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Bakkies Botha, champion du monde avec les Springboks : "Le rugby d’aujourd’hui ne me conviendrait pas"

Par Marc Duzan
  • Bakkies Botha en 2014 lors d'un match face au pays de Galles.
    Bakkies Botha en 2014 lors d'un match face au pays de Galles. Howard Cleland / Icon Sport - Howard Cleland / Icon Sport
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Aujourd’hui âgé de 43 ans, le Sud-Africain Bakkies Botha fut sans nul doute l’un des plus grands deuxième ligne de l’histoire de ce jeu. Pour nous, l’ancien Toulonnais parle de chasse à l’antilope, de mines de diamants, de l’accueil musclé que lui avaient un jour réservé les avants brivistes, de la fois où Carlos Spencer l’avait carrément vexé, de la silhouette de Paul Willemse et même de son passé de buteur… Après vous, Bakkies !

Vous avez mis fin à votre carrière de rugbyman il y a désormais huit ans. Que faites-vous, désormais ?
La vie est douce. Je suis toujours dans ma ferme, au milieu du bush. Je travaille avec des compagnies qui organisent des ventes aux enchères sur du bétail lourd, comme des taureaux, des vaches ou des bœufs… J’ai aussi investi dans des mines situées près de Johannesburg : on s’occupe des forages, des constructions, du matériel de base. En fait, je produis d’énormes pompes qui permettent d’extraire la pierre, le diamant, le nickel… Entre la mine, le bétail et les vaches, je suis assez occupé.

À quelle heure vous levez-vous, le matin ?
Ça dépend… 4 heures, parfois 5… Mais je suis en pleine forme, ma famille aussi et j’ai du boulot : c’est tout ce qui compte.

Chassez-vous encore ?
Bien sûr ! La chasse, c’est ma façon à moi de m’échapper. Je passe quelques jours dans le bush, avec mes chiens et mon fusil. On chasse l’antilope et le koudou. Dans le bush, il n’y a que moi, des animaux sauvages et, aux alentours, les chacals qui rôdent la nuit. Le bush, c’est un endroit incroyable. Lors des Oscars Midol, j’ai d’ailleurs dit à John Eales et Kieran Read de passer me voir. J’aimerais leur faire découvrir la brousse.

Quelle fut votre plus grosse prise, à la chasse ?
En Afrique du Sud, il est interdit de chasser ce que j’appelle le " big five ", les éléphants, les lions, les girafes, les tigres et les rhinocéros. On se doit de protéger ces beautés. En revanche, j’ai un jour profité d’un voyage en Nouvelle-Zélande pour chasser un Red Stag, un de ces énormes cerfs de 250 kg qui ont envahi l’île. Les bois de cet animal étaient gigantesques ! J’avais l’air d’un nain, à côté de lui ! Un jour, j’irai chasser l’élan au Canada… C’est l’un de mes rêves…

Quel âge ont vos enfants, désormais ?
Le plus vieux a 18 ans et termine ses études. Les deux derniers sont encore adolescents. Ils ont 14 et 16 ans. Mes deux garçons adorent jouer au rugby et tous leurs potes leur parlent de mes vidéos, sur You Tube. Mais ils s’en foutent et c’est mieux ainsi. Mes garçons doivent vivre leur vie, pas celle de leur père. Et quoi qu’ils fassent de leur futur, je les supporterai.

Le rugby ne vous manque-t-il pas ?
Ma carrière fut une bénédiction. J’ai remporté toutes les compétitions auxquelles j’ai participé : le Top 14, la Champions Cup, la Currie Cup et la Coupe du monde. Cela n’aurait pas pu être plus beau. […] John Eales me demandait récemment si je ne voulais pas entraîner. J’ai répondu que non : le rugby était une partie de ma vie, pas toute ma vie.

