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200 ans d'histoire (27/52) : la France entre à l’International Board

  • Albert Ferrasse
    Albert Ferrasse Thierry Breton / Icon Sport - Thierry Breton / Icon Sport
Publié le Mis à jour
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Enfin la France put parler d’égale à égale avec les Anglo-Saxons quand en mars 1978, elle fit son entrée à l’International Board.

Pour le grand public, le rendez-vous fut d’abord celui de la première « finale » du grand chelem de l’Histoire. Un Galles-France à Cardiff le 19 mars 1978 avec Gareth Edwards et Phil Bennett d’un côté, Jean-Pierre Bastiat et Jean-Pierre Rives de l’autre. Mais un autre énorme événement se déroula la veille à Londres. Soixante-douze ans après son entrée dans le concert international, la France faisait son entrée à l’International Board, le saint des saints. Pour la première fois, un pays non anglophone est admis à la table de ceux qui dirigent le rugby mondial à travers un comité à la fois mythique et secret où la cooptation était la règle. Albert Ferrasse fut averti le lendemain par une tierce personne : « J’ai su plus tard que la discussion avait été sévère, mais j’ai savouré sur le moment ce succès, certainement le plus grand obtenu en tant que président de la FFR, puisqu’il plaçait notre pays sur un pied d’égalité avec l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et le pays de Galles côté nord et l’Australie, l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. »

On ne peut que comprendre l’émotion du président de la FFR, servi il est vrai par les bons résultats du XV de France et notamment ces deux grands chelems 1968 et 1977 que les caciques ne pouvaient ignorer. Depuis 1967, la France avait le droit de participer à la conférence des Cinq Nations, mais son rôle était strictement limité à la fixation des dates du tournoi. Depuis au moins quarante-cinq ans, la FFR tapait à la porte de l’IRB, elle l’avait même fait d’une façon totalement naïve en 1931 à la veille de l’exclusion du Tournoin du XV de France. Rebelote au début des années 50 au moment de la crise des 465. Il fallut donc patienter encore et encore d’autant plus qu’il n’existait pas de processus établi d’admission, mais on n’était pas convié si les puissances invitantes n’étaient pas assurées que leur proposition serait acceptée. Un vrai jeu de cache-cache diplomatique.

Des hommes de l’ombre s’affairaient

Cette entrée de la France à l’International Board doit être analysée à plusieurs niveaux. Il y avait le niveau officiel d’Albert Ferrasse mais dans la coulisse, plus discrètement, des hommes de l’ombre s’affairaient. Ils s’appelaient Marcel Martin, Antoine Bosc ou Jean-Claude Bourrier, ancien troisième ligne du Racing devenu président d’Angoulême. Marcel Martin, futur président du Biarritz olympique est le plus connu. Il était agenais comme Ferrasse et anglophone, ce que Ferrasse n’était pas. Il était entré à la FFR en 1968 comme traducteur des discours présidentiel et intermédiaire entre l’institution et le monde anglo-saxon. En plus, il vivait à Londres, employé d’une grande compagnie pétrolière. Il fut le roi de la diplomatie parallèle. En 1976, dans une discussion informelle avec l’Anglais Mickey Steele-Bodger et l’Irlandais Harry McKibbin, il avait brandi l’idée que la France pourrait carrément quitter le tournoi. Une vraie partie de poker, car la France avait beaucoup à perdre, mais les Britanniques aussi. Les recettes des matchs du Tournoi étaient en jeu, et puis le XV de France était fort, il apportait une dimension supplémentaire à la compétition. Marcel Martin jouait aussi sur le fait que la FFR en 1974 était venue au secours de la RFU après la catastrophe aérienne d’Ermenonville pour organiser un match supplémentaire au profit des familles des victimes. Martin avait répondu dans l’instant par l’affirmative à l’appel de Steele-Bodger, qui avait été sidéré par la réactivité de la Fédération française. Lui qui était habitué aux longues discussions pour la moindre mesurette. Fin 1977, Martin avait senti que c’était le moment, il avait appuyé Ferrasse pour envoyer la lettre décisive. Un autre homme, un peu oublié, avait joué un rôle important, il s’appelait Antoine Bosc, trésorier général de la FFR, parisien et haut fonctionnaire. Lui aussi parlait anglais. Il était particulièrement proche des Gallois. Le matin du 19 mars 1978, un bureau fédéral triomphant se déroula à Cardiff et Albert Ferrasse put rendre hommage au travail de ses hommes de l’ombre.

