Abonnés

200 ans d'histoire (31/52) - Les Wallabies font irruption

  • Mark Ella avec le maillot des Wallabies
    Mark Ella avec le maillot des Wallabies Dessin par Fabien Agrain-Védille
Publié le
Partager :

En 1984, l’Australie sidère le monde en réussissant le Grand Chelem dans les Îles Britanniques. Les Wallabies d’Alan Jones et de Mark Ella font une entrée fracassante dans le gotha mondial avec un jeu révolutionnaire.

Il n’est pas si fréquent de voir un pays faire son entrée dans le cercle fermé dans les nations majeures, surtout en rugby, sport rétif par nature aux changements de hiérarchie. Ce phénomène, nous l’avons vécu intensément avec l’Australie de 1984, une équipe au jeu aussi chatoyant que la couleur tango de ses tuniques. Cet automne-là, les Wallabies commandés par le centre Andrew Slack réussirent le grand chelem dans les îles britanniques, une première. En 1981-1982, ils avaient esquissé cette performance, en perdant trois matchs sur quatre, mais en marquant chaque fois plus d’essais que leurs vainqueurs. L’édition 1984 permit donc aux Australiens de faire aussi bien que les All Blacks de 1978 et les Sud-Africains de 1913, 1932, 1952 et 1961.

C’est un succès énorme pour une nation qui passait pour le parent pauvre de l’Hémisphère sud, la preuve, les Lions ne lui accordaient pas de tournée spécifique. Elle n’était vue que comme un hors-d’œuvre ou un dessert intégrée aux tournées en Nouvelle-Zélande. En plus de ce grand chelem, les Australiens entraînés par le sémillant Alan Jones (lire ci-dessous), ont réussi avec un jeu nouveau, basé sur un principe fondamental, les attaques à plat, à rebours des conventions qui réclamaient un positionnement en profondeur. Il était piloté par une individualité extraordinaire : le demi d’ouverture d’origine aborigène, Mark Ella, lanceur d’attaque hors pair. D’une vivacité affolante, il trouvait dans ses courses des angles inédits pour servir ses partenaires, lancés dans la défense adverse (puisque justement, ils attaquaient à plat) et quand les défenses adverses montaient trop vite sur ses centres, il parvenait à s’infiltrer lui-même, comme aucun ouvreur n’était parvenu à le faire avant lui (revoir le match Angleterre-Australie, 3-19).

A lire aussi : 200 ans d'histoire (30/52) : comment le rugby divisa une Nation...

Un jeu d’un nouveau type

Leurs passes étaient rapides, précises, accomplies dans le temps juste et surtout, les passeurs avaient assez de condition physique ou d’automatismes pour tenter des redoublées avec leur receveur. C’est une des marques de fabrique qui est restée dans nos mémoires, ces redoublées des maillots orange qui venaient crépiter aux yeux de la vieille Europe. L’essai d’Ella face aux Anglais fut marqué ainsi après relais de Lynagh, mais la combinaison prévue était plus sophistiquée, Elle sut s’adapter dans l’instant à la pression défensive adverse en jouant sa carte personnelle. Contre l’Irlande pour le troisième match (15-9), il marqua encore en redoublant tous ses trois-quarts, et notamment David Campese pourtant servi en bout de ligne et réputé assez personnel sur les ballons d’essai. Le tout premier match un mercredi soir d’octobre dans un Twickenham évidemment non rempli avait fait figure d’avertissement ; victoire 22-3 face à une sélection de Londres et les premiers témoignages d’un jeu d’un nouveau type, une impression d’ubiquité et de surnombre en faveur des Australiens. Cette mitrailleuse rugbystique était alimentée par un pack renouvelé. Curiosité : il abritait un pilier gauche… argentin Topo Rodriguez, qui avait traversé le Pacifique pour pratiquer son sport dans de meilleures conditions. Il n’y avait pas vraiment de règle à l’époque, en 83, il portait encore le maillot des Pumas. En 84, il enfilait celui des Wallabies pour fortifier leur mêlée fermée, jusqu’ici assez erratique.

Il fut vraiment récompensé à Cardiff quand le pack orange mit le pack gallois sur les fesses à cinq mètres de sa ligne pour un essai du numéro Steve Tuynman. En termes de conquête pure, cette tournée marqua aussi la révélation de Steve Cutler comme sauteur hors pair, mais sur le plan du jeu avec un grand J, on nota aussi cette capacité à utiliser les regroupements comme des accélérateurs de jeu, une autre découverte pour nos yeux si conservateurs. Quand un joueur est pris avec le ballon, le premier partenaire qui arrivait devait lui prendre la balle, et les autres viennent faire l’étayage. La chose est pensée pour ne pas mobiliser tous les avants dans les rucks, ainsi on s’offre des chances supplémentaires de surnombre si le jeu rebondit. Les deux flankers, Simon Poidevin et David Codey font une "fixation" sur cet aspect du jeu, pour la première fois on parle de "points de rencontre." Le résultat de ce cocktail fut proprement étourdissant, il se termine par deux festivals face aux soi-disant deux meilleures équipes : un 28 à 9 face aux Gallois et un 37-12 face à l’Écosse qui sortait d’un grand chelem. Rugby de tourbillon et de courses à se faire éclater les poumons. John Dawes, ancien capitaine des Lions et du pays de Galles souligna : "Vous nous avez mis en deuxième division, votre rugby est superbe. Nous devons nous en inspirer."