Les matchs internationaux sont aujourd’hui rythmés par les cartons rouges pour plaquage haut, déblayage dangereux… Le rugby devient-il fade, trop doux ?
Je ne dirais pas ça… Je comprends la problématique de World Rugby et des arbitres du circuit international. Ils se doivent de protéger les joueurs. Mais notre jeu devient frustrant, haché, inconsistant…

Comment ça ?
D’un match à l’autre, l’interprétation des arbitres varie. En tribunes ou devant leur télé, les gens n’y comprennent plus rien… Et puis…

Quoi ?
J’ai l’impression qu’il y avait sur le terrain plus de personnalités à mon époque. Aujourd’hui, les joueurs se ressemblent tous, finalement. […] Moi, on m’appelait l’exécuteur et j’aimais ça. Je trouvais que ça donnait du piment au grand show. Parce que c’est aussi ça le sport pro, n’est-ce pas ? […] L’évolution des règles a fait disparaître "les exécuteurs" dans mon genre : tu ne peux plus faire du grabuge comme je le faisais dans les rucks. Le rugby d’aujourd’hui ne me conviendrait pas, je crois.

À ce point ?
J’ai rejoint la France en 2011 parce que le rugby international ne me correspondait plus : il était devenu trop stratégique, trop réfléchi… Il ne laissait plus les joueurs exprimer leur flair, leur vraie nature… J’ai alors découvert en Top 14 le championnat qui me convenait : brutal mais dans les règles. J’adorais ça. J’aimais aller à Agen, à Brive, à Grenoble et combattre sur des terrains gras. […] La plus grosse blessure de ma carrière, je l’ai d’ailleurs vécue en Top 14. À Brive, on m’avait cassé le bras (un avant du CAB fut alors suspecté de l’avoir fait de façon délibérée, N.D.L.R.). […] Le Top 14, c’était plus lent que le Super Rugby mais c’était aussi beaucoup plus physique. […] Si tu n’es pas prêt, le Top 14 te mâche, te casse, t’éjecte. Un jour à Agen, j’ai plaqué un mec. Il n’a pas apprécié et en se relevant, il m’a mis sa godasse en pleine tête. J’ai quitté le terrain avec quinze points de suture.

Vous avez croisé John Eales, lors de la cérémonie des Oscars Midol. Auriez-vous pu buter, vous aussi ?
Mais je butais, au début de ma carrière ! Regardez mes stats ! Quand j’avais 21 ans, je jouais pour le club des Falcons et il m’arrivait de taper les pénalités. (il éclate de rire) Je n’étais pas si mal, d’ailleurs. Vous voyez, vous avez une très mauvaise image de moi !

Pensez-vous que les Springboks sont capables de conserver leur titre mondial, cet automne ?
Évidemment. Je n’ai aucun doute sur mes Springboks. Mais cette Coupe du monde sera aussi la plus ouverte de l’histoire : il y a six ou sept équipes capables de remporter la compétition. Les Français, s’ils parviennent à absorber la pression de l’évènement qu’ils accueillent, seront dangereux. Les All Blacks, les Anglais, les Ecossais et les Irlandais peuvent eux aussi renverser n’importe qui. Quant aux Fidjiens ou aux Tonguiens, ils n’ont jamais été aussi armés. Ça va cogner…

Pourquoi parlez-vous de la capacité à " absorber l’évènement " ?
Parce que je sais à quel point la pression populaire, en France, est puissante. Je l’ai vécue en club et avec les Springboks. Et pour la Coupe du monde, cette passion sera décuplée.

Combien de fois avez-vous joué en France avec les Springboks ?
Un certain nombre de fois… Mais le match m’ayant le plus marqué, c’est celui de l’automne 2002, à Marseille (30-10). Ce jour-là, j’avais pris un carton jaune pour avoir donné un coup de genou au pilier français (Jean-Jacques Crenca). Au Vélodrome, je n’avais pas su gérer mes émotions : l’électricité et le bruit dans le stade m’avaient fait tourner la tête…

A-t-on souvent cherché à vous faire disjoncter, sur un terrain de rugby ?
Des dizaines de fois… À mes débuts en Currie Cup, mes adversaires me provoquaient déjà sans arrêt. Un jour, AJ Venter (ancien deuxième ligne des Sharks, N.D.L.R.) a cherché à me faire sortir de mon match. Alors, avant chaque mêlée, Craig Joubert (arbitre sud-africain, N.D.L.R.) me disait : "Reste avec moi, Bakkies. Il ne t’arrivera rien". C’était plutôt drôle.