Dans Midi Olympique, à l’époque, on put lire sous la plume d’Henri Gatineau que cette admission était « un hommage rendu au sérieux et à la maturité acquise dans tous les domaines du rugby français. Mais aussi le fruit de la stabilité et de la sage gestion des structures dirigeantes de la FFR qui ont permis des contacts suivis engendrant une profonde estime réciproque. » Hommage à la stabilité et à la fermeté de Ferrasse et compagnie. Malgré l’opacité, le chroniqueur croyait savoir qu’il fallait six voix sur sept pour accepter l’accueil d’un nouveau membre. Les pointages indiquaient des soutiens massifs gallois et irlandais, une certaine bienveillance de l’Angleterre, de l’Afrique du Sud et de l’Australie. Restaient, rétives, la Nouvelle-Zélande (qui craignait un rapport nord sud trop défavorable) et l’Écosse (Fédération historiquement la plus conservatrice et la plus anti-française).

Craven et McKibbin donnent des conseils

Ferrasse, qui en plus ne parlait pas un mot d’anglais, avait compris qu’il fallait agir avec un gant de velours, à demi-mots enrobés de sous-entendus. Il se sentait proche de deux hommes, l’Irlandais Harry McKibbin (1915-2001, ancien Lion) et le célèbre Sud-Africain Danie Craven (1910-1993). Les deux lui avaient envoyé des signaux contradictoires : « Albert, si on vous proposait d’entrer au Board, accepteriez-vous ? », dit le premier. « Albert, je ne pense pas qu’il soit de votre intérêt de poser votre candidature. C’est trop tôt. Profitez de votre situation d’irresponsable, alors qu’on commence à trouver vos avis intéressants. Mais ne risquez pas un échec », conseilla le second.

La FIRA absorbée

En 1934, alors que le XV de France était exclu du Tournoi des 5 Nations, la France avait créé une Fédération internationale indépendante, la FIRA, comme Fédération internationale de rugby amateur. La France cherchait évidemment à briser son isolement en aidant le rugby dans d’autres pays. Elle se trouva des alliés tels que l’Allemagne, l’Italie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, et la Catalogne : rejoints ensuite par l’Espagne, la Suède, le Portugal et l’Italie. De nouveaux pays adhérèrent au fil des années y compris en dehors de l’Europe… La France devint donc la nation pilote des nations non anglophones, mais peu d’entre elles parvinrent à se hisser à son niveau. Seule la Roumanie put lui tenir tête par moments. L’intégration de la France à l’IRB provoqua de fait, l’intégration potentielle de la FIRA. En 1995, un de ses représentants sera élu au Conseil de l’IRB. En 1997, la FIRA s’est officiellement repliée sur l’Europe sous le nom de FIRA-AER.

Ferrasse avait appris à décrypter toutes ces confidences. En plus, il connaissait le travail fait en sous-main par ses lieutenants, Marcel Martin, André Bosc et Jean-Claude Bourrier. (lire ci-dessous). Il se permit de répondre non à McKibbin, comme ça, pour faire monter la sauce.

Quand McKibbin revint à la charge, Ferrasse répondit cette fois oui. Mais ne reçut aucune réponse. « À ma demande d’explications, on me dit que je devais poser officiellement la candidature de la France, ce que je fis aussitôt ! » On était à l’automne 1977 et Ferrasse sentit que le fameux cache-cache touchait à sa fin, mais il dut attendre six mois pour recevoir enfin la bonne nouvelle. La France aurait son mot à dire sur l’évolution du rugby, ses règles, son rapport à l’amateurisme, son calendrier. « C’est un honneur pour nous d’entrer dans cet organisme monumental par la grande porte. » Quarante-cinq ans après, on ressent encore l’émotion du placide patron du rugby français.

Désormais, une vraie Fédération mondiale

L’IRB s’appelle désormais World Rugby et l’institution a bien changé. Celle qui fonctionnait comme un club de notables est devenue une vraie Fédération internationale qui fonctionne avec un conseil de quarante membres, les huit nations de 1978 dites « fondatrices » ont deux membres chacune. Trois autres nations ont aussi deux voix : l’Argentine, l’Italie et le Canada. Les États-Unis, le Japon, la Géorgie et la Roumanie ont une voix. Les autres voix sont attribuées aux six organisations régionales. Il est dirigé par un Conseil Exécutif de douze membres dont un président élu pour un mandat de quatre ans. Auparavant, on procédait par présidence tournante. À ce jour, deux Français l’ont été : Albert Ferrasse (présidence tournante), puis Bernard Lapasset (présidence tournante, puis présidence élue pour deux mandats successifs).

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