Une justice pour Bob Dwyer

La tournée de 1984 fut le point de départ d’une période dorée pour l’Australie, dont le point d’orgue fut le titre mondial de 1991 gagné à Twickenham face à l’Angleterre. Sept ans après, on retrouvait dans cette équipe Michael Lynagh, David Campese, Nick Farr-Jones (devenu capitaine), Simon Poidevin. L’équipe était entraînée par … Bob Dwyer car l’entraîneur malchanceux de la période 1982- 1983, revint aux commandes des Wallabies à partir de 1988. Alan Jones n’avait pas survécu à la défaite en demi-finale de la Coupe du monde 1987 face à la France après un match magnifique. Il fut donc remplacé par son prédécesseur, celui qui avait été à l’origine du style révolutionnaire de 1984. Bob Dwyer eut donc une deuxième chance et ne la gpacha pas loin de là. Il fit débuter une deuxième vague de talents exceptionnels, les Tim Horan, Jason Little ou Phil Kearns, lancés très jeunes dans le grand bain.

A lire aussi : 200 ans d'histoire (29/52) : 1978, Béziers réinvente le rugby

Alan Jones, un touche à tout surgit à point

Qui était donc derrière ce rugby d’une ambition aussi novatrice ? Deux techniciens avaient préparé cette épiphanie. Mais ils n’étaient pas ensemble dans les tribunes de 1984. Bob Dwyer avait entraîné la sélection de 1982 à 1983, avec le germe des idées neuves importées de Randwick, son club de la banlieue de Sydney. Mais il avait été congédié pour être remplacé par un drôle de zigoto, Alan Jones, prototype du mégalomane haut en couleur. C’était lui le sélectionneur en 84. En caricaturant, on dirait qu‘il a surgi à point nommé pour récolter les semailles de son prédécesseur, technicien très pointu. L’affaire avait fait grand bruit en Australie, parce qu’Alan Jones n’avait jamais joué et ne se vendait pas comme un grand connaisseur du jeu, mais il avait battu Randwick avec son club de Manly, autre club de Sydney. Pour arracher ce poste tant convoité, il avait montré ses qualités de manœuvrier en séduisant les dirigeants appelés à voter. Ils étaient partagés entre les hommes du Queensland et deux du New South Wales. Jones sut trouver les arguments et exciter les ressentiments pour obtenir la couronne, au grand dam des joueurs qui adoraient Dwyer, à l’instar de Mark Ella. Une rumeur de grève se répandit, Jones répondit en retirant le capitanat à Mark Ella au profit d’Andrew Slack. Alan Jones était une grande gueule, un touche à tout, animateur de radio, écrivain des discours du Premier ministre. Avec les Wallabies, il fut aussi un animateur hors pair des conférences de presse, mais ses détracteurs furent obligés de reconnaître qu’il savait manager un groupe et surtout tirer le maximum de chaque joueur. Il les fit travailler très dur, et leur forgea un moral de vainqueur. Il commanda un joug spécial pour cette tournée de 1984. Il sut aussi s’entourer d’un adjoint discret, spécialiste du jeu d’avants : Alec Evans qui sut apporter son écot à ce parcours fondateur.

Campese et Ella, deux mythes

Le grand chelem 1984 a révélé plusieurs talents éclatants. Le grand public a retenu en priorité deux attaquants de génie, l’ailier David Campese et l’ouvreur Mark Ella. Campese était capable d’intervenir partout dans la ligne de trois quarts, ce qui n’était pas si fréquent. Il usait aussi de son fameux « pas de l’oie » pour désorienter les défenseurs. Défenseur très moyen, il fut l’un des attaquants les plus inventifs de l’histoire. Son total de 64 essais fut le record du monde pendant onze ans. Mark Ella a laissé une trace différente car il arrêta sa carrière à 25 ans, sans raison particulière. Tous les témoignages en font un joueur unique par son talent propre (lire ci-dessus) et sa position, très près de son demi de mêlée en lui demandant la passe la plus rapide possible. Son talent résidait dans sa façon d’attirer le troisième ligne adverse à lui sous un certain angle de course pour l’empêcher de poursuivre sa course vers les centres s’il parvenait passer le ballon.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?