Dans vos projections pour le Mondial, vous n’avez pas parlé de l’Australie…
Non et j’aurais dû, pourtant. Eddie Jones est un caractère. Son personnage a de l’épaisseur et me plaît. Il va s’appuyer sur le paquet d’avants des Brumbies pour densifier son équipe. Eddie veut couper avec le jeu flashy qui a desservi les Wallabies ces quatre dernières années. Il sait quel est le chemin. Avant de se rendre au Loftus de Pretoria pour affronter les Springboks, il a même annoncé que ses joueurs allaient renverser l’Afrique du Sud en mêlée fermée… J’aime ce genre de déclaration…

Parce que c’est violent ?
Non ! Je n’aime pas associer violence et rugby. Pour moi, violence rime avec couteaux et revolvers, pas avec plaquage et déblayage. […] Certains me prenaient pour un dingue à l’époque où je jouais mais il y a des choses que je ne me suis jamais permis de faire sur un terrain. Les gens pensent que je mords ma femme et que je donne des coups de pied à mes enfants. Mais je suis quelqu’un de très doux, dans la vie.

Les Springboks actuels sont lourds, très lourds : le sont-ils plus encore que vous ne l’étiez en 2007 ?
Vous êtes fou ! Si vous regardez le paquet d’avants des Springboks en 2007, vous constaterez que le mec le plus léger de la maison sud-africaine était John Smit (talonneur) et qu’il pesait 122 kg ! (il éclate de rire) Les mecs sont athlétiques aujourd’hui. Plus que nous ne l’étions, probablement. Mais nous étions plus lourds, plus brutaux. Juan Smith avait beau jouer troisième ligne, il faisait presque 2 mètres et pesait 118 kg. Mais cette évolution est normale, après tout : les Springboks d’aujourd’hui doivent coller à un plan de jeu différent du nôtre.

Puisque l’on parle des anciens Springboks, avez-vous des nouvelles de Danie Rossouw, qui fut longtemps votre coéquipier au RCT et en équipe nationale ?
Bien sûr. Danie est rentré au pays, s’occupe de sa petite famille, chasse un peu et il est heureux. Avec Danie, on joue ensemble depuis qu’on a 7 ans. Il est comme un frère, pour moi.

Votre association avec Victor Matfield fut longtemps la plus dominante de la planète, au poste de deuxième ligne. Vous ressembliez-vous, tous les deux ?
Pas du tout. (il se marre) Vic est un mec de la ville : il aime les beaux vêtements, les grandes soirées, le bling-bling… Il est flashy et je lui ai toujours dit.

Et pas vous ?
Je suis un gars de la campagne. J’aime la terre, le silence et les animaux. Mais c’est notre différence qui a fait que nous étions si forts, ensemble. Avec Victor, nous étions le yin et le yang : notre association n’en était que plus forte. Il aimait sauter en touche et disséquer le plan de jeu adverse. Je préférais faire le sale boulot dans les regroupements.

Lors de la Coupe du monde 2007, le quart de finale entre les Springboks et les Fidjiens avait été merveilleux, tant sur le plan du jeu que sur celui de la dramaturgie. Que vous en reste-t-il, au juste ?
Je m’en souviens comme si c’était hier. On pensait avoir la main sur la rencontre et soudainement, les Fidjiens s’étaient réveillés et avaient mis le feu au terrain. Il faisait très chaud à Marseille ce jour-là et nous avions souffert jusqu’au bout pour l’emporter. In fine, ce quart de finale avait forgé notre caractère. Après avoir gagné ce match (37-20), nous savions que personne ne pourrait plus nous arrêter…

Quelle opinion avez-vous de Paul Willemse, le deuxième ligne du XV de France d’origine sud-africaine ?
C’est un super joueur. Paul frappe à la porte des très grands joueurs de deuxième ligne actuels. Mais attention : le staff des Bleus doit garder un œil sur lui parce qu’il a tendance à prendre du poids… Il faut le surveiller comme le lait sur le feu… Avec quelques kilos de moins, il deviendrait un monstre.

