans un ruck de trop, mais à une de ses anticipations qui le voient se projeter régulièrement devant le ballon, à l’affût d’une prise d’intervalle d’un de ses partenaires. Une « science » qui lui a valu le surnom de "ministre de l’Intérieur" mais qui n’en est heureusement pas une exacte, quand bien même Dupont ne se trompe pas souvent, après avoir passé des heures à décortiquer les courses des précurseurs en ce domaine que furent les All Blacks Aaron Smith ou TJ Perenara, notamment lors du Mondial 2015. Cette capacité à arriver à l’heure (ou à faire en sorte que ses retards ne soient pas trop pénalisants pour son équipe) relevant quant à elle de ses qualités physiques tout bonnement exceptionnelles sur le plan de la vitesse comme de l’endurance, qui permettent à Dupont d’accélérer, décélérer puis remettre un coup d’accélérateur à n’importe quel moment du match, et particulièrement lorsque ses adversaires sont cramés. Une capacité à "jouer juste" qui s’est doublée avec les années d’un sens tactique aiguisé par plusieurs saisons de "plans ani-Dupont", dont l’intéressé a fini par trouver la clé petit à petit en relevant son dernier challenge : celui d’aimer le poste de demi de mêlée pour ce qu’il a de plus singulier, à savoir la stratégie pure et dure et tout ce qu’elle implique en termes de précision technique, notamment au niveau du jeu au pied qu’il a travaillé comme un forcené après sa rupture des ligaments croisés en 2018, poussant après le Mondial 2019 le vice jusqu’à bosser davantage son pied gauche que son pied droit, afin d’éviter de subir les douleurs au dos qui le perturbaient régulièrement alors…

De plus en plus stratège

Le premier à l’admettre ? Ce n’est nul autre que lui-même, qui nous confiait peu après la finale face à La Rochelle sa certitude d’avoir fait évoluer son jeu, inévitable à force d’enchaîner les rencontres (il vient de terminer sa troisième saison à plus de 2000 minutes,). "Il me fallait avoir plus de variations dans mon jeu, de justesse dans mes choix, et aussi m’économiser des contacts inutiles, s’amusait-il. Contre l’Écosse pendant le Tournoi, je n’ai pas pris un seul contact et je crois que cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps. Malgré cela, les prestations collectives demeuraient abouties, parce que j’étais plus efficace sur d’autres choses, comme l’animation offensive, l’organisation des sorties de camp. Moi, je me retrouve dans un rôle différent mais je parviens à être également performant ainsi. Je vieillis, je prends peut-être en maturité." Le meilleur exemple demeurant probablement sa finale contre La Rochelle où, après avoir maintenu le Stade sous respiration artificielle par d’énormes sorties de camp (des deux pieds !) en deuxième période, Dupont a contribué à faire basculer la partie sur la dernière action, en piégeant aussi bien les avants rochelais qui se massaient sur les bordures pour le surveiller que Seuteni un cran plus au large. "À ce moment du match, je savais qu’il fallait provoquer. Dès qu’il y avait une libération rapide, je cherchais à porter le ballon pour amener du danger, parce qu’on savait les Rochelais très denses autour des rucks. Sur le coup, je commence par faire deux, trois pas et je vois Seuteni qui commence à monter. Je tends la passe pour Romain qui s’écarte dans le même temps, ce qui lui permet de battre Seuteni sur la passe. Derrière, il y a le plaquage manqué de Leyds et après il n’y a plus personne, plus qu’à courir. Au début, j’ai sprinté car je ne voyais pas qu’il n’y avait pas de couverture. Et là, quand il reste 20 mètres, je comprends qu’il va y aller. Tu as presque envie de pleurer alors que le match n’est même pas terminé." Des émotions fortes, aux antipodes de celles du "joueur de duel" qu’il a toujours assumé être, mais finalement si révélatrices du parcours sportif d’Antoine Dupont. "C’est tout de même le rôle premier du demi de mêlée que de faire des passes et de faire jouer son équipe, souriait-il. C’est vrai que j’ai bousculé un peu tout ça, avant. Je ne remplissais pas les critères de base, mais j’ai évolué dans mon rugby, et je prends désormais autant de plaisir à faire briller les autres qu’à briller moi." Ou comment avoir réussi la gageure de révolutionner à la fois son poste et son sport, sans avoir eu l’air d’y toucher…

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Les commentaires (2)
CasimirLeYeti Il y a 8 mois Le 07/08/2023 à 01:04

Confondant de naturel et de clairvoyance, ce joueur ! J'ai fait partie de ces anciens joueurs qui aiment les demis de mêlée éjecteurs comme à 13 ou de mon bonhomme d'il y a une décade ou deux, Peter Stringer ! Donc, un demi de mêlée qui portait la balle à la Byron Kelleher, ça me laissait froid quand j'étais calme et pire, quand ça chauffait style "P... ! Tu vas la filer, ta gonfle !". Mais l'ancien 10, il a compris que son salut passait par plus de distribution et plus de gestion. Et c'est là qu'il est phénoménal, notre Super-Dupont national... Ça ne l'empêchera jamais de prendre un trou quand une fenêtre se propose mais il est désormais hyper complet et capable de changer de stratégie en cours de match et ça c'est tout bonus pour notre équipe de France !

Nigeou Il y a 8 mois Le 06/08/2023 à 22:21

C'est un génie du Rugby.