Et vous, faites-vous encore du sport ?
À ce sujet, je fais souvent cette blague : il est très difficile d’aller courir ou transpirer tous les jours en salle de musculation quand tu n’es plus payé pour le faire ! (rires) Récemment, je me suis mis un peu au "cross fit" mais pas autant que je le souhaiterais. Et puis, la première salle de sport est à 80 kilomètres de l’endroit où je vis…

Pourquoi personne ne vous appelle John Phillip, votre véritable prénom ?
Bakkies est mon surnom, depuis mes sept ans. Quand j’étais petit, mes genoux se touchaient. À la ferme, je ne pouvais pas attraper les cochons. Ils filaient entre mes jambes et on se moquait de moi ! En Afrikaan, Bak signifie citerne.

Nous pensions qu’un Bakkie était un pick-up…
Oui, aussi. Mais on m’appelle Bakkies pour mes genoux rapprochés, pas pour ma peau dure. On m’appelle Bakkies pour les mauvaises raisons ! (rires)

Avez-vous un regret ?
Oui. J’aurais dû arriver à Toulon quatre ans plus tôt. Juste après la Coupe du monde 2007. J’avais alors préféré disputer la tournée des Lions britanniques en 2009 et c’est mon grand regret… Les Lions, c’était génial. Mais ce ne fut pas aussi merveilleux que ce que j’ai vécu un peu plus tard, au RCT.

C’est un bel hommage…
Huit ans après mon départ, mon amour pour Toulon est toujours intact. […] Moi, j’étais arrivé là-bas blessé au tendon d’Achille. Je ne pouvais même pas marcher. Mais en attendant d’être remis sur pied, je ne suis pas resté inactif. J’ai dit à Mourad Boudjellal : " J’ai 80 sélections avec les Springboks, je suis champion du monde mais je repars avec toi sur un nouveau chapitre de ma carrière. Laisse-moi huit semaines et je ferai de toi un champion d’Europe ". Je ne lui avais pas menti.

Quelle est la chose la plus dingue que vous ayez vue sur un terrain de rugby ?
Un jour où, avec les Bulls de Pretoria, nous affrontions les Blues à Auckland. Mon compère de la deuxième ligne, Geo Cronje (2m et 125 kg), a voulu nous insuffler un peu d’énergie. Il est entré sur le terrain, nous a regroupés avant une mêlée et a hurlé : "On va les défoncer ! Ces mecs sont moins forts que nous ! Allez les gars, aidez-moi à leur marcher dessus !" Mais en face de nous, il y avait un certain Kees Meuws, le plus gros pilier que je n’aie jamais vu…

Et alors ?
Kees a renversé le côté gauche de notre mêlée et derrière, Carlos Spencer a aplati un essai facile. Sous les poteaux, Carlos nous a alors regardés et lancé : "Allez, les filles ! Venez faire une mêlée sous vos poteaux, maintenant !" Je n’en croyais pas mes yeux…

Parliez-vous beaucoup, sur le terrain ?
Ça m’arrivait, oui… Avant d’affronter les Lions britanniques, en 2009, nous avions eu pas mal d’échanges par presse interposée. Le jour du premier Test, un de leurs joueurs de deuxième ligne m’a dit : "Bakkies, tu vas sortir… J’ai discuté avec ton coach, il dit que t’es cuit…"

Qu’avez-vous répondu ?
Je lui ai fait un clin d’œil et lui ai dit : "Tu vas encore m’avoir sur le dos, mon frère… Contre les petites équipes, je fais toujours 80minutes…"

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Les commentaires (2)
CasimirLeYeti Il y a 9 mois Le 26/07/2023 à 16:41

Excellent entretien qui sent bon les odeurs des terres ocres des hauts plateaux du Bush

fojema48 Il y a 9 mois Le 26/07/2023 à 13:17

Super mec certainement !